FORUM - 17 AVRIL 2000TÉMOIGNAGEÀ notre collègue Marcel Pepin (1926-2000)Marcel Pepin, un des pères de la Révolution tranquille, syndicaliste éminent, professeur à l'École de relations industrielles (1980-1990), est décédé le 6 mars dernier. Fils d'un agriculteur devenu ouvrier, il a poursuivi des études au collège de Joliette et au Séminaire de philosophie de Montréal et a obtenu une maîtrise en relations industrielles de l'Université Laval (1949). Son mémoire portait sur les conditions de travail et les deux grèves dans l'industrie du textile. En 1948, la CTCC l'engage pour défendre les droits des employés du textile et améliorer leurs conditions de travail et, plus tard (1949), la Fédération de la métallurgie fait de même. En 1961, Marcel devient secrétaire général de la CSN, en est élu président en 1965 et y reste jusqu'en 1976. Socialiste démocrate engagé, Marcel réoriente l'idéologie de la CSN vers une radicalisation exceptionnelle qui dénonce les injustices du capitalisme et expose un projet de société plus équitable. Parmi les dirigeants de la grève des infirmières (1963), il contribue à la modification du Code du travail du Québec et obtient, entre autres, les droits de syndicalisation et de grève pour les employés de l'État, réfutant ainsi l'adage du premier ministre Jean Lesage: "La Reine ne négocie pas avec ses sujets." Stratège hors pair, négociateur chevronné, ses confrontations avec le premier ministre Robert Bourassa nous révèlent un homme de ressources quasi illimitées, un homme de combat en mission sociale, cherchant l'amélioration de la qualité de vie des travailleurs. Par son "deuxième front", au début des années 1970, il dénonce l'état pitoyable du logement, l'endettement et l'exploitation du consommateur-travailleur. Son intolérance devant l'injustice, la répartition inéquitable de la richesse et la concentration des pouvoirs économique et politique le pousse au "nécessaire combat" de produire des rapports moraux, notamment "Une société bâtie pour l'homme" (1966), "Pour vaincre" (1972), "Vivre à notre goût" (1974) et "Prenons notre pouvoir" (1976). Il signe aussi, en 1971-1972, "Ne comptons que sur nos propres moyens" et "Il n'y a plus d'avenir pour le Québec dans le système économique actuel". En 1973, il est emprisonné avec Louis Laberge et Yvon Charbonneau pour avoir incité les membres du front commun à la poursuite de la grève illégale. Sa philosophie, "la légalité se subordonne à la légitimité et à la vérité", l'inscrit dans la lignée des Galilée, Ghandi, Martin Luther King et Saul Alinsky. Il est l'unique Québécois à être élu à la présidence d'une centrale syndicale internationale, en l'occurrence la Confédération mondiale du travail, qu'il dirige de 1973 à 1981. Il est cofondateur du Mouvement socialiste en 1981 et son président jusqu'en 1985. Au cours de sa carrière dans l'enseignement, le regretté Léo Roback, syndicaliste et professeur à l'École de relations industrielles, lui sert d'interlocuteur. Non sans opposition de la part de certains de notre école et de la haute direction de notre établissement, Marcel Pepin est nommé professeur en 1980. Fulgurante, remarquable et remarquée par ses collègues et ses étudiants est sa rapidité d'adaptation à sa tâche professorale. Ses connaissances, son empathie, son dévouement, son charisme et sa manière de communiquer avec les étudiants lui garantissent une popularité auprès d'eux et de ses pairs. Sa qualité d'enseignement est telle que ses cours et sa direction de mémoires sont recherchés. Lorsque l'École lui confie la direction de son comité du colloque, le succès de l'événement est assuré autant par sa conviction de l'utilité de la rencontre annuelle que par ses réseaux de connaissances en relations de travail nationales et internationales. Marcel Pepin apporte à l'École son dynamisme et son engagement social, contribuant ainsi au climat d'effervescence dans l'enseignement, la recherche et le rayonnement. Il assume des enseignements en relations de travail dans le secteur public, en idéologie syndicale, en structure et administration syndicales et en histoire et évolution du syndicalisme aux trois cycles. Parmi ses nombreux projets de recherche et publications professorales, on trouve le syndicalisme du tertiaire, les nouveaux modes de rémunération, les relations de travail dans le secteur public, l'arbitrage et le syndicalisme dans le tiers-monde. Marcel, à la FAS, endosse la présidence du Comité de déontologie. Il est conseiller auprès de la FAPUQ et participe à de nombreuses publications sur l'action sociale, le syndicalisme, la mondialisation, la liberté démocratique et les jeunes. Conférencier très recherché et constamment sollicité par les médias, il agit aussi à titre de médiateur, conseiller et assesseur. Penseur, intellectuel et particulièrement homme d'action, Marcel Pepin sait extérioriser son immense sens de la justice et mener son combat sans relâche, avec une intégrité impeccable. Mais il est aussi un homme de contrastes: revendicateur mais compréhensif; sérieux mais blagueur; grand homme parmi les autres mais humble au besoin. Nonobstant son air, parfois, austère, il possède une écoute très développée et une grande patience. Au dire de ses étudiants, Marcel est aussi pédagogue et charismatique dans la salle de classe qu'il l'est sur la place publique. Durant sa retraite (1990-2000), Marcel prodigue ses conseils à tous ceux qui les lui demandent: syndicats, personnes d'État, groupes sociaux et même milieux patronaux. Marcel s'engage particulièrement dans les causes des jeunes - chômage, discrimination, sans-abri - et, tout dernièrement, il se consacre à l'élimination des clauses "orphelins" des conventions collectives. D'ailleurs, un de ses derniers souhaits est que les dons reçus à l'occasion de son décès aillent au Refuge des jeunes de Montréal. Albert Einstein a écrit qu'il y a deux sortes de personnes: celles de succès et celles de valeur. Les premières retirent de la société plus qu'elles ne lui donnent alors que les secondes lui donnent plus qu'elles ne retirent. De toute évidence, Marcel Pepin est un homme de valeur. Les membres de l'École, de la Faculté et de l'Université offrent leur plus profonde sympathie à sa femme, Lucie Dagenais, et à ses cinq enfants dont, entre autres, Me Marie, B. Sc. relations industrielles 1976 (Ghislain Hallé, B. Sc. relations industrielles 1971) et Marcel G., B. Sc. relations industrielles 1977. Marcel, tu nous manques. Bernard Brody |