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Le milieu universitaire et la crise d'Octobre

Éric Bédard publie son mémoire de maîtrise.


Éric Bédard

"Nous endossons le manifeste du FLQ et poursuivons les mêmes objectifs que lui [...]. Nous voulons que le gouvernement cède aux exigences du FLQ et libère les 23 prisonniers politiques [...]. Nous croyons que notre rôle est d'informer la population en vue d'établir la solidarité avec les patriotes du FLQ."

Cette position officielle des étudiants en lettres et sciences sociales de l'Université de Montréal, citée dans le journal Forum du 19 octobre 1970, quatre jours après son adoption, laisse songeur. C'est que l'histoire a surtout retenu de la crise d'Octobre la mort dramatique du vice-premier ministre de l'époque, Pierre Laporte, le 16 octobre. Or, un jeune historien qui n'était même pas né ce jour-là, Éric Bédard, vient de publier le mémoire de maîtrise qu'il a rédigé sur la crise d'Octobre et le milieu universitaire. À l'aide d'archives et de témoignages, il a constaté que les universités ont joué un rôle actif mais complexe dans la tournure des événements.

"Sur le campus de l'Université de Montréal, dit Éric Bédard en entrevue, il régnait une sympathie croissante pour le FLQ, qui a culminé avec les enlèvements de Richard Cross et de Pierre Laporte. Cette sympathie a été évoquée pour justifier l'argument d'une insurrection appréhendée quand la Loi des mesures de guerre a été appliquée."

Les universités étaient-elles des poudrières? En tout cas, la tendance était aux gestes d'éclat. Même les étudiants de l'Université McGill s'étaient associés avec l'Union générale des étudiants du Québec, qui prônait l'unilinguisme français et l'indépendance. "Certains militants radicaux, parmi lesquels Stanley Gray, estimaient que les Canadiens français incarnaient les victimes de la lutte prolétarienne. Pour être de vrais gauchistes, ils devaient donc embrasser la cause québécoise", explique l'auteur.

 

Insurrection appréhendée

"L'une des craintes les plus aiguës que j'ai éprouvées durant cette période de la crise fut qu'un groupe d'étudiants extrémistes, croyant le grand soir arrivé, ne descende dans la rue et ne provoque des désordres qui, avec la police et l'armée sur les dents, auraient pu se terminer en fusillade", a dit le secrétaire d'État de l'époque, Gérard Pelletier, cité dans le livre.

Près de 30 ans plus tard, alors que les leaders étudiants brandissent la cravate et le cellulaire plutôt que la faucille et le marteau, ce rappel du climat dans les universités peut surprendre. Mais après tout, la crise n'éclate que deux ans après mai 1968, et les universités sont alors des lieux de débats enflammés... On est au plus fort de l'analyse marxiste de l'histoire, qui place d'un côté les oppresseurs, de l'autre les opprimés. Les étudiants ont la conviction d'avoir un rôle à jouer en se distinguant des uns pour défendre les autres.

Mais les étudiants sont mal organisés et forment des groupes trop hétérogènes pour être vraiment dangereux. Ils sont, de plus, considérés comme trop jeunes pour avoir élaboré leur propre analyse. Il en allait autrement des professeurs, qui étaient montrés du doigt comme les vrais responsables de la situation. Aux yeux de l'État, ce sont eux qui ont jeté des idées révolutionnaires dans l'esprit des étudiants.

"Ce qui m'a le plus étonné dans ma recherche, c'est l'ampleur de l'infiltration policière sur les campus. On ne se rend pas compte à quel point la classe politique craint la liberté académique. Savez-vous quelle a été la première décision du gouvernement Bourassa au lendemain de la crise? Il a créé une commission d'enquête sur la propagande dans les écoles."

Cette commission n'a pas donné de résultats spectaculaires. À peine a-t-on pu identifier cinq ou six agitateurs ici et là. "On a voulu faire porter le blâme aux universitaires, croit l'auteur. L'air de dire: les vrais coupables ne sont pas les felquistes mais les professeurs."

L'éditorialiste de La Presse à cette époque, Jean-Paul Desbiens, incarne bien cette vision des choses quand il décrit le profil des felquistes. "C'est que ces terroristes ont 'des études' et qu'ils peuvent développer leurs crimes dans un jargon idéologique", peut-on lire le 6 octobre 1970. Cela étant dit sur un mode ironique, car M. Desbiens estimait que les actes du FLQ étaient encore plus condamnables que ceux de vrais hors-la-loi.

 

Premier échec

"Pour moi, la crise d'Octobre représente le premier échec de la génération lyrique, lance Éric Bédard. C'était une génération 'née au matin du monde', pour reprendre l'expression de François Ricard, qui n'avait jamais connu de défaite. Bruyante et sûre d'elle-même, elle a alors rencontré le mur de l'ordre établi."

Le grand soir n'a pas eu lieu. Par la suite, explique l'étudiant, le romantisme révolutionnaire n'a jamais cessé d'en prendre pour son rhume jusqu'à l'échec du référendum de 1980.

Contrairement à la très grande majorité des gens qui ont écrit sur le sujet, Éric Bédard n'a pas vécu la crise d'Octobre, ce qui lui a donné une distance critique différente, écrit en préface René Durocher, qui a dirigé l'auteur dans sa recherche. Même si l'on sent une sympathie pour le mouvement indépendantiste (Éric Bédard ne s'en cache pas: il siège au conseil du Parti québécois), il aborde ce pan de l'histoire sans avoir de comptes à régler, ajoute l'historien.

"Ce qui nous est montré, écrit René Durocher, c'est le visage de la répression, qui atteint un sommet avec l'infâme Loi des mesures de guerre. La démocratie canadienne a pris un dur coup ce jour-là."

Il est intéressant de noter que certains jeunes Québécois semblent regarder les événements d'Octobre d'un nouvel oeil. Jusqu'ici, le sujet semblait tabou autant pour les fédéralistes - peu fiers de la Loi des mesures de guerre - que pour les souverainistes, qui traînent comme un boulet cet épisode sanglant.

Grâce aux historiens, cela est en train de changer: le FLQ appartient désormais à l'histoire.

Mathieu-Robert Sauvé

Éric Bédard, Chronique d'une insurrection appréhendée. La crise d'Octobre et le milieu universitaire, Sillery, Septentrion, 1998, 204 pages, 19,95$.


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