Trois des quatre membres de l'équipe de recherche sur le rehaussement culturel du cursus: Claude Lessard, spécialiste de la dimension sociologique de la profession d'enseignant; Adèle Chené, spécialiste des notions de philosophie de l'éducation; et Diane Saint-Jacques, spécialiste de la didactique des arts. Le quatrième, Clermont Gauthier, est spécialiste des théories de la pédagogie. |
"Encore une réforme en éducation!" dira-t-on. Alors que le choc de la restructuration des commissions scolaires ne s'est pas encore résorbé, que l'instauration des conseils d'établissements se fait dans la douleur et que la laïcisation est dans l'air, de nouveaux programmes d'enseignement au primaire et au secondaire commenceront à être implantés en septembre prochain.
Lancé en 1997, ce dernier volet de la réforme s'inscrit dans la suite du rapport Inchauspé, qui porte sur le contenu de l'enseignement. L'un des éléments devant faire partie de l'environnement éducatif recherché par l'énoncé de politique qui a suivi ce rapport vise le "rehaussement du niveau culturel des programmes d'études".
Mais de quoi s'agit-il au juste? "La demande ministérielle est imprécise, ambiguë, voire contradictoire, affirme Diane Saint-Jacques, professeure au Département de didactique. Dans les documents, le concept de culture peut tout aussi bien désigner les loisirs que la production humaine en général ou les habiletés intellectuelles. Une conception humaniste et promotionnelle domine, mais une conception sociologique plus large y est également présente."
Il y a suffisamment de clarifications à apporter pour justifier la mise sur pied d'un projet de recherche portant à la fois sur les attentes du ministère et sur les pratiques culturelles des enseignants du primaire afin d'évaluer s'ils sont en mesure de répondre à ces attentes.
Une équipe interdisciplinaire, composée de Clermont Gauthier, de l'Université Laval, de Claude Lessard et d'Adèle Chené, tous deux du Département d'études en éducation et d'administration de l'éducation de l'UdeM, et dirigée par Diane Saint-Jacques, a donc été constituée au sein du Labriprof (voir ci-dessous) afin de mener à bien cette étude. L'équipe vient d'obtenir pour ce faire une subvention du CRSH totalisant près de 150 000$ pour trois ans.
Trois étapes
"Le premier objectif du projet est de préciser la
demande ministérielle à la lumière des finalités
éducatives retenues par le ministère de l'Éducation,
explique Mme Saint-Jacques. En plus des imprécisions, l'énoncé
de politique ne prend pas en considération les rapports
entre la culture souhaitée, celle des enseignants, celle
des jeunes et celle du milieu. Dans un deuxième temps,
nous chercherons donc à cerner les représentations
qu'ont les enseignants du mandat ministériel: quel est
leur concept de culture et quelles sont leurs pratiques culturelles?"
Les chercheurs veulent ainsi déterminer d'éventuels effets pervers découlant de perceptions divergentes. "Si pour l'enseignant amener les élèves à la cabane à sucre est une activité culturelle alors que les attentes du ministère semblent viser le patrimoine mondial, les grandes oeuvres et la culture humaniste, on risque de passer à côté de l'objectif."
Selon Diane Saint-Jacques, une étude semblable menée en France a montré que seulement 25% des enseignants du primaire étaient en mesure de satisfaire aux exigences ministérielles en matière de transmission de la culture. "Notre intention n'est nullement de chercher à montrer que les enseignants manquent de culture, précise-t-elle, mais de mesurer où en sont les uns et les autres, de chercher comment l'enseignant peut réinvestir sa formation culturelle dans la classe et d'en évaluer l'effet sur la pédagogie."
Cette évaluation se fera par l'observation participante. Le projet de recherche comprend en effet un troisième volet qui amènera les chercheurs sur les bancs d'école afin d'observer les stratégies d'implantation du nouveau cursus dans deux écoles primaires.
Une réforme majeure
Commentant la réforme en cours, Diane Saint-Jacques la
juge extrêmement importante même si le milieu scolaire
semble être, aux yeux de plusieurs, en état de révolution
permanente.
"Les programmes du primaire et du secondaire durent généralement une dizaine d'années et ceux qui sont en usage présentement datent du début des années 1980", indique-t-elle.
Les nouveaux programmes - on parle de l'étape de l'appropriation en septembre prochain pour ceux du premier cycle du primaire et de leur implantation en l'an 2000 - suivent à la fois la tendance nord-américaine du retour à l'essentiel et la tendance européenne de l'enrichissement des matières par l'ajout de contenus culturels et intellectuels.
La professeure est par ailleurs d'avis que l'ampleur de la réforme actuelle aurait nécessité une plus longue période d'étalement.
Daniel Baril
"Le Labriprof, c'est un laboratoire de recherche et d'intervention sur les professions en éducation, explique son directeur, Claude Lessard. Sa mission est de réaliser des travaux de recherche dans le domaine des changements sociaux en éducation, d'analyser les politiques de ce secteur et d'organiser des conférences sur le sujet."
Cette unité a été créée il y a deux ans à la Faculté des sciences de l'éducation dans le contexte de la restructuration scolaire observée dans l'ensemble des pays occidentaux. Cette restructuration se caractérise notamment par une décentralisation des prises de décision, une participation accrue des parents, une professionnalisation de l'enseignement, un rehaussement de la qualité de l'enseignement et du taux de réussite scolaire.
Le Labriprof poursuit dans ce contexte un programme de recherche scientifique couvrant quatre grands axes: les discours idéologiques et les notions émergentes concernant l'éducation; les aspects conjoncturels, organisationnels et administratifs des systèmes scolaires; les pratiques et la formation des enseignants et des gestionnaires scolaires; les enjeux et fondements éthiques en éducation.
Le laboratoire, qui compte 20 chercheurs et
collaborateurs, fait partie du Centre de recherche sur la formation
et la profession enseignante, qui regroupe les unités semblables
des universités de Sherbrooke et Laval.