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Feu au Département de chimie



Les dégâts matériels sont importants, mais le pire a été évité

L'incendie en chimie rappelle l'importance des mesures de prévention.

Vendredi, 3 juillet 1998, 18 h 45. Un étudiant stagiaire nettoie le laboratoire où il travaille depuis le matin. Pour accélérer l'évaporation de quatre litres d'acétone répandus sur le sol, il décide d'employer un séchoir électrique réservé à d'autres usages. Boum! Le laboratoire de chimie organique s'enflamme. Brûlé aux mains et au visage, le stagiaire retire son sarrau en feu et se précipite sous la douche d'urgence.

Alors que l'incendie se propage dans une partie de l'aile E, au septième étage du Pavillon principal, le jeune homme signale le 7771, numéro de la Sûreté. Étonnamment, la ligne est occupée. On apprendra plus tard que l'agent en service était déjà en communication avec le Service des incendies de la Ville de Montréal, car une alarme automatique avait signalé la présence de fumée.

L'appel est reçu à 18 h 52. À 19 h 06, les premiers pompiers prennent d'assaut l'escalier en colimaçon du Pavillon principal. L'escouade Hazmat (acronyme de «hazardous material») a pris les choses en main.

«Je venais de rentrer du travail quand on m'a averti, raconte Marius D'Amboise, directeur du Département de chimie. J'ai repris ma voiture en direction du campus. De l'autoroute, on voyait les reflets des gyrophares sur l'immeuble. Une cinquantaine de camions étaient garés dans la cour d'honneur et le long du chemin de la Tour. Il y avait aussi des ambulances, des voitures de police et des véhicules d'Hydro-Québec et de Gaz métropolitain. J'ai dû, en quelques minutes, apprendre à gérer une crise.»

Une intervention rapide

Rapidement, M. D'Amboise a mis les pompiers en relation avec les représentants de la section Santé et sécurité au travail. Dans les jours suivants, il a organisé des réunions d'information pour le personnel du Département et pour les autres utilisateurs du Pavillon afin de les rassurer. Il a communiqué avec les professeurs touchés et le rectorat. Pour éviter les dérapages journalistiques (le Journal de Montréal avait parti le bal en titrant: «Sa "trouvaille" lui explose au visage»), le vice-recteur aux affaires publiques est devenu le porte-parole de l'Université. Bref, en quelques heures, il a fallu penser à tout.

Pour ce chimiste qui fréquente le campus depuis plus de 41 ans, c'était certainement le début juillet le plus chaud de sa carrière...

L'intervention des sapeurs a été rapide et efficace. En 30 minutes, le feu était circonscrit. Mais l'eau a causé des dommages importants, notamment aux étages inférieurs. «Le laboratoire E-705, sous la responsabilité d'André Charette, a été détruit complètement, et quatre autres laboratoires ainsi qu'un bureau de travail ont subi des dégâts causés par l'eau et la fumée», explique M. D'Amboise.

Par ailleurs, l'alimentation électrique a été interrompue dans l'ensemble du Pavillon, ce qui pourrait avoir des conséquences sur des expériences en cours dans d'autres laboratoires. «Il est encore trop tôt pour le dire, affirme le professeur. Quoi qu'il en soit, nous avons pris nos précautions afin de préserver la santé des personnes qui travaillent dans le Pavillon. Il y a d'abord eu évacuation, puis installation d'un périmètre de sécurité. Vers 23 h, tout était revenu à la normale pour la plupart des gens. Mais nous n'avons pas pris de risques. L'eau ayant servi à l'arrosage a été récupérée par une entreprise spécialisée, Sani-Mobile, afin de ne pas contaminer les égouts.»

S'il est encore tôt pour donner des chiffres précis, les dommages matériels sont évalués à plusieurs centaines de milliers de dollars. Mais le pire a été évité et il n'y a eu qu'un seul blessé. «Le jeune homme a obtenu son congé de l'Hôtel-Dieu après environ un mois, relate M. D'Amboise. Il a reçu une greffe de peau sur la main et le bras droits, brûlés au deuxième degré. Mais au visage, on ne parle que d'une brûlure au premier degré, ce qui équivaut à un bon coup de soleil.»

Mieux encore, son moral semble à toute épreuve. L'étudiant de 21 ans en deuxième année de baccalauréat a même hâte de poursuivre ses études. «Bien sûr qu'il va revenir travailler avec nous, explique son patron, M.Charette. Nous considérons cela comme un accident. Ce sont des choses qui arrivent. En chimie organique, le risque n'est pas nul.»

Dégâts limités

Cela dit, les équipes de recherche des laboratoires touchés ont dû être payés pendant plusieurs semaines sans mettre le pied à l'Université. Dans l'équipe du professeur Charette, 16 personnes ont été relocalisées et 5 n'ont toujours pas retrouvé leur laboratoire.

Par bonheur, l'incendie a été maîtrisé avant que la valve des bonbonnes renfermant différents gaz fonde sous la chaleur. Les conséquences auraient pu être catastrophiques. «Cette bonbonne d'hydrogène, par exemple, explique M. D'Amboise dans un laboratoire rénové, aurait pu se transformer en fusée.»

Cependant, les portes coupe-feu ont empêché les flammes d'atteindre l'entrepôt du Département de chimie, qui contient jusqu'à 1200 litres de solvant inflammable. Et de l'autre côté du corridor du E-705, le laboratoire de Pham Viet Tan, spécialisé en résonance magnétique nucléaire, compte quatre appareils de haute technologie qui valent plus de deux millions de dollars. Seuls des accessoires reliés à ces appareils ont dû être changés.

Le fait que l'incendie soit survenu un vendredi soir d'été, alors que le campus était pratiquement désert, a également permis de limiter les dégâts. Mais certains étudiants en chimie ont la réputation de vivre dans leur laboratoire et de ne passer qu'en coup de vent à leur propre logement. Certains d'entre eux ont perdu des objets dans l'incendie.

«La leçon que je tire de cette expérience, c'est que le risque zéro n'existe pas, commente M. D'Amboise. Vous savez, c'est le premier incendie de cette importance en 80 ans d'histoire au Département de chimie. Or, quand il n'arrive rien, on fait moins attention. Par exemple, je ne me souviens pas d'un seul exercice d'évacuation en deux ans dans ce pavillon. Puis, on ne prenait pas toujours les présences lors des stages de formation des nouveaux étudiants. Cet incident aura eu pour effet de remettre nos pendules à l'heure.»

M. D'Amboise souligne qu'il a pu compter sur la collaboration de plusieurs personnes durant cette crise, particulièrement les responsables des laboratoires touchés ainsi que leurs employés et leurs étudiants. Le personnel de la section Santé et sécurité au travail (voir texte ci-contre) a été également très efficace. «Je ne veux nommer personne, de crainte d'oublier des noms, mais la collaboration de tous a été extraordinaire.»

Mathieu-Robert Sauvé



13 000 produits dangereux mais, heureusement, très peu d'accidents

L'équipe de la section Santé et sécurité au travail veille sur les matières dangereuses.

«Des incidents comme celui du 3 juillet, on en voit deux ou trois fois par mois. Sauf que nous intervenons avant que le feu se déclare», lance Denis Tardif, coordonnateur de l'équipe d'urgence de la section Santé et sécurité au travail.

L'erreur est humaine, rappelle le biologiste de formation qui s'occupe de cette section depuis 1990. Quand une personne déverse accidentellement des solvants ou tout autre produit chimique, elle doit quitter la pièce, après avoir invité ses collègues à faire de même, et fermer la porte derrière elle. Sans perdre de temps, elle composera ensuite le 7771 (ou le 343-7771 sans frais à partir d'un téléphone public) afin de rapporter l'incident.

Quelques secondes plus tard, le téléavertisseur ou le téléphone portatif de M. Tardif va sonner et ce dernier va se diriger vers le lieu de l'incident avec ses gants spéciaux, son masque à gaz et ses sacs de matière absorbante. «Hier encore, vers 16 h, nous avons été appelés pour un déversement d'acétate d'éthyle, un solvant inflammable. À peine 15 minutes plus tard, tout était terminé. Pour nous, c'est la routine. Nous avons même du plaisir à faire notre travail alors que les gens qui donnent l'alerte sont stressés, nerveux, se sentent coupables.»

Le recours à cette section spéciale peut faire la différence entre un incendie majeur - l'alerte du 3 juillet a vu 47 camions de pompiers converger vers le Département de chimie - et une opération de routine qui s'achève dans la bonne humeur en un tour de main.

Esprit d'équipe et bonne humeur

Il suffit de passer une heure à la section Santé et sécurité au travail pour constater que l'esprit d'équipe y est à son meilleur. «Il est important d'avoir une bonne cohésion et une totale confiance en ses collègues, signale le coordonnateur. Vingt-quatre heures par jour, l'un d'entre nous est de garde et dort même avec son téléavertisseur. D'ailleurs, la moitié des appels sont reçus durant les heures silencieuses, entre 17 h et 8 h. Lors de l'incendie du 3 juillet, j'ai passé la soirée en contact téléphonique avec mon équipe. J'étais pourtant au milieu de la Gaspésie, en vacances.»

Même si une bonne partie des interventions sont faites en équipe, chacun des membres possède une expertise particulière. C'est Isabelle Cazes qu'on appelle quand il faut manipuler les produits radioactifs; Carole Savoie, qui vient d'obtenir son doctorat en chimie, est l'experte des risques chimiques, comme Suzanne Deguire, qui est actuellement en congé de maternité. L'équipe compte aussi le chimiste Siméon Sokoloff, le conseiller en prévention Pierre Beaulne et le mathématicien-physicien Patrick Lafrance. Quant à Denis Tardif, on s'en remet à lui pour les risques biologiques.

«Il y a 55000 produits, dont 13000 différents sur le campus de l'Université de Montréal, reprend Denis Tardif. Nous devons avoir une idée la plus précise possible des risques que cela représente.»

Depuis trois ans, la section a pris l'initiative de placer des affichettes jaunes à l'entrée de tout local qui renferme des matières dangereuses regroupées en trois catégories: risques chimiques, biorisque et radioactivité. Eux-mêmes sont subdivisés en niveaux faible, modéré ou élevé. De plus, à l'arrière de la porte, une quatrième affichette indique le nom des personnes responsables et leur numéro de téléphone.

Le personnel déploie beaucoup d'énergie à inventorier les risques. Une visite annuelle est de mise pour les laboratoires à risque faible; une visite par trimestre pour les risques modérés et une visite mensuelle en cas de risques élevés. «Nous passons environ 50% de notre temps à visiter les laboratoires afin de classer les matières dangereuses», signale M. Tardif.

Un formidable hasard a voulu que la veille de l'incendie du 3 juillet Carole Savoie soit passée au E-705 afin de mettre à jour les données. Cette précision s'est avérée utile pour les pompiers, qui ont pu ainsi savoir devant quels produits ils se trouvaient.

Application, formation et prévention

Derrière un millier de portes, de 60% à 70% des chercheurs de l'Université de Montréal manipulent des matières dangereuses. Ils doivent le faire dans des conditions sécuritaires, et c'est le rôle de la section Santé et sécurité au travail d'y voir. Elle doit également parfaire la formation des personnes qui ont à manipuler ces matières. Ces activités de prévention vont jusqu'à prévoir la collaboration d'hôpitaux dans le cas de «risques spécifiques».

Par exemple, le Pavillon Notre-Dame du CHUM peut traiter les victimes de morsures d'animaux de laboratoire, alors que le Pavillon Saint-Luc peut accueillir les victimes d'infection au VIH. Une entente est en cours pour qu'un autre centre hospitalier puisse accueillir d'éventuelles victimes d'une surdose de radiations.

Mais la plus grosse partie du budget de la section (environ 100000$) est consacrée à la gestion des déchets. «À titre d'exemple, nous sommes tenus au courant de tous les produits radioactifs qui entrent à l'Université. Quand leur usage scientifique est terminé, nous en disposons selon les règles en vigueur. Même chose pour les produits chimiques qui doivent être éliminés d'une façon très réglementée. Nous sommes des environnementalistes, vous savez.»

Deux salles bien ventilées (30 changements d'air à l'heure, précise M. Tardif) et à l'épreuve des explosions reçoivent les déchets biologiques, chimiques et radioactifs. Sur une tablette, les résidus du déversement de solvant de la veille tenaient dans un petit sac de plastique. Plus pratique que de déplacer 47 camions de pompiers.

Mathieu-Robert Sauvé


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