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De plus en plus de femmes et de jeunes chez les itinérants

L'image du vieux clochard titubant, bouteille à la main, ne correspond plus à la réalité.

Selon une étude menée en 1998 par Louise Fournier, du Département de médecine sociale et préventive, 22,8% des sans-abri de Montréal sont des femmes. Plus de 4% n'ont même pas 18 ans.

Lorsque son mari l'a jetée à la rue, sans ressource, Marie-France ne savait pas où se réfugier. Depuis trois mois, cette mère de famille, âgée de 40 ans, traîne dans les rues et dans les lieux publics. Elle mendie. Selon Santé Québec, 10 558 femmes des villes de Montréal et de Québec vivent une situation similaire. "Ma présence dérange, constate Marie-France, mais moi aussi, ça me dérange d'être dans cette situation. Je n'ai pas d'expérience de travail. Je ne vois pas comment je vais m'en sortir."

Marie-France mendie. Elle ne croit pas que la vente de L'itinéraire puisse améliorer son sort. "Il y a à peu près quatre vendeurs à chaque coin de rue!" dit-elle.

"Ils sont près de 30 000 à fréquenter les centres d'hébergement pour personnes sans-abri ainsi que les soupes populaires et les centres de jour du réseau montréalais", déclare Louise Fournier, professeure au Département de médecine sociale et préventive et chef d'équipe à la Direction de la santé publique de Montréal. Parmi eux, environ la moitié est sans domicile fixe. Mais au-delà des chiffres, une autre réalité inquiétante: de plus en plus de femmes, de jeunes et de personnes souffrant de troubles mentaux se retrouvent à la rue.

On est loin de l'image du vieux clochard avec sa bouteille de bière. De fait, l'alcoolisme, dit-on, ne représente plus qu'un des facteurs explicatifs de l'itinérance. "La clientèle itinérante s'est diversifiée et atteint aujourd'hui des groupes qui étaient auparavant peu représentés", signale Louise Fournier. Selon une étude menée en 1998 par Mme Fournier et un étudiant à la maîtrise, Serge Chevalier, 22,8% des sans-abri de Montréal sont des femmes. Plus de 4% n'ont même pas 18 ans.

Depuis un mois, Michel n'est plus itinérant. La vente du journal L'itinéraire l'a aidé à se sortir de sa mendicité. "Pour chaque journal vendu 2$, un dollar me revient. Je fais au total une centaine de dollars par semaine", dit Michel.

La pauvreté: un facteur parmi d'autres
"Ce ne sont pas toutes des personnes sans domicile fixe qui fréquentent le réseau des services, souligne Louise Fournier, psychologue de formation. Certaines ont simplement recours aux services des soupes populaires ou des centres de jour."

N'empêche que leur situation économique très précaire les prédispose à l'itinérance. Ce phénomène est, en effet, étroitement lié à la pauvreté, observe Marie-France Raynault, médecin à l'hôpital Saint-Luc et professeure au Département de médecine sociale et préventive. À son avis, plusieurs autres facteurs comme le chômage, le manque de ressources dans le réseau social et la désinstitutionnalisation des soins psychiatriques contribuent au développement de l'itinérance. Le cas des États-Unis est pire encore, assure la Dre Raynault. À Los Angeles, par exemple, des familles entières vivent dans la rue.

À cause de la Loi sur la protection de la jeunesse, le phénomène des familles itinérantes ne semble à peu près pas exister au Québec, reprend Mme Fournier. Les conditions socioéconomiques défavorables ne sont pas les seules raisons qui expliquent l'itinérance. La violence familiale, l'alcoolisme, la toxicomanie et la maladie physique ou mentale représentent des facteurs qui précipitent le vagabondage, explique Louise Fournier. "Reste que, dans un contexte de difficulté économique et de manque de soutien de l'État dans le domaine social, le nombre d'itinérants tend à augmenter", note la psychologue.

Une question de fragilité individuelle
Comment devient-on sans-abri? "Les causes sont multiples, mais la fragilité individuelle semble être un déterminant important, répond la chercheuse. Certaines personnes sont d'emblée plus vulnérables et, lorsque survient une situation de crise comme un divorce ou une perte d'emploi, elles sont démunies."

Selon Mme Fournier, la clientèle itinérante se compose de plus en plus de gens vivant de telles difficultés. Après un an de cette vie, dit-elle, ces itinérants récents se retrouvent, en général, de nouveau domiciliés. "Cela tend à briser le stéréotype de l'itinérant chronique qu'on voit de façon ponctuelle ou permanente dans un centre, puis dans l'autre."

Et les jeunes? Les adolescents occupent une place de plus en plus grande parmi la population itinérante, affirme la psychologue. D'après l'étude de Mme Fournier, près du tiers des itinérants de Montréal est constitué de jeunes âgés de 18 à 30 ans. "Plusieurs facteurs tels les conflits familiaux, la violence et les abus sexuels ou émotionnels les mènent à fuir leur foyer. Par ailleurs, la consommation de drogue et d'alcool est fréquente chez les jeunes sans-abri", mentionne-t-elle. Ils sont nombreux aussi à s'adonner à la prostitution pour se payer un repas ou pour obtenir de la drogue. Résultat? Une prévalence élevée de séropositivité a été observée dans les refuges pour jeunes.

Quand on lui parle d'avenir, Louise Fournier se montre réaliste. "Le nombre de personnes touchées par ce problème semble en progression et aucun signe n'indique que cette situation va s'améliorer dans un proche avenir", écrit-elle dans l'introduction d'un collectif intitulé Sans domicile fixe, publié aux Éditions du Méridien. La chercheuse estime néanmoins qu'il faut continuer à soutenir la population itinérante en favorisant la réinsertion sociale et, surtout, tenter de prévenir une telle situation. "Nous devons également assurer un soutien aux familles et aux personnes aidantes, car elles font face à beaucoup de stress et d'anxiété", soulève Mme Fournier.

En tout cas, quand Marie-France communique avec sa fille, elle ne laisse rien paraître de sa situation. Elle prétend demeurer chez des amies. "Ça va bien", lui dit-elle pour ne pas l'inquiéter. Mais la réalité est tout autre. Marie-France est épuisée. "Le milieu est difficile pour une femme. J'ai peur et je me sens seule. Je ne veux pas passer l'hiver dehors, mais sans une adresse fixe je ne peux pas recevoir de chèques d'aide sociale. Comment voulez-vous que je paye un logement sans argent ni travail?"

Selon les statistiques, Marie-France pourrait dans moins de sept mois vivre sous un toit. Mais d'ici là, il existe un risque élevé de problèmes de santé qui résultent des conditions de vie des sans-abri. Le taux de mortalité est, quant à lui, quatre fois plus élevé chez les itinérants que dans l'ensemble de la population.

Dominique Nancy


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