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Le temps des aînés

Vieillir en exil pose des problèmes particuliers, dit Oscar Firbanks.

Depuis son arrivée à l'Université de Montréal, en 1993, Oscar Firbanks s'est intéressé au cas des immigrants vieillissant sur une terre d'accueil qui les abandonne souvent à eux-mêmes.

"Après trois ans de résidence, un immigrant peut devenir citoyen canadien. Pourquoi doit-il attendre 40 ans avant d'avoir droit aux prestations d'un régime de retraite?"

La question est posée par Oscar Firbanks, professeur à l'École de service social, qui mène des recherches sur deux phénomènes très actuels: le vieillissement et l'immigration. Trop de gens ignorent, selon lui, que, au-delà des problèmes d'intégration linguistique, de reconnaissance de diplômes et autres, la pauvreté frappe durement les aînés d'origine étrangère. Plus de 80% des femmes d'origine asiatique vivant seules, par exemple, ont des revenus inférieurs au seuil de la pauvreté. Plusieurs n'ont même pas droit aux pensions de retraite même si elles ont élevé toute leur famille en terre québécoise.

Comme elles, démunis et peu familiarisés avec le système de santé, parfois mal à l'aise avec la langue française, les immigrants vieillissants n'osent pas s'adresser aux CLSC et profitent peu des programmes sociaux conçus pour des gens comme eux.

Voilà bien le genre de paradoxes qui hérissent le sociologue d'origine argentine, né de parents allemands et émigré au Québec en 1993. Il devait d'ailleurs en débattre au cours de la Conférence mondiale de la Fédération internationale de la vieillesse, qui rassemblait à Montréal, du 5 au 9 septembre, 400 spécialistes. Lui-même animait un symposium sur l'immigration durant cette rencontre.

Les bien-portants "Seniors"
"L'Organisation des Nations Unies a décrété que 1999 était l'année internationale des personnes âgées, rappelle M. Firbanks. Il est utile de souligner que le vieillissement de la population est en train de modifier les rapports sociaux sur plusieurs plans."

Globalement, la situation des personnes âgées est à l'opposé de celle des immigrantes précédemment décrites. "Le niveau de vie des personnes âgées a connu une hausse constante depuis une décennie, contrairement aux représentants des autres groupes d'âge. La population des 50-65 ans, notamment, jouit de très bonnes conditions de vie. Non seulement au Québec mais dans l'ensemble de l'Occident."

Ce groupe, que les Américains ont baptisé "Seniors" - les francophones cherchent encore un vocable de circonstance -, est en excellente santé et dispose de bonnes économies et d'une incroyable disponibilité pour les loisirs. Ce sont ses membres qu'on voit sur les terrains de golf et au volant de leur gigantesque autocaravane sur les routes des États-Unis.

M. Firbanks rappelle que leur aisance n'est pas due seulement à leurs bons placements. Elle est en bonne partie le résultat des mesures sociales instaurées à partir des années 1960 afin d'offrir un répit à des vieillards qui avaient donné leur vie à des entreprises qui les oubliaient dès le lendemain du party de retraite. "Par solidarité envers les personnes vieillissantes, nous avons collectivement mis beaucoup l'accent sur les programmes sociaux qui les concernent. On peut se demander si ces mesures tiendront la route. C'est là que les recherches de gens comme nous, à l'École de service social, peuvent être utiles."

La "retraite" deviendra vraisemblablement sous peu l'étape la plus longue de notre vie puisque la personne qui s'intègre au marché du travail à la fin de la vingtaine et qui en sort au milieu de la cinquantaine peut compter vivre "de ses rentes" 30 et même 35 ans.

Pour Oscar Firbanks, cependant, il est essentiel d'aménager des conditions de travail qui favoriseront la participation de ces gens à la vie collective. "Cette population est destinée à jouer un rôle productif dans la société, même après la retraite. Mais il faut instaurer des conditions particulières pour lui permettre de s'adapter."

Il ne faut pas inclure dans ces conditions particulières la décision éventuelle du Conseil du Trésor de retarder de deux ans le versement des premières pensions de retraite. Dans plusieurs États américains, l'âge minimal requis pour toucher l'allocation de base est passé de 65 à 67 ans. Cette décision vise officiellement à inciter les travailleurs à demeurer plus longtemps sur le marché du travail. Les cyniques parlent plutôt de compressions budgétaires.

Contraint de prendre sa retraite
Par "conditions particulières", on souhaite plutôt assister à l'augmentation des emplois à mi-temps, des organismes bénévoles de soutien à la communauté, etc. "La vie active doit s'allonger au lieu de raccourcir comme actuellement", dit le professeur Firbanks.

Même s'il reconnaît que les "Seniors" s'en sont bien sortis, M. Firbanks estime qu'il faut se méfier des stéréotypes. "Les snowbirds qui passent leur hiver dans le Sud et les joueurs de golf à temps plein ne représentent qu'une partie des personnes âgées. Ce groupe présente des disparités importantes."

Chez les immigrants, notamment, le niveau de vie est plutôt bas. Et dans des métiers du secteur primaire, tous n'ont pas droit à une retraite dorée. Dans leur cas, les mesures sociales pour protéger les personnes âgées d'une trop grande pauvreté jouent pleinement leur rôle.

Allonger la période de vie active n'est pas une idée utopique. Les premiers à s'en réjouir seraient peut-être les retraités eux-mêmes. M. Firbanks rappelle que les employés du secteur public qui ont accepté les offres de l'État au cours des dernières années n'étaient pas tous ravis de mettre la clé sur la porte. Ils l'ont fait dans la contrainte et, pour certains, la larme à l'oeil.

Mathieu-Robert Sauvé




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