Les disciples de Dédale |
Le Groupe de recherche sur la mobilité et l'orientation spatiale remonte le fil d'Ariane des mécanismes de l'orientation. |
À l'aide d'une maquette du labyrinthe, Romédi Passini explique à Marie-Hélène Tétreault et à Hélène Pigot un exercice d'orientation spatiale conçu pour les aveugles. |
Vous trouvez qu'il est difficile de retrouver son chemin dans un immeuble ou un quartier qu'on ne connaît pas? Imaginez la difficulté pour un handicapé visuel ou une personne atteinte de la maladie d'Alzheimer!
Si nous connaissions mieux les mécanismes de la représentation spatiale et ceux présidant à notre sens de l'orientation, nous serions en mesure d'offrir à ces personnes un environnement facilitant leurs déplacements quotidiens. C'est à cette tâche que s'applique le Groupe de recherche sur la mobilité et l'orientation spatiale (MOS), qui inaugurait, le 22 avril dernier, son nouveau laboratoire à l'Institut universitaire de gériatrie (ex-Centre hospitalier Côte-des-Neiges).
Dans ce laboratoire, aucun équipement sophistiqué ni appareillage de haute technologie: uniquement des cloisons blanches amovibles. Le laboratoire en question est en fait un labyrinthe servant à mesurer les habiletés d'orientation. Même s'il ne cache pas de Minotaure, ce labyrinthe n'a rien à envier à celui de Dédale et constitue un aménagement presque unique au monde puisqu'on ne retrouve un laboratoire semblable qu'à l'Université de Bordeaux.
Le groupe MOS est lui-même assez unique: sa composition multidisciplinaire le place au carrefour de la neuropsychologie, de l'ergothérapie et de l'architecture. Les recherches fondamentales poursuivies par l'équipe trouvent des applications dans chacun de ces domaines et permettent à ses membres de remonter lentement le fil d'Ariane menant à la compréhension des mécanismes de l'orientation.
"Il est important de suivre l'évolution des connaissances en neurologie et en psychologie de l'orientation afin d'en tenir compte en architecture, estime Romédi Passini, professeur à l'École d'architecture. Cette approche est souvent considérée comme une entrave à la libre création, mais l'architecte doit savoir comment on trouve une sortie en situation d'urgence, comment on s'oriente dans un centre commercial ou comment il faut aménager un centre d'accueil pour des gens souffrant de la maladie d'Alzheimer."
C'est parce qu'il jugeait que la formation des architectes n'accordait pas suffisamment de place à de telles données qu'il s'est intéressé à la psychologie de l'environnement et s'est engagé dans des recherches fondamentales de ce côté. Malgré sa retraite récente, Romédi Passini a conservé la direction du groupe de recherche MOS, actif depuis une vingtaine d'années.
À l'origine, le groupe effectuait ses travaux dans un environnement réel, soit les immeubles du centre-ville. Le labyrinthe, abrité pendant plusieurs années par la Faculté de l'aménagement, permet de combiner milieu réel et laboratoire afin de vérifier expérimentalement des hypothèses.
Une des membres du groupe MOS, Hélène Pigot, professeure à l'École de réadaptation, poursuit présentement des recherches sur les habiletés d'orientation des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer. Indépendamment de la perte de mémoire, l'incapacité de s'orienter est l'un des symptômes de cette maladie.
Les volontaires participant à cette étude doivent se déplacer dans le labyrinthe en retenant une consigne simple: suivre les indications menant à un point précis. L'indication à suivre est incluse parmi d'autres directions et l'ordre de présentation varie à chaque carrefour du labyrinthe. Des éléments d'interférence, comme des photos ou illustrations, sont également placés à certains endroits du parcours.
"Ce test vise d'abord à observer si les gens souffrant de la maladie d'Alzheimer sont en mesure de lire et de comprendre l'information, explique Hélène Pigot. En variant l'ordre et la quantité des renseignements, on peut aussi déterminer quelles sont les conditions dans lesquelles la consigne est la mieux retenue."
Les données recueillies sont ensuite mises en relation avec le profil du malade afin d'évaluer si les habitudes de vie peuvent avoir un impact sur le maintien des habiletés d'orientation.
Ces connaissances peuvent trouver des applications directes, notamment dans l'aménagement des centres d'accueil. Une étudiante en architecture, Marie-Hélène Tétreault, en a d'ailleurs fait l'objet de son doctorat. Son étude des centres d'hébergement a permis d'observer que l'aménagement de lieux fermés pour épargner des épreuves aux personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer ne donne pas les résultats escomptés.
Ainsi, il semble que limiter les déplacements de ces patients contribue à diminuer leurs capacités restantes. De plus, les aires fermées sont laissées ouvertes parce que l'isolement des malades demande plus de personnel.
L'étudiante, dirigée par Romédi Passini, a également observé que les malades se perdent plus facilement dans le corridor menant à leur chambre que dans les lieux où ils vont manger ou se distraire.
"C'est parce que les corridors sont monotones et manquent d'éléments de différenciation alors qu'il y a plus de repères dans les autres salles, estime le professeur Passini. Cela nous montre que l'environnement peut être mis à profit afin d'encourager l'autonomie de ces personnes plutôt que de la brimer."
Le labyrinthe du groupe MOS sert aussi à d'autres recherches fondamentales sur l'orientation, notamment avec des personnes en privation de sommeil, des handicapés visuels (voir l'encadré), des autistiques ou des gens atteints de lésions cérébrales.
Daniel Baril
Des aveugles dans un labyrinthe!Une recherche effectuée il y a quelques années à l'aide du labyrinthe conçu par Romédi Passini a permis d'infirmer une théorie jusque-là fort répandue sur la représentation spatiale et voulant que la vision soit essentielle à cette habileté. En soumettant des aveugles de naissance à une série d'épreuves d'orientation dans le labyrinthe, l'équipe du chercheur a démontré que les aveugles ont, dans le domaine de la représentation spatiale, les mêmes habiletés que les voyants. Dans un exercice où ils avaient à apprendre un trajet à partir d'une maquette, puis à refaire ce trajet dans le labyrinthe lui-même, les aveugles ont performé aussi bien que les voyants! Dans un autre exercice, ils devaient reconnaître, entre deux maquettes, celle qui correspondait au labyrinthe qu'ils avaient exploré; le taux de réussite des aveugles a été de près de 49% alors que celui des voyants ayant les yeux bandés n'a été que de 33%. "Les habiletés spatiocognitives peuvent donc être acquises indépendamment de la vision", concluait cette étude. |