TÉMOIGNAGES
Rendre hommage à Jean-Claude La Haye, c'est pour moi une tâche d'autant plus émouvante que c'est avec lui que s'est déroulé le plus important de ma carrière.
Son décès est une bien lourde perte pour sa famille. Il en est de même pour ses nombreux amis, ceux qui ont travaillé avec lui et ceux pour qui il a travaillé. Tous ont le souvenir d'un être pas toujours facile, mais profondément attachant, amical.
Comme mes rapports avec Jean-Claude ont été principalement du domaine professionnel, je ferai ici le résumé de son cheminement, comme je l'ai vécu avec lui.
En octobre dernier, l'Université de Montréal lui décernait un doctorat honoris causa, reconnaissant ainsi son rôle prépondérant dans l'implantation au Québec de la pratique de l'urbanisme et de l'aménagement du territoire. À la suite de sa maîtrise au City Planning de Harvard (1953), Jean-Claude La Haye, à titre de conseiller au ministère des Affaires municipales, a contribué à l'implantation des principes de l'urbanisme. Il a pu par la suite faire valoir ces principes auprès de multiples conseils municipaux, chambres de commerce et associations professionnelles concernés du Québec. Enfin, son apport à la Commission provinciale de l'urbanisme, soit le rapport La Haye (1968), constituait une orientation des interventions du gouvernement en matière d'urbanisme. Il est reconnu dès lors comme le père de l'urbanisme au Québec.
Avec le concours du Conseil de l'Association des urbanistes, dont il devient président en 1958, il élabore les règles éventuelles d'organisation de l'Ordre des urbanistes du Québec. Enfin, pour répondre aux besoins de la formation dans cette discipline, il suscite la création de l'Institut d'urbanisme de l'Université de Montréal.
Comme autres apports dans des organismes publics, on peut mentionner le Conseil d'orientation économique du Québec, le comité directeur d'aménagement de Québec, enfin la Commission de la capitale nationale comme principal artisan de son comité d'aménagement.
Toutes ces activités se déroulent concurremment avec celles de sa propre équipe de production, créée en 1955. Cette équipe a sans doute été la première à se constituer sur un plan totalement ouvert, multidisciplinaire, de l'aménagement. C'est ici que j'arrive, dès 1957, dans ce cadre inédit, favorisant une corrélation des diverses disciplines: urbanisme, aménagement du territoire, architecture, architecture du paysage, avec les compléments essentiels en études socioéconomiques et enfin les apports en art et en design.
C'est dans ce contexte, pouvant servir de modèle à une éventuelle faculté de l'aménagement, qu'a évolué ma propre carrière: au contact quotidien de plus d'une centaine de professionnels de ces divers domaines.
Dans ce cadre pluridisciplinaire, les travaux accomplis au cours de la carrière de Jean-Claude La Haye, comme urbaniste et comme architecte paysagiste, couvrent à la fois:
Je me limiterai ici à deux exemples facilement compris dans leur portée et dans leur implication urbaine.
1. Le campus de l'Université de Montréal
Dans la suite de son premier immeuble, oeuvre d'Ernest Cormier,
l'Université de Montréal a connu, dès les
années 1960, un rythme de croissance inégalé
dans les divers domaines de l'enseignement et de la recherche.
Ainsi se posait d'urgence la nécessité d'un plan
directeur d'aménagement coordonné, sur un site exigeant
à la fois de par sa conformation et surtout en raison de
sa portée pour le paysage montréalais.
2. Le Complexe Desjardins
Un motif initial du projet était l'animation du secteur
est du centre-ville de Montréal. Nommé initialement
Place Desjardins, le projet constitue le plus grand ensemble urbain
de l'époque, alors entrepris par le mouvement Desjardins,
avec un apport complémentaire du gouvernement provincial.
La caractéristique majeure de l'ensemble réside
dans la création d'une place publique encadrée d'activités
d'affaires, de commerce et résidentielles (un hôtel).
Un trait original, inhabituel de cette place est qu'elle est intérieure,
pour un accueil du public 12 mois par année. Espérons
que ce caractère public soit maintenu.
Sans Jean-Claude La Haye (et l'esprit ouvert d'Alfred Rouleau), le Complexe Desjardins n'existerait tout simplement pas!
On reconnaît en Jean-Claude un ouvreur de voies de grand talent. Son intuition, son flair, son dynamisme et sa grande perspicacité pour tout ce qui a une portée publique, d'aménagement, de développement, ont été à l'origine de la réussite de notre société professionnelle (SOLO). Enfin, je dois mentionner qu'en ce domaine peu d'hommes à mon avis ont eu un apport aussi innovateur et important pour le Québec que Jean-Claude La Haye.
Jean-Claude avait une vision du deuxième millénaire. Il est parti trop tôt.
Jean Ouellet, architecte et urbaniste
Professeur retraité de l'Université de Montréal
C'est au nom de la communauté médicale de Montréal tout entière, au nom des collègues professeurs et médecins de l'Institut de cardiologie de Montréal, au nom de l'Université et des collègues de notre faculté de médecine, au nom de ses étudiants passés et présents, au nom de tous les patients qui ont bénéficié personnellement ou indirectement de l'oeuvre de Paul David que je viens prononcer quelques mots pour le départ de ce géant que nous aimions, de ce grand serviteur de notre société que fut Paul David.
Voilà que son chemin avec nous s'arrête. Tout ce qui a surgi de son amour pour les siens, de sa science et de sa sollicitude pour ses malades, tout ce qui a surgi de sa continuelle éruption d'énergie et de création est écrit et demeure dorénavant devant nos yeux comme un appel et comme un signe. Le serviteur a rendu témoignage, il a aimé, il a servi, il a conduit, il a partagé, il a construit, il a créé.
Il laisse derrière lui un héritage de service et de science, une haute idée de notre présent et de notre futur, une expression personnelle de ce qui fut son idéal et tout l'élan de ce qu'il désirait pour les siens. Comme une étincelle de feu qui monte dans la nuit bleue, sa lumière se mêle désormais aux étoiles. Par ce mélange des lumières, le ciel et la terre se joignent et sa vie demeure comme un signe mystérieux. Un appel, un témoignage, un chemin, une présence et un amour qui ne nous quitteront pas.
Paul David est né dans une grande famille de chez nous, riche d'une tradition soucieuse de la promotion de notre société. Fils de sénateur, il est élevé dans la vision du service qui sera toute sa vie. Étudiant brillant à Paris, puis dans notre faculté, la passion de la médecine emporte son enthousiasme. Il fréquente les maîtres de la cardiologie de son temps, une discipline qui est en train d'apparaître comme une branche distincte de la médecine interne. Il côtoie alors les plus grands: Paul White à Boston, Jean Lenègre à Paris. Il avive à leur contact son grand besoin de faire plus et de faire mieux.
Il revient à Montréal en 1948 comme médecin de l'hôpital Notre-Dame. Six ans plus tard, il crée un lieu privilégié où épanouir le service des malades et le développement de sa discipline. L'Institut de cardiologie, aujourd'hui l'Institut universitaire de cardiologie, est fondé. Cet institut évolue vite pour devenir un des hauts lieux de la médecine à Montréal et un site d'élection où les cardiologues du monde entier viendront soigner, apprendre et chercher auprès de Paul David et des collègues qu'il associe à son élan. Dès 1954, les malades trouvent là un lieu exceptionnel de soins et d'expertise et une source d'espoir. Au fil des ans, il fera de l'Institut un joyau de la médecine québécoise en y développant en parallèle une recherche mondialement reconnue. Qu'il me soit permis de témoigner ici de la qualité exceptionnelle de ce milieu qui porte toujours la marque de son dynamisme. Son héritage y demeure vivant et continuera de distiller sa sollicitude dans le futur.
Il rayonne dans le milieu de la cardiologie et contribue à toutes ses grandes aventures à l'échelle locale comme à l'échelle nationale et internationale. Il est l'auteur de plus de 170 publications où il fait progresser sa discipline. Il dirige les grandes sociétés de cardiologie du monde américain. Il participe à la création de la Fondation canadienne et de la Fondation québécoise de cardiologie. Il préside de nombreux congrès. Mais surtout, il anime avec fougue une merveilleuse équipe de médecins et de chercheurs à l'Institut de cardiologie qui sauront consolider son oeuvre et dépasser ses espérances.
Dans notre faculté, il enseigne avec passion et lance dans la vie beaucoup de jeunes collègues qui viennent chercher auprès de lui un maître à connaître et un maître à soigner. Professeur titulaire puis professeur émérite, il gagne cette distinction d'abord dans le coeur de ses étudiants qui me prêtent leur voix aujourd'hui pour lui redire merci.
En toute chose, il assure le service en premier. Ce service le conduit au Sénat canadien, où il servira, comme son père avant lui. Il contribue aux politiques touchant les affaires sociales, la science, la jeunesse, l'international. Il offre la présence créatrice des Québécois.
Reconnu par les siens, ce grand Montréalais reçoit la Médaille du service, puis il est fait compagnon de l'Ordre du Canada; il devient officier de l'Ordre national du Québec, qui attribue aujourd'hui un prix qui porte le nom de son père. Il reçoit deux doctorats honoris causa d'universités soeurs et de multiples marques d'estime et de reconnaissance. Entre autres, il servira comme président de l'Association des médecins de langue française du Canada, dont il recevra la Médaille du mérite. La liste n'en finit pas. L'homme est exceptionnel.
Il ne néglige pas les services plus cachés: son activité au foyer Rousselot n'est est qu'un exemple. Il devient aussi un grand serviteur de l'Église de Montréal, dont il reçoit la médaille du Mérite diocésain.
En même temps, il demeure un père attentif, un époux tendre et un coeur à l'écoute. Ses enfants ont reçu de lui ce désir de faire bien et de créer qui les a tous propulsés dans des carrières brillantes. Eux seuls sauraient ici parler de lui avec des mots qui fassent justice au père, à l'époux, au conseiller, à l'ami.
On n'a pas assez de toute son humanité pour s'avancer et comprendre, pour entrer dans ce monde parallèle à l'autre, dont les accents lointains ravivent les nôtres.
On n'a pas assez de toute son humanité pour comprendre la fibre et le métier, pour relever sans questionner, pour écouter, comprendre et soigner.
On n'a pas assez de toute son humanité pour ouvrir la porte aux absents, les faire vivre dans nos pensées comme une présence en dehors du temps.
Et pourtant elle déborde, cette humanité; depuis qu'elle est plein de la tienne, Seigneur, elle est riche de ceux qui ont partagé ton chemin!
Lourde de leurs larmes, lourde de leurs joies.
Bénis cette terre ensemencée afin qu'en elle un jour Tu nous prennes aussi; qu'avec Paul, ton serviteur et notre modèle, nous retrouvions tous ceux qui ont cheminé avec nous et qui ont partagé le pain de l'amour quotidien en signe de la vie qu'ils recevaient de Toi.
Patrick Vinay
Doyen
Faculté de médecine
*Éloge prononcé au cours des funérailles du Dr Paul David le 8 avril dernier.
Le Département d'études anglaises et l'Université de Montréal viennent de perdre un de leurs professeurs les plus dévoués et les plus innovateurs. Née à New York en 1935, Dena Goldberg a fait ses études de deuxième et troisième cycle à l'Université de Wisconsin, où elle a également enseigné avant son arrivée à l'Université de Montréal en 1965. Mme Goldberg a reçu en 1994 le Prix d'excellence en enseignement de la Faculté des arts et des sciences.
Spécialiste du théâtre anglais du 17e siècle, Mme Goldberg était l'auteure d'un livre sur le dramaturge John Webster, livre qui propose une lecture inédite de l'écrivain, de son époque et des rapports entre la littérature anglaise et les institutions légales de l'Angleterre "prérévolutionnaire". Très respectée comme chercheuse, Mme Goldberg a toujours insisté pour que les fruits de ses recherches et de sa connaissance du théâtre soient partagés avec toute la société. Ainsi, bénéficiant de subventions pendant plusieurs années (Multiculturalisme Canada), Mme Goldberg a organisé et dirigé des activités théâtrales dont le but était de susciter chez les élèves du secondaire une prise de conscience du phénomène du racisme. Elle a, à plusieurs reprises, assuré la mise en scène de pièces aussi bien du Moyen Âge et de la Renaissance que de notre époque. Ces pièces étaient présentées à l'Université de Montréal et dans les églises, les rues et les parcs de la ville.
Ses collègues et ses étudiants
appréciaient particulièrement ses grandes qualités
de pédagogue. Elle excellait dans l'art de la communication
et encourageait ses étudiants à dépasser
leurs propres limites. Son enseignement était d'une très
grande originalité. Exigeante envers elle-même, passionnée
de musique, de danse et de littérature et fortement inspirée
par son travail avec les jeunes, Dena Goldberg a marqué
la vie de toute une génération d'étudiants
pendant ses 30 années à l'Université. Ses
étudiants et ses collègues en garderont un merveilleux
souvenir.