Lettre ouverte à la ministre de l'Éducation, Pauline MaroisPhoto: Luc Lauzière, CHUM |
Madame la Ministre,
Le Comité permanent sur le statut de la femme de l'Université de Montréal tient à exprimer publiquement son profond désaccord relativement à votre intention avouée de confier la formation donnant accès à la profession d'infirmier et d'infirmière en exclusivité aux maisons d'enseignement collégial.
Nous rejoignons en cela un bon nombre de groupes directement concernés et qui ont déjà fait connaître leur opposition à cette mesure pour des raisons toutes plus légitimes les unes que les autres. Aujourd'hui, alors que nous célébrons le 25e anniversaire du Conseil du statut de la femme, il nous apparaît utile d'aborder cette question sous un autre angle (qu'il nous appartient par ailleurs de promouvoir): la condition féminine.
Le Conseil du statut de la femme justement, dans sa réflexion sur le virage ambulatoire publiée en 1996, écrivait: "En réduisant les soins infirmiers à des techniques spécialisées, le virage ambulatoire fait craindre que la profession d'infirmière s'éloigne de plus en plus d'une approche globale de la santé. Les tâches risquent de se rétrécir à tel point que cette formation peut se voir déposséder du 'care' pour se recentrer presque exclusivement sur le 'cure'."
Compte tenu de l'impact déjà mesurable de ce virage ambulatoire, il est impératif que toutes les décisions qui régissent les soins et les services de santé et influent sur eux soient "éclairées" par cette approche globale. Dans cette perspective, il serait néfaste que l'aspect "care" soit évacué de la formation infirmière sous prétexte que cette profession est majoritairement féminine et que le "care" est une qualité "inhérente" aux femmes.
Plusieurs autres éléments intrinsèques au virage ambulatoire plaident en faveur d'une formation de niveau universitaire, toujours plus avancée pour les futurs infirmiers et infirmières. Ainsi, la responsabilisation de la famille et des proches face aux soins aux malades exige de l'infirmier et de l'infirmière une plus grande autonomie et une responsabilité accrue afin de pouvoir prodiguer les conseils nécessaires et fournir le soutien adéquat.
Par ailleurs, il nous apparaît fondamental d'examiner cette question de la formation des futurs infirmiers et infirmières à la lumière de la condition socioéconomique des Québécoises et donc du "pouvoir" qu'elles peuvent exercer dans notre société.
Le pouvoir médical a longtemps tenté de limiter la reconnaissance de l'expertise et de l'expérience des infirmières. Ce discours identifie les soins infirmiers à un travail essentiellement féminin, confiné au milieu hospitalier et ne nécessitant par conséquent que peu de formation tout en soumettant les infirmières au pouvoir absolu des médecins.
Alors que les Québécoises ont accompli de grands progrès dans la reconnaissance de leur place et de leur rôle dans notre société, la révision des programmes de formation donnant accès à la profession d'infirmier et d'infirmière, telle que vous l'avez présentée, constituerait pour le moins une régression importante.
La politique en matière de condition féminine, adoptée par le gouvernement du Québec, l'a déjà très clairement souligné: l'autonomie économique des femmes passe par l'éducation. La même politique définit des objectifs précis quant à l'augmentation de la scolarisation des femmes, qui leur permettrait de bénéficier, entre autres, d'une meilleure rémunération. Pour reprendre les termes de ce document, "la scolarisation constitue un levier face aux défis à relever".
Compte tenu de vos états de service à titre de ministre d'État et de déléguée à la Condition féminine, il apparaît pour le moins étonnant que vous sembliez, aujourd'hui, l'avoir bien oublié...
Rose-Marie Lèbe, présidente du Comité