Réanimation cardiorespiratoire: oubliez le bouche-à-bouche!
Raoul Daoust recommande de ne pas suivre la directive
internationale.
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La défibrillation ventriculaire, c'est
la clé de la réanimation cardio-respiratoire, affirme
le Dr Raoul Daoust. Mais il faut agir vite et donner de bons
massages thoraciques. Et puis, laissez tomber le bouche-à-bouche,
du moins pour les quatre à six premières minutes. |
Très souvent, la respiration artificielle
achève la victime d'un arrêt cardiorespiratoire.
"Notre expiration contient du gaz carbonique qui risque
de faire plus de tort que de bien à la personne qu'on
cherche à aider", dit le Dr Raoul Daoust, responsable
de la médecine d'urgence à l'Hôpital du Sacré-Coeur
et professeur à la Faculté de médecine.
Le Dr Daoust recommande de ne pas suivre la
directive de l'organisme qui dicte les normes internationales
en la matière, l'Advanced Cardiac Life Support (ACLS),
suggérant d'alterner les massages cardiaques et la respiration
artificielle au cours d'une réanimation cardiorespiratoire
(RCR).
Selon ce médecin, qui effectue de trois
à quatre réanimations par semaine, les premières
minutes de l'intervention devraient être consacrées
exclusivement au massage thoracique, en attendant l'appareil
sans lequel toute intervention est inutile: le défibrillateur
ventriculaire. "Si je tombe devant vous, victime d'un arrêt
cardiorespiratoire, et qu'il n'y a personne autour, ne perdez
pas votre temps: trouvez un téléphone pour composer
le 9-1-1. Après quoi, vous commencerez vos manoeuvres",
a-t-il illustré.
En prononçant sa conférence
devant un auditoire captivé aux Journées annuelles
de la Faculté de médecine, le 26 novembre dernier,
le Dr Daoust a expliqué que plusieurs études démontrent
que le bouche-à-bouche, en plus de dégoûter
les sauveteurs, les déconcentre de l'intervention la plus
délicate: le massage thoracique. Un bon massage, d'ailleurs,
provoque une contraction des poumons qui permet une ventilation
de l'organisme jusqu'à l'arrivée des ambulanciers
d'Urgences-santé ou du personnel hospitalier chargé
de procéder à l'intervention salvatrice.
ABC devient CAB
Actuellement, les spécialistes de RCR recommandent de
pratiquer la respiration artificielle en alternance avec les
massages dans les cas d'arrêt cardiorespiratoire. "Des
études chez l'animal ont démontré que le
bouche-à-bouche diminuait de moitié le taux de
succès d'une réanimation. Aux Pays-Bas, on a décidé
d'agir. La consigne n'est plus ABC pour airway, breathing,
circulation, mais CAB pour circulation, airway, breathing.
Le médecin ne condamne pas la respiration
artificielle dans les cas de noyade ou d'obstruction des voies
aériennes. Elle demeure l'intervention la plus appropriée.
Mais pour la victime d'un arrêt cardiaque qui ne respire
plus, elle ne serait pas indiquée avant les six premières
minutes.
D'ailleurs, des appareils de plus en plus
sophistiqués visant à améliorer l'efficacité
des massages voient le jour. Parmi les veste thoracique munie
de velcro, valve à impédance et machine à
circulation sanguine extracorporelle, le médecin semble
pencher pour un levier muni de ventouses permettant la compression
du thorax en même temps que la décompression de
l'abdomen, et vice-versa. L'opérateur peut ainsi assurer
le massage cardiaque et la ventilation des poumons.
D'autres controverses
La pratique de la réanimation cardiorespiratoire suscite
aussi d'autres controverses. Un médicament administré
systématiquement par les médecins pour stimuler
le coeur, l'épinéphrine, semble n'avoir aucun effet
sur la survie. "Une étude auprès de 1200 patients
a de quoi faire réfléchir, dit le Dr Daoust. On
a donné des doses de 0 mg (placebo), 1 mg et 10 mg d'épinéphrine
et aucun groupe n'a affiché des taux de survie significativement
supérieurs."
Depuis un an, le Dr Daoust administre un autre
médicament, la vasopressine, dont il juge les effets préférables.
"Pourtant, quand on ne donne pas d'épinéphrine,
on est mal vus", déplore-t-il.
Un autre médicament semble donner de
bons résultats, l'amiodarone - c'est en tout cas ce que
le Dr Daoust aimerait se voir administrer en cas de nécessité
-, mais il y a un problème de taille: c'est le troisième
médicament le plus coûteux de l'hôpital.
Malgré tout, le médecin affirme
que la réanimation sauve des vies. "On n'a qu'à
regarder la qualité de vie des personnes qui ont survécu
à un arrêt cardiorespiratoire (ACR). Je vous assure
que ça vaut la peine de s'acharner sur ces patients. Dans
ces cas, il ne s'agit pas d'acharnement thérapeutique."
La durée de l'arrêt n'est pas
significative, précise le spécialiste. En revanche,
l'âge de la victime et la cause de l'ACR ont une importance
capitale. Interrogé par Forum en marge de la conférence,
le Dr Daoust a refusé de préciser une limite d'âge.
Mais il a soutenu que lui-même ne pratiquait pas systématiquement
la réanimation avec tous ses patients. "La réanimation,
c'est un traitement, explique-t-il. Comme tout traitement, il
mérite d'être évalué en fonction de
ses avantages et de ses inconvénients. Il faut en discuter
avec les patients."
Cela dit, les taux de succès de la
réanimation ne cessent de s'améliorer et, d'ici
peu, un nouveau type de défibrillateur à basse
énergie, pas plus gros qu'un ordinateur portatif, pourrait
envahir le marché. On pourrait même en trouver au
coin des rues, près des téléphones publics.
"Il faut bien comprendre que le taux de survie des victimes
d'arrêt cardiorespiratoire tombe à 0% quand la défibrillation
survient après 20 minutes, d'où l'importance d'intervenir
rapidement", conclut le médecin.
À son avis, il faudrait mettre plus
d'argent dans l'achat de ces appareils plutôt que de donner
à tout venant des cours de réanimation cardiorespiratoire
où l'on enseigne le bouche-à-bouche.
Mathieu-Robert Sauvé
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