Franz Lang est mondialement réputé pour ses travaux sur le génome des mitochondries, ces organites qui jouent un rôle dans le métabolisme de l'énergie. |
En 35 ans, soit un peu moins que l'âge de la science qui lui a donné son nom, le Département de biochimie de l'Université de Montréal s'est propulsé sur la scène internationale, où il s'illustre parmi les plus gros joueurs des États-Unis, d'Europe ou du Japon.
Depuis le début de l'année 1999, deux chercheurs du Département, Franz Lang et Steven Michnick, ont particulièrement attiré l'attention en publiant des textes dans la revue Science 1. Dans un autre laboratoire, Tony Antakly a mis au point une molécule qui pourrait stopper le développement du sarcome de Kaposi. Il y a aussi Léa Brakier Gingras, qui a breveté une molécule prometteuse pour le traitement du sida; Jurgen Sygush qui fait voyager ses cristaux protéiques dans la navette spatiale américaine pour étudier les effets de la microgravité; Jacques Drouin dont la qualité des travaux vient d'être reconnue par l'attribution de la chaire Glaxo-Wellcome; et une dizaine d'autres chercheurs tout aussi dynamiques les uns que les autres.
Selon une étude du Bureau de la recherche institutionnelle, les professeurs du Département de biochimie ont obtenu, en 1996-1997, en moyenne 420 000$ de fonds de recherche. C'est près de quatre fois la somme recueillie par les chercheurs en santé de l'Université de Montréal, l'une des trois meilleures au Canada en la matière.
"Comment expliquer notre succès? D'une part, il faut dire que la discipline est elle-même en pleine expansion depuis quelques années. D'autre part, je crois que nous avons fait les bons choix d'axes de recherche", explique le directeur du Département, Michel Bouvier, lui-même spécialiste en pharmacologie moléculaire et titulaire de la chaire Hans-Selye, qui dispose d'un capital de 2,5 millions.
Les 15 chercheurs du Département proviennent des quatre coins du monde et, s'ils ont choisi de s'établir à Montréal, ce n'est pas en raison du climat. C'est que le contexte scientifique leur apparaît favorable. Quant à Michel Bouvier, il est l'un des seuls à avoir obtenu son baccalauréat en biochimie à l'Université de Montréal avant de poursuivre ses études postdoctorales à l'étranger. Avait-il prévu d'occuper un jour le bureau du directeur? "Si l'on m'avait dit ça au début de mon baccalauréat, en 1976, je ne l'aurais pas cru", affirme-t-il en riant.
Pas de clonage
Pas de clonage d'embryons ni d'expériences à la
Frankenstein au Département de biochimie. "Par contre,
des manipulations génétiques, nous en faisons chaque
jour", dit le chercheur. Du clonage aussi, évidemment...
mais du clonage de gènes permettant de les séquencer
et d'étudier leurs fonctions.
"La biologie moléculaire, c'est l'étude des origines de la vie. Cela comporte un aspect très fondamental visant à décoder le secret de la vie. Il y a aussi un aspect plus appliqué, car nous pouvons chercher des moyens d'intervenir directement sur des problèmes cliniques ou environnementaux."
De manière complémentaire, les contributions de ses deux collègues à la revue Science apportent un éclairage nouveau sur les connaissances en biochimie.
Franz Lang
Franz Lang s'intéresse depuis longtemps au génome
des mitochondries, ces organites qui jouent un rôle dans
le métabolisme de l'énergie. Son laboratoire est
même reconnu comme l'un des plus productifs au monde en
matière de séquençage. Nature écrivait
en effet, en 1997, que l'Organelle Genome Sequencing Program était
une "fabuleuse réussite" qui avait permis d'apporter
"une grande source d'information pour mieux connaître
la phylogénie des eucaryotes".
C'est la revue Science qui a demandé à M. Lang d'écrire un texte sur l'origine des mitochondries. On sait qu'une partie des gènes essentiels à la formation des mitochondries provient des ancêtres bactériens. Tenter de les replacer dans leur ordre d'apparition permet donc aux chercheurs de remonter, en quelque sorte, dans le temps.
"Pendant plusieurs années, explique Franz Lang, nous avons essayé de nous bâtir une réputation du côté des petits génomes. Je dirais que nous récoltons aujourd'hui le fruit de nos efforts. Nous sommes bien financés, et plusieurs publications internationales nous commandent des articles."
En privilégiant les recherches sur l'origine des eucaryotes (cellules avec noyau) plutôt que l'étude du génome humain, plus "prestigieuse" mais beaucoup plus complexe, le professeur Lang et son équipe ont trouvé une niche qu'ils occupent avec force.
Steven Michnick |
Les travaux de Steven Michnick sont, eux, un peu plus près de l'application chez l'humain. Même si les quelque 100 000 gènes humains seront séquencés d'ici l'an 2003, ce qui occupe un grand nombre de laboratoires, on ne sait pas encore à quoi sert la très grande partie de ces gènes. "Un peu comme si l'on découvrait la Bible avec les pages et les lettres dans le désordre. Même les mots ne sont pas complets", dit Michel Bouvier.
Comment rendre tout cela intelligible? C'est la question à laquelle s'attaqueront les généticiens d'ici les prochaines décennies en créant une nouvelle discipline connue sous le nom de "génomique fonctionnelle" ou "protéonomique". Steven Michnick a mis au point le Protein Fragment Complementation Assay (PCA), une méthode qui permet de partir d'un gène connu pour explorer son rôle dans l'expression des fonctions biologiques. Cette technique révèle par fluorescence l'activité enzymatique lorsque les produits de deux gènes interagissent.
On sait en effet que les produits des gènes (les protéines) doivent interagir entre eux pour conférer à l'organisme certains caractères biologiques comme la couleur des yeux. Le problème, c'est qu'on ignore lesquels. Avec 100 000 gènes, cela donne des milliards de possibilités. Le PCA de Steven Michnick aidera à déchiffrer l'information stratégique qui est échangée d'une protéine à l'autre et permettra de désigner les partenaires spécifiques d'un gène donné.
Michel Bouvier |
La grande révolution que constitue l'explosion des connaissances en biologie cellulaire inquiète certains observateurs. Pour Michel Bouvier, elle permettra d'améliorer la qualité de la vie tout en ouvrant de nouvelles portes sur la connaissance du vivant. À la condition de ne pas transgresser certains interdits, comme la modification de l'espèce humaine par les thérapies germinales. Pour le biochimiste, la limite est là. "C'est un non et non!"
De toute façon, ajoute-t-il, la recherche consiste fondamentalement à tenter de comprendre comment les choses fonctionnent. Et quand il s'agit des origines de la vie, "c'est déjà une quête philosophique".
Mathieu-Robert Sauvé
1 Stephen Michnick et coll., "Erythropoietin Receptor
Activation by a Ligand-Induced Conformation Change", Science,
19 février 1999, p. 990; Franz Lang et coll., "Mitochondrial
Evolution", Science, 5mars1999, p. 1475.