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Interdire la cour aux caméras serait inconstitutionnel

C'est ce qu'affirme François Ouellette dans son mémoire de maîtrise.

François Ouellette

Actuellement, aucune caméra de télévision ne franchit le seuil des salles d'audience des tribunaux canadiens. Au Québec, par exemple, la loi dit que "la lecture des journaux, la photographie, la cinématographie, la radiodiffusion et la télédiffusion" sont prohibées tant à la Cour du Québec qu'à la Cour supérieure.

Craignant les poursuites, les stations de télévision se gardent bien de capter et de diffuser des images de même que des enregistrements sonores. Pourtant, cette interdiction pourrait être facilement contestée en évoquant la Constitution canadienne.

C'est du moins l'opinion de l'avocat François Ouellette, qui vient de publier son mémoire de maîtrise sur le sujet. "Interdire l'accès aux salles d'audience est indéfendable sur le plan constitutionnel, affirme-t-il. Je ne vois pas en quoi l'interdiction nuit au droit des accusés d'avoir un procès juste et équitable. Au contraire."

Dans son livre paru aux Éditions Thémis, Me Ouellette explique que le processus judiciaire pourrait grandement bénéficier de cette transparence. "Je ne suis pas un promoteur du pouvoir médiatique et je sais bien que le premier intérêt des stations de télévision est la rentabilité. Mais à long terme, je suis convaincu que le public tirerait des avantages de la levée de cette censure. L'analogie que j'évoque dans mon livre est celle de l'imprimerie dans la société en général. Parce que c'était nouveau, les opposants évoquaient les pires catastrophes: alphabétiser les masses était dangereux. L'arrivée des caméras de télévision au milieu des juges et des avocats possède le même potentiel déstabilisateur."

Le spectaculaire procès d'O.J. Simpson, aux États-Unis (l'un des rares pays à autoriser la présence des caméras dans les tribunaux), a bien sûr donné lieu à une exploitation médiatique sans précédent. Mais pour François Ouellette, malgré tout, la population en est sortie plus informée sur des éléments jusque-là très obscurs, comme l'admissibilité de la preuve par l'ADN.

 

D'autres appuis

François Ouellette n'est pas seul à penser que la télévision devrait être admise dans les salles d'audience. La Commission de la réforme du droit du Canada a recommandé, en 1987, d'autoriser la couverture médiatique "pour l'appel en matière pénale". Elle recommandait également qu'une expérience pilote soit menée à l'échelle nationale pour des procès criminels "en vue d'étudier de façon globale les effets de la présence de caméras vidéo, d'appareils photographiques et de magnétophones sur les témoins, les avocats, les juges et les jurés".

"Il existe actuellement un tabou sur cette question, note l'étudiant, qui poursuit actuellement un M.B.A. à l'Université McGill. C'est que le milieu juridique est extrêmement conservateur et n'est nullement désireux de modifier ses pratiques. Si le fantôme d'Abraham Lincoln revenait dans une salle d'audience, il n'y trouverait qu'un seul changement: l'électricité."

On a récemment manqué une belle occasion de contester la constitutionnalité de l'interdiction, quand la Société Radio-Canada a décidé de ne pas aller de l'avant dans la cause qui oppose Guy Bertrand au gouvernement québécois, alors que les journalistes ont été refoulés à l'entrée des salles d'audience, explique M. Ouellette.

L'ennui, c'est que de telles causes ne se présentent pas tous les jours. Le litige opposant l'ancien premier ministre canadien, Brian Mulroney, à la Gendarmerie royale du Canada aurait constitué une autre occasion de filmer les débats. La Société Radio-Canada s'était montrée intéressée. Mais la cause a été réglée hors cour. Meilleure chance la prochaine fois.

 

TV or not TV?

Effectué sous la direction de Pierre Trudel, professeur à la Faculté de droit et chercheur au Centre de recherche en droit public, le travail de François Ouellette vient combler un besoin criant. Avant ce livre, seuls quelques articles savants avaient été publiés au Canada sur cette question. On peut même pointer les principaux pôles d'opposition: du côté des partisans, Daniel Henry, de la CBC; et du côté des opposants, Mark Lepofsky, procureur de la couronne en Ontario.

François Ouellette ne serait pas en faveur d'une exploitation tous azimuts de la caméra dans les salles d'audience. Mais il ferait confiance aux responsables des médias pour trancher entre l'intérêt public et le mauvais goût. Cependant, il restera toujours des zones d'ombre où il ne sera pas facile de tracer la ligne entre l'intérêt public et le spectacle pur et simple. Qu'on pense à Valery Fabricant, par exemple, qui aurait voulu attirer sur lui tous les feux de la rampe pour faire valoir son point de vue. Qu'aurait fait la Société Radio-Canada ou Télémédia?

"La question de l'accès des caméras est susceptible d'entraîner de grands bouleversements, écrit François Ouellette dans sa conclusion, et, avant d'autoriser une telle démarche, on devine que les tribunaux voudront s'assurer qu'ils n'auront pas laissé s'introduire dans leurs enceintes l'équivalent d'un cheval de Troie."

Et il poursuit: "Une grande partie des dangers d'un procès médiatisé est imputable aux officiers de justice et non aux journalistes. Ce sont les premiers qui, très souvent, fournissent aux médias les informations qu'on leur reprochera plus tard de rendre publiques. De même, la couverture des procès par les médias électroniques sera toujours moins dangereuse qu'elle pourrait l'être si cette activité était orchestrée par les tribunaux. L'exemple des pays totalitaires nous rappelle que le procès devient, dans de noumbreuses circonstances, un spectacle destiné à propager les idées reçues et les conventions. La démocratie et la justice par le fait même exigent la séparation des médias et des tribunaux; leur indépendance réciproque est à atteindre et à maintenir."

Mathieu-Robert Sauvé

 

François Ouellette, L'accès des caméras de télévision aux audiences des tribunaux, Montréal, Les Éditions Thémis, 1998, 264 pages.


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