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Le coeur en Égypte ancienne

 

Brigitte Ouellet analyse un papyrus de 4000 ans.

Il y a quelques années, Brigitte Ouellet a donné une conférence sur l'Égypte ancienne au consulat égyptien de Montréal. Alors qu'elle s'apprêtait à partir, un vieil homme est venue la voir et lui a dit: "Madame, j'ai honte de moi. C'est une Québécoise qui vient m'informer sur la culture de mon propre pays."

Mme Ouellet s'est empressée de mettre son interlocuteur à l'aise. Lui-même pourrait probablement lui en apprendre sur le Québec, car le regard d'un étranger est parfois plus pénétrant que celui d'un indigène. Il demeure que cette étudiante à la Faculté de théologie a fait de l'Égypte ancienne son pain quotidien. Elle a nourri sa passion sans relâche jusqu'au doctorat, faisant notamment 14 voyages dans le pays des pharaons.

"Je ne peux même pas vous dire à quel moment précis mon choc culturel a eu lieu, dit-elle en souriant. D'aussi loin que je me souvienne, je me suis intéressée à tout ce qui venait d'Égypte, d'Astérix et Cléopâtre aux documentaires sur les pyramides."

Dans sa famille, on raconte même que, endormie dans sa poussette durant toute la visite de l'Expo 67, elle a ouvert les yeux lorsqu'elle a pénétré dans le pavillon de l'Égypte!

Sa première visite du Caire, à l'âge de 18 ans, confirme sa vocation. "J'ai su, dès ce voyage, que ma vie serait consacrée à l'Égypte. Avec le temps, mes amis, là-bas, sont devenus ma deuxième famille. Quand je passe plusieurs mois sans y aller, ils me manquent. Comme me manquent les odeurs, les saveurs et les bruits du pays."

Il a pourtant fallu qu'elle révise au passage quelques idées sur ce peuple aujourd'hui principalement musulman et qui connaît de sérieux problèmes socioéconomiques. "J'ai dû suivre quelques cours sur l'Égypte moderne pour bien comprendre la culture d'aujourd'hui. À titre d'Occidentale principalement renseignée par la télévision, je ne pouvais pas tout savoir."

Le débat avec son âme
Après l'obtention de son baccalauréat en études anciennes, elle fait une maîtrise en histoire de l'Antiquité proche-orientale tout en apprenant l'égyptien hiéroglyphique à l'institut Khéops, à Paris. Puis, au moment de choisir son sujet de doctorat, elle décide de s'attaquer à un texte fondateur de la sagesse égyptienne, très connu chez les égyptologues mais également très controversé: Le débat du désillusionné avec son âme. "J'avais environ 12 ans quand j'ai lu ce texte pour la première fois, raconte Mme Ouellet. J'avais été frappée par sa poésie et par sa beauté. Au moment d'entreprendre mon doctorat, je me suis sentie prête à l'aborder de nouveau. Quand on doit passer quatre ou cinq ans avec un texte, il vaut mieux l'aimer au départ."

Ce texte anonyme, datant d'environ 4000 ans, a été retrouvé en 1743 par un marchand grec et a été acquis par le musée de Berlin, qui le conserve depuis. Écrit en hiératique sur un parchemin mesurant 3,50 mètres, constitué de papyrus collés bout à bout, il contient trois poèmes et deux paraboles insérés dans un dialogue entre l'homme et son âme, appelé "ba". Or, la sagesse égyptienne veut qu'aucun vivant n'entre en contact avec son âme. Seul le défunt peut avoir ce type de dialogue.

Dans cette phrase qui se lit de gauche à droite (on doit faire face au regard des symboles d'oiseaux ou de personnages), il est question d'une famille qui court un grand danger. L'égyptologue la traduit ainsi: "Pendant la nuit, sa femme et ses enfants sont engloutis dans un lac infesté de crocodiles."

"À l'époque où ce texte a été rédigé, on considérait que préparer ses propres rites funéraires signifiait préparer l'éternité. Pour l'auteur du Débat, ce n'était pas ça. Son âme lui dit plutôt: "Cherche la vérité en toi-même." On a longtemps cru que l'auteur s'était suicidé après sa rédaction. Mais plus je lis le texte, plus j'en doute. Trop d'espoir s'en dégage. Un suicidaire ne dirait pas les choses ainsi."

Grandes interrogations
Quoi qu'il en soit, on retrouve ici certaines des grandes interrogations existentielles de l'humanité, 1500 ans avant Platon et Aristote: quel est le sens de la vie? Qu'est-ce que la mort? "Ce n'est pas un texte qu'on peut qualifier de religieux au même titre que ceux retrouvés dans les pyramides ou les sarcophages, précise l'étudiante. Il s'inscrit plutôt dans le courant de la sagesse."

Restait à Brigitte Ouellet un problème: trouver un directeur de thèse désireux de la suivre dans sa démarche consistant à traduire ce texte tout en l'analysant. Jean Duhaime, professeur à la Faculté de théologie et spécialiste de la sagesse dans les textes bibliques, a accepté d'être codirecteur avec un égyptologue et théologien de l'Université d'Halifax, Vincent Tobin, ce dernier ayant déjà signé une traduction du papyrus. "La traduction du révérend Tobin m'apparaissait comme l'une des plus réussies parmi la centaine qui existe, dit la jeune femme. Il a démontré une ouverture, je dirais même une sensualité assez juste."

Évidemment, on ne traduit pas un texte datant de quatre millénaires avec un logiciel de Microsoft. Il faut d'abord transcrire les symboles hiératiques (écriture cursive de l'Égypte ancienne) en hiéroglyphes, puis tenter une interprétation de chacun en se basant sur les connaissances anthropologiques de la culture de l'époque. "Sur le plan méthodologique, mon travail est intéressant, car les modèles sont rares, sinon inexistants", dit Mme Ouellet.

En ce qui concerne le sens donné à l'écrit du papyrus, la traductrice fait une analogie avec la physique optique. Sa lecture se compare aux couleurs d'un prisme, dit-elle. Le travail de recherche consiste à recréer la lumière blanche qui entre à l'autre bout...

La doctorante se dit très satisfaite de la collaboration du personnel du Service des bibliothèques, qui a multiplié pour elle les prêts d'ouvrages rares provenant de centres de documentation des universités canadiennes et étrangères.

Mathieu-Robert Sauvé


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