FORUM - 17 AVRIL 2000

[Accueil Forum][Calendrier][Vient de paraitre][Opinions]


Une huile contre le gras?

"Il faut protéger les consommateurs contre les produits miracles vendus sur Internet", clame Victor Gavino.

Dans son laboratoire de biochimie et de physiologie, Victor Gavino étudie les différents constituants des aliments. Dernièrement, il a découvert que l'acide linoléique conjugué pouvait réduire de 40% la masse adipeuse du hamster.

L'acide linoléique conjugué, un dérivé d'un acide gras essentiel, pourrait servir dans la lutte contre l'obésité. C'est que cette huile trans, qui provient de la biohydrogénation naturelle des aliments consommés par les ruminants, permet de diminuer de 40% la masse adipeuse... Du moins chez le hamster.

Cette découverte faite au laboratoire de biochimie et de physiologie de Victor Gavino, professeur au Département de nutrition, pourrait avoir des répercussions majeures si le phénomène se produisait chez l'être humain. "Il y a, en effet, une possibilité de perdre du poids grâce à cet acide, mais nous sommes encore loin de l'étape de la commercialisation", signale le chercheur.

Cependant, faute de réglementation, on peut se procurer de l'acide linoléique conjugué (ALC) par le biais d'Internet. "On vend des petites pilules miracles contre l'embonpoint alors que les études cliniques n'ont même pas encore été faites, s'insurge Victor Gavino. Il faut informer les consommateurs des dangers possibles... On n'a pas encore signalé d'effets nocifs parce que l'on commence à peine à étudier le phénomène!"

L'histoire d'une découverte
Ce spécialiste en chimie des aliments étudie depuis quatre ans les mécanismes biochimiques et physiologiques de l'ALC. Ce produit chimique, que le corps humain ne peut produire, se retrouve de façon naturelle principalement dans le boeuf et les produits laitiers, explique-t-il.

Victor Gavino a commencé à s'y intéresser à la suite de la découverte du Dr Michael Pariza. Ce chercheur américain a mis en évidence, dans les années 1990, l'effet protecteur de l'acide linoléique conjugué contre le cancer du sein. Cinq ans plus tard, d'autres scientifiques attribuaient à l'ALC la capacité de réduire la concentration du cholestérol sanguin.

Comme l'incidence des maladies cardiovasculaires est liée au cholestérol, Victor Gavino s'interroge alors sur les bienfaits probables de l'ALC dans la lutte contre l'athérosclérose. Il observe d'abord le composé chimique avec le système des cellules en culture. "L'ALC, même en petite quantité, modifie la membrane de la cellule d'une façon que je n'ai jamais vue, affirme-t-il. J'ai eu envie de continuer l'expérience auprès d'animaux de laboratoire, car une culture de cellules, ce n'est pas 100% applicable."

Les résultats de sa recherche ne permettent pas de confirmer un effet protecteur contre l'athérosclérose, mais il note une baisse de 40% de la masse adipeuse des hamsters. "Nous étudions actuellement le mécanisme qui pourrait expliquer cet effet."

Entre-temps, le chercheur publie ses résultats dans une revue américaine. Depuis, sans qu'il y ait eu d'étude préalable chez l'être humain, l'acide linoléique conjugué est vendu en ligne sur le Web. Pour 30$US, on peut se procurer 30 cachets d'ALC. Curieux de connaître le taux d'acide linoléique conjugué par comprimé, Victor Gavino en a commandé une bouteille. Comme on pouvait s'y attendre, la concentration d'ALC est extrêmement faible.

N'empêche que l'ALC connaît une popularité grandissante dans les clubs de nutrition et de musculation. Chez Agriculture et Agroalimentaire Canada, on étudie actuellement les possibilités d'une application de l'ALC à l'alimentation des animaux. "Si la chair de porcs et de volailles devient plus maigre grâce à l'acide linoléique conjugué, le temps de séjour dans les unités [d'engraissement] s'en trouverait réduit, explique le professeur Gavino. Les productions porcine et avicole seraient alors optimisées."

Une huile trans qui n'a pas mauvaise réputation
"Santé Canada incite beaucoup les gens à surveiller l'apport en matières grasses dans la nourriture. Il est recommandé de limiter la consommation de gras saturés, présents surtout dans la viande et les produits laitiers, et de gras trans, provenant d'huiles végétales partiellement hydrogénées", note Victor Gavino.

Il s'intéresse particulièrement à la teneur en matières grasses des aliments et à leur effet sur la santé. Au cours de procédés chimiques industriels, explique M. Gavino, l'industrie alimentaire change la nature des huiles naturelles insaturées pour une forme non naturelle, dite trans. D'où les préjugés au sujet des huiles trans, qui servent notamment à la fabrication de la margarine.

"Certains gras deviennent des acides gras trans (AGT) lorsqu'ils sont hydrogénés, prévient le spécialiste. Résultat: comme les gras saturés, les AGT élèvent la concentration de cholestérol sanguin. Mais on ne peut pas mettre toutes les huiles trans dans le même panier, car certaines sont possiblement bénéfiques pour la santé."

Par exemple, l'acide linoléique conjugué est une huile trans, qui comme toutes les huiles est faite d'acides gras (AG) insaturés, mais elle est caractérisée par une biohydrogénation naturelle. "Ses AG polyinsaturés, de la famille oméga-6 (un gras essentiel qu'on retrouve principalement dans les graines de tournesol, le maïs et les légumineuses), et ses AG monoinsaturés, qui ne sont pas essentiels, sont transformés par les flores bactériennes dans l'estomac de l'animal. Il n'y a donc pas de procédés chimiques industriels."

Dominique Nancy


[Accueil Forum][Calendrier][Vient de paraitre][Opinions]