FORUM - 17 AVRIL 2000

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Un climat de travail malsain coûte cher

Non seulement l'employé, mais aussi l'organisation en paie le prix.

André Savoie

Luc Brunet

Parler de climat de travail à l'heure où les blessures laissées par la vague du down sizing ne sont pas encore complètement cicatrisées a-t-il un sens? Plus que jamais, selon les professeurs Luc Brunet, de la Faculté des sciences de l'éducation, et André Savoie, du Département de psychologie, qui publiaient l'automne dernier aux Éditions Logiques un ouvrage intitulé Le climat de travail. Quelques mois à peine après son arrivée en librairie, le livre, pourtant destiné aux gestionnaires d'entreprise, était déjà en rupture de stock. La réimpression est attendue incessamment.

Dans cet ouvrage, les deux auteurs définissent d'abord ce qu'est le climat de travail selon deux approches. La première est liée à la perception que les employés ont de la structure de l'organisme et du style de direction plus ou moins ouvert qui s'y pratique, de consultatif, participatif et même créatif, à paternaliste, autoritaire, exploiteur, voire pathologique. Dans la seconde approche, ils élaborent une typologie du climat de travail basée sur la dichotomie méfiance-confiance

MM. Savoie et Brunet analysent ensuite ce qui influe sur le climat de travail et surtout ce qui en résulte: l'acceptation ou le refus du changement, le stress, l'absentéisme, les actes délictueux des employés, leur satisfaction ou leur insatisfaction, etc. Ils présentent une dizaine de questionnaires permettant de poser un diagnostic sur le climat de travail à l'intérieur d'une organisation. Enfin, ils proposent une méthode d'utilisation sur le terrain et exposent quelques cas ainsi que des stratégies pour modifier le climat à l'intérieur d'une entreprise ou d'un organisme.

Une réalité perçue
Bien sûr, le climat de travail renvoie à une perception. Et cette perception peut varier d'un employé à l'autre. "Par contre, écrivent les auteurs, lorsqu'on interroge les employés sur la composition du climat de travail, on ne peut que constater la remarquable similitude des perceptions en ce qui concerne ses dimensions saillantes." Ils s'empressent d'ajouter que, pour l'être humain, la réalité vécue n'est pas la réalité objective mais bien celle qu'il perçoit. C'est donc à cette réalité perçue qu'il réagit. C'est elle également qui influe sur son comportement.

La perception du climat de travail variant également d'une unité à l'autre, un organisme peut se retrouver avec plusieurs microclimats. "Nous sommes tous des 'diagnosticiens' du climat de travail, observe Luc Brunet. Par exemple, lorsque nous visitons un collègue dans une autre unité, nous nous faisons une idée du climat de travail qui y règne à la manière dont nous sommes reçus, à la façon dont les gens communiquent entre eux, à partir de l'aménagement des lieux, etc.".

Les deux chercheurs terminent actuellement une étude dans une vingtaine d'établissements du réseau de la santé. André Savoie se dit étonné de voir comment certains d'entre eux possèdent un excellent climat de travail malgré l'image sombre que les médias en projettent. "Plusieurs établissements que nous avons visités ont des modes de gestion modernes et un climat très stimulant, à tel point que cela a changé complètement ma vision des hôpitaux. Malgré les compressions budgétaires, certains se portent très bien. Ils ont des projets et savent comment ils vont les réaliser."

Réciprocité
Évidemment, la perception du climat varie également selon la position qu'on occupe dans la hiérarchie. Il semble qu'elle soit de plus en plus rose à mesure qu'on s'y élève. "Cela amène d'ailleurs de fausses perceptions parce que plus on a de pouvoir et de responsabilités liées à la prise de décision, plus on a une vision positive du climat de travail", constate Luc Brunet. C'est pourquoi on fait souvent appel à un consultant pour améliorer la situation au moment où celle-ci est devenue invivable.

Outre le type de leadership, la taille de l'organisation a aussi un effet déterminant sur le climat de travail. "À mesure que la taille de l'organisation ou même de l'unité s'accroît, le climat est susceptible d'être caractérisé par l'aliénation, la conformité et le désengagement", écrivent les deux psychologues. Les politiques et les règlements ont aussi une influence.

Les coûts humains d'un climat malsain, autoritaire ou pathologique sont énormes pour l'employé: insatisfaction au travail, stress, problèmes de santé, frustrations, etc. Les effets d'une mauvaise ambiance de travail peuvent également s'avérer très onéreux pour l'organisation: baisses d'efficacité et de rendement, résistance au changement, désengagement des employés envers l'organisme. Pire encore, ils peuvent se traduire par du sabotage, des vols, de la fraude, du vandalisme et des délits commis à l'aide de l'ordinateur.

Par exemple, Bell s'est retrouvée avec plusieurs virus dans ses systèmes pendant la période où la société coupait beaucoup dans son personnel, remarque Luc Brunet.

"C'est le principe de la réciprocité", ajoute André Savoie. En effet, toute action perçue comme inéquitable déclenche une réaction. "Les deux principales réactions à la frustration sont l'agressivité et l'évitement, écrivent les chercheurs. Dans l'évitement, le comportement individuel prend des formes 'plus socialement acceptables' comme l'absentéisme, la non-ponctualité ou le roulement, qui constituent des réponses comportementales typiques d'une frustration continue. Pour sa part, le comportement agressif peut se caractériser par de la violence verbale ou physique, du sabotage, des grèves, un ralentissement de travail, le vol d'objets ou d'idées (s'approprier le crédit des autres) ou des comportements antisociaux (rumeurs, mensonges)."

Climat et rendement
MM. Savoie et Brunet, qui considèrent le climat de travail comme "la mesure de la qualité avec laquelle les individus se sentent traités ou considérés dans leur vie de travail", formulent d'ailleurs l'hypothèse que celui-ci permet de prévoir les déviances qui se produiront dans une entreprise ou un organisme. Ils sont d'ailleurs en train de la tester en milieu scolaire, plus particulièrement dans des écoles secondaires.

"Dans les écoles, les élèves perçoivent très bien le climat de travail ambiant puisque la qualité de celui-ci influe sur leur rendement scolaire et sur leur comportement, explique Luc Brunet. Lorsque les enseignants subissent un mauvais climat de travail, ils se désengagent, ce qui se répercute sur les élèves."

Quand un climat de travail est malsain, le patronat et les employés ne s'en imputent-ils pas mutuellement la responsabilité? Pour André Savoie, il ne fait pas de doute que la personne qui exerce le plus d'influence sur le climat de travail est le patron. "La façon dont il traite son personnel va se répercuter à tous les échelons de l'organisation."

Doit-il donc absolument faire appel à un consultant lorsqu'il veut améliorer le climat de travail dans son entreprise? "Pas nécessairement. Le patron peut décider de modifier sa façon de traiter les employés. Si tous les patrons savaient à quel point ils créent le climat de travail, ils prendraient beaucoup moins de décisions à la légère. Faire une fête de fin d'année en espérant changer le climat, c'est inutile. Ce qu'il faut, c'est fêter une réalisation, souligner les bons coups. Il faut avoir une visée. Quand une direction a des projets et qu'elle arrive à instaurer un climat favorable, c'est fantastique ce qu'elle peut accomplir."

Patience et longueur de temps
Quoi qu'il en soit, un climat de travail ne se retourne pas comme une crêpe qu'on fait sauter dans la poêle. "Changer le climat d'une institution requiert du temps, surtout quand il faut modifier des procédures et des façons de faire qui sont ancrées depuis longtemps", écrivent les chercheurs. Et ils ajoutent: "La volonté de changer est aussi nécessaire. Il faut que la haute direction et l'organisation dans son ensemble veuillent faire des efforts pour modifier le climat. On observe fréquemment des dirigeants qui, paniquant devant un diagnostic peu flatteur du climat dans leur organisation, refusent toute forme d'intervention en vue de le modifier."

Il va sans dire qu'il ne suffit pas de repenser l'organigramme pour passer d'un climat pathologique à une ambiance de travail stimulante. "Une bonne structure organisationnelle ne peut jamais compenser de mauvais processus, déclare André Savoie. Inversement, même une structure défaillante a peu d'effets si le climat de travail est sain et s'il règne une bonne dynamique au sein du personnel."

Françoise Lachance


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