Carmen Loiselle, professeure adjointe à la Faculté des sciences infirmières, s'intéresse au rôle de l'information dans la promotion et le soutien de la pratique de l'allaitement maternel. |
Seulement 48% des Québécoises allaitent leur enfant. Ce taux est faible comparativement à celui des provinces de l'Ouest, où 82% des mères donnent le sein. Outre les bienfaits psychologique et physique pour la mère, l'allaitement protège le nourrisson contre une kyrielle d'infections et d'allergies en lui fournissant des protéines et des anticorps. Les composantes du lait maternel, absentes des formules lactées, ont également l'avantage d'être plus digestes.
"Des études ont démontré que les bébés nourris au sein ont 50% moins d'otites que ceux nourris au biberon. Ils souffrent aussi beaucoup moins de problèmes gastro-intestinaux et respiratoires", révèle Carmen Loiselle, professeure adjointe à la Faculté des sciences infirmières, qui s'intéresse au rôle de l'information dans la promotion et le soutien de la pratique de l'allaitement maternel depuis quelques années. "Les employeurs, les établissements de santé et les gouvernements font donc des économies puisque les enfants sont moins souvent malades", ajoute-t-elle.
L'année dernière, le gouvernement du Québec s'est donné comme objectif d'augmenter d'ici 2002 la pratique de l'allaitement maternel à l'hôpital à 80% et à 60% et 30% respectivement au troisième et au sixième mois de la vie de l'enfant. Des études récentes indiquent toutefois que, si 74% des femmes au Canada commencent à allaiter, plusieurs d'entre elles cessent de le faire avant trois mois. Ce phénomène se retrouve aussi chez les nouvelles mères récemment immigrées.
"Plusieurs immigrantes valorisent l'allaitement maternel, mais elles ont tendance à adopter un comportement en fonction des normes sociales du milieu dans lequel elles évoluent, observe Mme Loiselle. Au Québec, l'allaitement en public est plutôt perçu comme un comportement qui doit être prohibé parce que le sein fait référence à la sexualité." Selon la chercheuse, l'absence de la mère ou des amies de la nouvelle mère, sources importantes dans la promotion de l'allaitement maternel chez certaines minorités ethniques, semble aussi être en cause.
Myriam Rocio Alvarez, nouvelle maman d'origine colombienne, donne le sein à son bébé, José David Diaz Alvarez, âgé de deux jours. |
Facteurs d'influence en milieu multiethnique
Une étude menée par un groupe formé d'intervenants
du CLSC Côte-des-Neiges et de Carmen Loiselle suggère
que la pratique et la durée de l'allaitement des femmes
immigrantes sont plus faibles ici que dans leur pays d'origine.
L'équipe multidisciplinaire poursuit actuellement ses recherches
dans le but de savoir si l'effet migratoire et le contexte québécois
ont un impact négatif sur la pratique de l'allaitement
chez les immigrantes. "Certaines études soulignent
l'attrait des pratiques plus modernes, mais l'accès à
l'information, le soutien social et psychologique, souvent inexistants
pour ces femmes, apparaissent comme des facteurs d'influence dans
la décision d'allaiter ou non", estime Mme Loiselle.
Et pour cause. Les mauvaises perceptions de l'allaitement en public limitent les activités sociales des femmes qui allaitent. Une brochure gouvernementale déconseillait même, il y a quelques années, l'allaitement en public. À l'heure actuelle, la Commission des droits de la personne révise sa politique afin que l'allaitement en public soit mieux accepté. Un comité canadien pour l'allaitement a aussi été mis sur pied pour "favoriser, soutenir, promouvoir et protéger l'allaitement maternel considéré comme la meilleure méthode d'alimentation pour l'enfant". Le but? Faire de l'allaitement maternel la norme culturelle au Canada. Mais le défi à relever est grand.
Chez les immigrantes, des facteurs d'ordre culturel, familial, économique, environnemental et institutionnel et des caractéristiques personnelles jouent un rôle majeur dans la prise de la décision. "Plusieurs minorités ethniques d'origine asiatique, par exemple, ont pour rite culturel de garder la nouvelle mère à la maison durant le mois suivant l'accouchement. Cette période de repos est accompagnée d'une diète rituelle qui, semble-t-il, contribue à la récupération de la mère et à une bonne production de lait, relate Mme Loiselle. Si la nouvelle mère ne peut respecter cette coutume, l'allaitement maternel risque d'être rejeté. Les intervenants ont intérêt à connaître les rites afin de ne pas transmettre une information qui entre en conflit avec les coutumes."
Pratiques douteuses
La langue parlée et écrite ainsi que le congé
précoce postnatal sans suivi systématique peuvent
aussi être des barrières dans le transfert des connaissances
et contribuer à la réduction du taux d'allaitement
chez les femmes immigrantes. "Contrairement à la croyance
populaire, soutient Mme Loiselle, les connaissances liées
à la pratique de l'allaitement ne sont pas innées.
Une foule de renseignements doivent être transmis à
la mère par les intervenants."
Mais plusieurs futures mères nées ailleurs qu'en Amérique du Nord parlent très peu le français et l'anglais; elles ne participent donc pas aux séances prénatales. De plus, il est difficile pour les intervenants de s'assurer que toute l'information relative à la pratique de l'allaitement (position du bébé, fréquence de l'allaitement, engorgement, stimulation des seins, etc.) est bien assimilée quand le séjour à l'hôpital dure moins de 48 heures.
Cette rupture dans la communication et le manque de connaissances relatives à l'alimentation du nouveau-né peuvent entraîner un grave problème. "Malgré les avantages économiques de l'allaitement maternel, l'allaitement mixte dès le deuxième mois, voire l'utilisation de la formule lactée dès la naissance sont des pratiques courantes pour plusieurs communautés culturelles", dit Mme Loiselle. Le hic? Pour réduire les coûts, certaines mères diluent la formule lactée dans du lait de vache ou de l'eau de riz sans savoir que sa qualité nutritive est alors réduite. "Sans un suivi postnatal, ces pratiques ne peuvent être repérées", déclare la chercheuse.
En plus de tracer un portrait des comportements d'allaitement parmi les communautés ethniques habitant le quartier Côte-des-Neiges et de décrire les pratiques hospitalières en matière de soutien, l'équipe de recherche a élaboré, en partenariat avec l'organisme communautaire Nourri Source, un volet de marrainage. "Ce volet interventionniste est important dans la mesure où la clientèle pluriethnique manque de soutien et d'information au sujet des méthodes d'alimentation du nourrisson, fait valoir Mme Loiselle. Des marraines provenant de divers groupes culturels seront bientôt formées afin de répondre à ces besoins."
Pour réaliser l'ensemble de ce projet, le groupe de recherche a reçu dernièrement un appui financier de 70 000$ de Santé Canada.
Dominique Nancy
Collaboration spéciale