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"On n'a pas le droit de se taire"

L'écrivain juif Elie Wiesel dresse un sombre bilan du 20e siècle.

"Tu ne te tiendras pas indifférent devant le sang versé par tes frères." Voilà un "11e commandement" de la religion juive auquel le Prix Nobel de la paix Elie Wiesel a pensé lorsqu'il a décidé de se rendre en Albanie et en Macédoine, à la demande du président des États-Unis, afin de témoigner des souffrances des victimes de l'épuration ethnique. Il en a fait l'annonce lors de son passage à Montréal, le 28 mai dernier, alors qu'il rencontrait les journalistes à la Faculté de théologie, peu avant de recevoir un doctorat honoris causa.

"Je suis contre les guerres. Elles sont toujours atroces. Il n'y a rien de beau dans un cadavre, rien de glorieux dans un champ de bataille. Mais qu'on me dise quoi faire avec Milosevic. Je suis prêt à envisager toutes les solutions", a-t-il dit, laissant entendre qu'il approuvait les frappes de l'OTAN.

M. Wiesel a précisé que sa mission d'au moins une semaine n'avait pas d'objectif diplomatique. "Je ne suis au service d'aucun gouvernement. Je suis un écrivain et ce que je découvrirai pourra nourrir mes écrits; mais si le fruit de mes efforts se traduisait par un sourire chez un enfant qui a faim, je serais satisfait", a dit le survivant de Buchenwald, Birkenau et Auschwitz dans un français impeccable.

"On n'a pas le droit de se taire", a poursuivi M. Wiesel.

Un discours retentissant
En recevant des mains du recteur de l'Université de Montréal l'un des quatre doctorats honorifiques décernés cette année à des personnalités illustres (les autres sont le biologiste Pierre Dansereau, la femme d'affaires Jeannine Guillevin Wood et le professeur de management Abraham Zaleznik), Elie Wiesel a dressé un triste bilan du siècle qui s'achève. Dans un discours accueilli par une ovation, au cours de la Collation solennelle des grades, il a félicité les 357 nouveaux docteurs qui recevaient leur parchemin, en signalant qu'ils représentaient l'espoir d'un monde meilleur.

Bien que M. Wiesel ne soit pas théologien, son oeuvre, qui compte une quarantaine de livres, fait tenir un rôle de premier plan à la foi. "Il parle de Dieu dans ses discours. Même en conférence de presse, pour lui, ça va de soi", dit Jean-Guy Nadeau, professeur de théologie.

La nuit, parue en 1958, est considérée par certains comme "le récit le plus théologique du 20e siècle", a rappelé M. Nadeau. L'ouvrage raconte la vie dans les camps de concentration, où M. Wiesel dit avoir eu une révélation lorsqu'il a aperçu un enfant pendu. "Je parle de l'oeuvre d'Elie Wiesel dans le cours qui s'intitule Souffrance et foi chrétienne, dit Jean-Guy Nadeau. La question juive et l'Holocauste sont évidemment abordés."

À l'exception d'une première version en yiddish de La nuit, tout l'oeuvre de M. Wiesel est en français bien que cette langue ne soit pas sa langue maternelle. Il l'a apprise après la Libération. Comme sa famille avait été décimée pendant la guerre, il a été accueilli par la France avec un contingent de 427 garçons survivants.

Après la guerre, il a gagné sa vie en donnant des cours d'hébreu, en enseignant le Talmud, puis en devenant journaliste à partir de 1948. C'est une rencontre avec François Mauriac, en 1955, qui l'a convaincu d'écrire. Ses livres lui ont valu plusieurs prix, dont le prix Médicis en 1968 pour Le mendiant de Jérusalem. Le doctorat honorifique décerné par l'Université de Montréal, sous le parrainage du doyen de la Faculté de théologie, Jean-Marc Charron, était son 100e.

La religion: rôle mineur en Serbie
À son avis, l'appartenance religieuse ne joue pas un rôle majeur dans le conflit en Serbie. C'est le fanatisme qui a tout fait basculer. "M. Milosevic est un homme très dur, un fanatique enraciné dans son fanatisme."

Elie Wiesel a rencontré le leader serbe lors d'un voyage en Bosnie il y a quelques années et il a remarqué que M. Milosevic a accédé au pouvoir dans des conditions particulières. À son avis, un discours aux accents de fanatisme, prononcé par le politicien en 1989 et qui laissait préfigurer les présentes atrocités, aurait dû forcer l'OTAN à réagir. Une intervention précoce aurait évité les frappes actuelles, qui mettent en péril la population civile.

Même si les Balkans ont une longue histoire de conflits ethniques, il faut se garder de mettre toute la population dans le même panier, prévient le Prix Nobel de la paix de 1986. "Seuls les coupables sont coupables, affirme-t-il. Les enfants des tueurs ne sont pas des tueurs. Cela s'applique d'ailleurs aux Allemands de la Deuxième Guerre mondiale."

À une question de Forum, M. Wiesel a dit que l'Holocauste demeurait un événement central non seulement du siècle qui s'achève mais de l'histoire humaine. Selon lui, une partie de la cruauté qui sévit aujourd'hui au Kosovo, et dans des conflits récents au Rwanda, en Irak et ailleurs, découle des atrocités commises durant la Deuxième Guerre mondiale.

Mathieu-Robert Sauvé



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