Colloque sur la nationalité et la citoyenneté |
Michel Seymour |
Des anglophones de Montréal et des nations autochtones du Nunavik évoquent le droit à l'autodétermination auprès d'un gouvernement provincial sécessionniste. Celui-ci dispute son autonomie à un gouvernement fédéral libre-échangiste favorable à la souveraineté des républiques slaves et à l'union européenne. On comprend pourquoi le Québec est souvent qualifié de "laboratoire du pluralisme culturel".
Les universités canadiennes forment une école de pensée réputée internationalement pour leur réflexion sur les questions d'identité. Pourtant, le meilleur pays du monde n'a pas le monopole des intellectuels qui s'interrogent sur le statut des minorités, la nationalité et la citoyenneté.
Ces questions sont parmi les plus brûlantes actuellement en Europe, notamment, où des groupes culturels s'affrontent dans la violence. Ce qui n'empêche pas les unionistes de célébrer la venue de la nouvelle monnaie, l'Euro...
Professeur au Département de philosophie et spécialiste de la citoyenneté, Michel Seymour a décidé de battre le fer tant qu'il est chaud et d'organiser un colloque international sur ces questions, qui s'est tenu du 21 au 23 mai dernier à la maison de la culture Côte-des-Neiges. Vingt-six participants, dont 18 conférenciers venus de cinq pays, ont pris part à l'événement fort couru par l'élite intellectuelle québécoise. Plus de 500 personnes auraient assisté, au to-tal, aux conférences.
Micheline Labelle, professeure de sociologie à l'UQAM, a lancé les discussions de la première séance portant sur les minorités en soulignant de manière amusante qu'en Grande-Bretagne on parle de minorités "ethniques", aux États-Unis de minorités "raciales" et au Québec de minorités "visibles".
Dans une analyse savante, le philosophe Daniel Weinstock a traité des tensions entre les minorités et la majorité. À son avis, les droits collectifs peuvent donner lieu à un foisonnement de revendications qui pourraient mener au désordre social. Permettre à toutes les minorités d'accéder à l'autodétermination, c'est ouvrir une boîte de Pandore, estime M. Weinstock en s'appuyant sur la pensée du philosophe politique de l'heure, le Canadien Will Kymlicka.
Professeure à l'Université de Waterloo, Margaret Moore a opposé quant à elle l'argument du droit intrinsèque à l'autodétermination aux arguments ethniques et culturels. Selon elle, l'identité nationale demeure une notion fragile porteuse de conflits. "Pourquoi les Québécois qui réclament l'autodétermination refuseraient-ils ce droit aux autochtones sur leur territoire?" a-t-elle demandé.
Elle a cité un auteur anglais qui estimait que, pour avoir une identité britannique, il fallait être protestant. Bien que choquante, cette affirmation demeure pertinente, car le Royaume-Uni est en partie divisé en fonction de l'appartenance religieuse.
Pour sa part, Henri Giordan, directeur de recherche au CNRS à Montpellier, a rappelé que la notion de minorité était absente des grands traités internationaux, malgré des efforts répétés depuis la Deuxième Guerre mondiale. "Il est important, pour nous intellectuels, de ne pas sous-estimer la gravité de ces notions. Si nous ne le faisons pas, nous pourrions jouer le jeu des États qui ne veulent pas reconnaître de droits aux minorités."
Organisé par le tout nouveau Groupe de recherche sur le nationalisme, le colloque a atteint son sommet de participation avec la table ronde du samedi soir, à laquelle prenait part le philosophe français Alain Finkielkraut. La petite librairie Olivieri affichait complet puisque les 150 billets avaient été vendus.
Michel Seymour relate les beaux échanges que cette rencontre a engendrés. "Nous avons assisté à un débat captivant entre Alain Finkielkraut, Gérard Bouchard, Thierry Hentsch et Anne Légaré. Une soirée à la Bernard Pivot."
Les actes du colloque, de même qu'une transcription de cet échange mémorable, seront disponibles d'ici un an. Et possiblement même, rêve M. Seymour, avant Noël prochain.
Quoi qu'il en soit, ce dernier se dit enchanté du succès obtenu par le colloque organisé à toute vapeur dès l'automne dernier. Ayant manqué de justesse la date limite pour obtenir une subvention du Conseil de recherches en sciences humaines, il a décidé d'aller de l'avant malgré tout.
Une cinquantaine de lettres et au moins 150 appels téléphoniques plus tard, il avait rassemblé 12 commanditaires, dont trois ministères, un syndicat, un éditeur et deux universités. De quoi financer la participation de plusieurs conférenciers de haut calibre.
Mathieu-Robert Sauvé