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Musique underground et suicide chez les ados

Éric Lacourse analyse le lien entre préférences musicales et tendances suicidaires.

C'est aux Foufounes électriques, tour à tour salle de spectacle, bar et centre culturel marginal, que l'étudiant au doctorat Éric Lacourse a rencontré Forum.

La musique heavy metal et underground rend-elle suicidaire? Éric Lacourse, étudiant au troisième cycle en psychologie, s'est posé la question et en a fait le sujet de sa thèse de doctorat, qu'il déposera officiellement au printemps prochain. "Non, répond-il. Ces mouvements musicaux se nourrissent du désespoir et de la rage des jeunes, mais ne les engendrent pas."

Les données recueillies auprès de 275 adolescents montréalais ne montrent pas de façon significative l'existence d'un lien de cause à effet entre la préférence musicale et le fait d'avoir une personnalité suicidaire. Un lien indirect semble toutefois exister. "Les jeunes âgés de 15 à 18 ans qui aiment le heavy metal ou le underground manifestent des caractéristiques associées au développement de tendances suicidaires, affirme le chercheur. Plusieurs d'entre eux consomment de la drogue et affichent une propension à l'isolement. Souvent, ils ont une piètre estime d'eux-mêmes et ressentent un sentiment d'impuissance."

Plus ils accordent d'importance à ces courants musicaux, plus les jeunes ont tendance à vénérer les idoles de l'heure comme Slayer, Death Obituary, Suffication, Hole et Smashing Pumpkins. Or, selon M. Lacourse, plus un jeune admirateur s'identifie à un groupe, plus il est enclin à intégrer son discours. "La vénération pourrait être un meilleur élément de prédiction du comportement suicidaire que le style de musique", a-t-il suggéré au cours de la présentation des résultats de sa recherche au XIVe Congrès international de sociologie.

Identification aux pairs
Adeptes du style "blouson de cuir et aigle tatoué sur le biceps" ou "boucle d'oreille à l'arcade sourcilière et fourche de pantalon aux genoux" ou encore "croix gammée et coiffure à la Mohawk", les adolescents ont une tenue vestimentaire qui correspond facilement à leurs préférences musicales. "Mais c'est la sémiotique du texte et l'interprétation de la chanson qui leur permettent de s'identifier à cette culture engagée et contestataire", explique l'étudiant. À travers la musique, ils peuvent donc exprimer la rage et le désarroi partagés par les membres d'un même groupe d'appartenance.

À l'adolescence, où le développement de l'identité est davantage influencé par les valeurs des pairs que par celles des parents, l'importance d'avoir l'air cool et l'absence de modèle adulte jugé intéressant amènent souvent les admirateurs à calquer les comportements de leurs idoles.

Le 8 avril 1994, le célèbre chanteur et guitariste Kurt Cobain, du groupe Nirvana, a été retrouvé sans vie, une balle dans la tête. "Au Québec, les médias ont rapporté trois ou quatre cas de suicides chez les jeunes qui s'étaient identifiés à l'artiste, originaire de Seattle", affirme Éric Lacourse. Aux États-Unis, plusieurs jeunes ont imité son suicide dans les semaines suivantes. Malgré les poursuites judiciaires des familles qui accusaient la malsaine influence de la vedette et de sa musique grunge sur les adolescents, la justice américaine a jugé cette corrélation abusive compte tenu du fait que les jeunes consommaient de la drogue et étaient issus de familles dysfonctionnelles.

"Un amalgame de facteurs doit être considéré dans l'analyse des tendances suicidaires. Aucune variable prise isolément ne peut être la seule explication", soutient le chercheur. La préférence pour le heavy metal ou les autres mouvements artistiques n'a donc pas plus d'impact significatif sur les comportements déviants des adolescents que l'importance que revêt la musique pour eux. Cependant, le choix musical et son taux de consommation peuvent indiquer une prédisposition à avoir un comportement suicidaire.

D'Elvis à la génération X
"Si d'autres facteurs de risque s'ajoutent, constate Éric Lacourse, les parents ont probablement raison de s'inquiéter." Un adolescent déprimé qui consomme de la drogue et s'enferme dans sa chambre pour écouter 15 heures par jour de la musique destroy pourrait être suicidaire. Mais cela ne fait pas de tous les adeptes de cette musique des suicidaires. Le suicide a des causes très complexes. "Il y a trois fois plus de tentatives de suicide chez les filles que chez les garçons, déclare le chercheur. Comme si la tentative était mal perçue par les adolescents, alors que chez les adolescentes elle s'apparente à un appel à l'aide."

Ce n'est pas d'hier qu'on reproche aux mouvements musicaux marginaux d'inciter les adolescents à avoir des comportements déviants. Dans les années 1950, les gens étaient outrés par la musique rock and roll et les déhanchements d'Elvis Presley. Aujourd'hui, on en rigole! N'empêche... En cette fin de millénaire, le problème est plus grave: le manque d'idéal de la génération X amène les jeunes à emprunter la route de la désinvolture, faute de pouvoir donner un sens à leur vie.

"La musique est en quelque sorte le miroir de notre société et de ses problèmes, observe M. Lacourse. La consommation de drogues, les familles éclatées, le VIH, le taxage dans les écoles et les études qui mènent on ne sait trop où font partie de notre triste réalité. S'il y a quelque chose qui doit être banni, ce n'est pas la musique marginale mais plutôt ces problèmes."

Dominique Nancy
Collaboration spéciale



Heavy metal, grunge, alternative, death metal...

La musique underground, popularisée vers la fin des années 1970 par des formations britanniques comme les Sex Pistols et Clash, est un mélange de genres avec une touche cybernétique. Selon Éric Lacourse, le terme underground est un peu galvaudé, car ce style de musique a pris bien des formes à travers les époques. Il regroupe autant les sous-cultures "alternative" et "punk" que "grunge" et "industrielle".

"Tout comme dans le heavy metal, dit Éric Lacourse, les chanteurs 'punk' ou 'alternatifs' se sentent obligés de crier au lieu de chanter pour expurger leur sentiment d'impuissance et leur colère. Mais le heavy metal comprend trois niveaux d'impétuosité associés à des styles différents: le 'classique', le 'speed' et le 'death metal'", précise celui qui avoue avoir été dans sa jeunesse un admirateur de Metalica.

En général, semble-t-il, les groupes heavy metal n'émettent pas d'opinions de manière péremptoire comme dans le rap, mais le contenu de leurs chansons dépeint, dans un langage cru, des scènes de violence. La chanson Sex, Rape and Strangle, des Cannibal Corpse, la plus extrême des formations de la catégorie "death metal", va jusqu'à décrire explicitement un viol. "Les créations musicales américaines et britanniques parlent beaucoup de la violence, car elle fait partie du quotidien des jeunes", soulique Éric Lacourse.

D.N.


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