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De la perception des couleurs à l'oxygénation du sang

Jocelyn Faubert crée un appareil qui mesure l'oxygène dans le sang.

Les deux inventeurs du "on-line spectroreflectometry oxygenation measurement in the eye", récemment breveté: l'étudiant en génie biomédical Vasile Diaconu (à gauche) et le professeur à l'École d'optométrie Jocelyn Faubert (à droite).

Au cours de ses recherches sur la perception visuelle du mouvement et des couleurs, Jocelyn Faubert, professeur à l'École d'optométrie, a mis au point, avec l'étudiant en génie biomédical Vasile Diaconu, un appareil portatif qui pourrait révolutionner la mesure du taux d'oxygénation dans le sang. Cette invention est l'une des 10 découvertes de l'année 1998 de la revue Québec Science.

Breveté par l'organisme américain US Patent en novembre dernier, le "on-line spectroreflectometry oxygenation measurement in the eye" (OSOME) permet de déterminer le taux d'oxygène dans les molécules d'hémoglobine qui circulent autour du nerf optique. En un clin d'oeil, pourrait-on dire, l'OSOME mesure ce taux avec précision, de façon non invasive et en temps réel.

On sait depuis longtemps que, si l'oxygène cesse d'être acheminé au cortex pendant plus de 10 minutes, un coma irréversible ou un état de mort cérébrale peut survenir. Les techniques actuellement disponibles pour mesurer l'oxygénation dans le système sanguin sont longues ou invasives. L'utilité de cette machine dépasse donc largement les sciences de la vision.

Comme dans le cas des plus grandes découvertes, l'équipe du Laboratoire de psychophysique et perception ne visait pas au départ à mettre au point un tel appareil. Pour le professeur Faubert et son étudiant rattaché à l'Institut de génie biomédical, il s'agissait de documenter l'activité physiologique de l'oeil face à un spectre de couleur. Mais quand le directeur du Laboratoire s'est aperçu que leur système était assez sensible pour calculer la différence entre le nombre de photons qui pénètrent dans l'oeil et ceux qui en sortent, il a décidé d'exploiter ce filon. Preuve de la pertinence de la découverte, l'homologation du brevet s'est faite en un temps record.

Tout est perception
En attendant la mise en marché de cet appareil qui pourrait faire beaucoup parler de lui, Jocelyn Faubert poursuit des recherches sur la perception des couleurs, un domaine très spécialisé qui ne compte que quelques laboratoires dans le monde. "Pourquoi est-ce si compliqué? Parce que ce que nous étudions fait appel aux propriétés physiques des ondes lumineuses, aux neurosciences, au génie biomédical et, évidemment, à l'optométrie et à l'ophtalmologie. C'est un domaine où de nombreuses disciplines entrent en ligne de compte."

Arrivé à l'Université de Montréal en 1991 après des études en psychologie aux universités Concordia et Harvard, Jocelyn Faubert est parmi les chercheurs qui font connaître l'École d'optométrie sur la scène scientifique nord-américaine. Récemment, il a publié une étude fort remarquée sur une illusion d'optique (voir l'encadré).

"Tout est perception, dit le spécialiste en neuropsychologie expérimentale. La réalité physique semble limitée à ce que nous percevons. Cela a d'ailleurs longtemps posé des problèmes d'ordre philosophique. La réalité est-elle réductible à ce que nous voyons? Les empiristes disaient que oui, jusqu'à ce que nous comprenions qu'il est possible de percevoir des choses que nous ne voyons pas."

Aujourd'hui, même l'expansion de l'univers s'explique par la circulation des ondes de longueurs variables. Récemment, la sonde Pathfinder, qui a transmis des images de la planète Mars, a permis aux spécialistes de la NASA de savoir quels cailloux jonchaient le sol de cet astre lointain. "Chaque minéral émet un spectre particulier, explique Jocelyn Faubert. On n'a qu'à l'enregistrer."

De la galère à un postdoctorat à Harvard
Si, à 39 ans, Jocelyn Faubert a le profil d'un brillant universitaire qui participe à des jurys de thèse, siège à des comités d'études supérieures et publie dans d'importantes revues savantes, il n'en a pas toujours été ainsi. À l'âge où il aurait dû entrer à l'université, il a choisi de partir pour une destination inconnue, avec son balluchon sur l'épaule. Il n'en est revenu que trois ans plus tard. "Je suis parti en stop pour l'Ouest canadien. J'ai couché dans des fossés, fait 36 métiers. Un vrai décrocheur", dit-il en riant.

Voyant que les automobilistes n'étaient pas prompts à le prendre à leur bord - "il faut dire que j'avais les cheveux pas mal longs!" -, il trouve un moyen impayable pour gagner les Prairies: le train. "La troisième locomotive des convois de marchandises est toujours vide, dit-il. On y montait en courant et c'était gagné. Cuisinette, salle de toilette privée, sièges rembourrés: la première classe!"

Son périple prend fin lorsqu'il décide, un beau matin, de faire un retour aux études. Coup sur coup, il termine son baccalauréat (1984), sa maîtrise (1986), puis son doctorat (1991) avant de poursuivre un post-doctorat au département de psychologie à l'Université Harvard. Il est engagé ensuite à l'Université de Montréal, où il est professeur agrégé depuis 1995.

Lorsqu'il a commencé à étudier la vision chez les personnes âgées, dans le cadre de ses études de maîtrise, il a compris que l'oeil serait pour longtemps sa passion. "L'oeil est le miroir du cerveau, dit Jocelyn Faubert. Ce n'est pas pour rien que la plus grande partie de notre cortex travaille à l'analyse de l'image."

Mathieu-Robert Sauvé


Expliquer une illusion d'optique

L'oeil est presque exclusivement composé de neurones. Cela en fait, d'après les mots de Jocelyn Faubert, une "excroissance du cerveau". Pourtant, les scientifiques connaissent mal cet organe extrêmement sensible que le laboratoire de l'École d'optométrie contribue à démystifier.

L'oeil reconstruit l'image chaque fois que la paupière laisse passer la lumière. Après une longue nuit de sommeil, bien sûr, mais aussi à chaque clignement des paupières. On sait que l'image est décomposée en cinq éléments avant d'être reconstruite dans notre tête: la luminosité, la couleur, la texture, la profondeur et le mouvement.

Durant le réflexe pupillaire, qui a lieu plusieurs fois par minute, l'image est ainsi reconstruite sans que nous en prenions connaissance, un peu comme si l'on appuyait sur un bouton "Reset". Mais lorsque nous clignons des yeux près d'une image comme celle ci-jointe, la reconstruction devient visible puisque la "roue" semble tourner. L'illusion a été observée chez 200 sujets. La quasi-totalité (99%) ont expérimenté l'illusion, particulièrement évidente en vision périphérique.

L'hypothèse des auteurs (Jocelyn Faubert et Andrew Herbert) était toutefois que l'illusion n'était possible que si les dégradés de cônes allant du noir au blanc ne s'opposaient pas. Dans le cas contraire, la "roue" ne tournerait pas. L'expérience a permis de confirmer l'hypothèse.

M.-R.S.


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