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Pourquoi faire une maîtrise ou un doctorat?

Dans l'ordre habituel, Paul Jay, François-Marc Gagnon, Micheline Cambron, Nicole Bégin-Heick, Yves Ducharme (à l'arrière-plan) et Pascale Dufour.

Si des tests antidopage avaient existé à l'entrée des cours, l'astrophysicien Hubert Reeves aurait pu en être exclu à quelques reprises. "Il fallait être mourant pour sécher un cours. Quand nous étions fiévreux ou grippés, nous nous bourrions d'amphétamines et nous allions à l'université", a-t-il raconté à la conférence de clôture du colloque sur les études supérieures le 8 avril dernier.

Ce n'est pas par obligation que le thésard de Cornell se rendait sur les bancs d'école mais bien par pure passion. "Je me souviens que nous allions faire du ski avec nos professeurs le samedi. Au sommet, il nous arrivait de discuter de certains problèmes de physique ou de mathématiques. Nous sortions nos papiers et en débattions sur-le-champ. J'avais l'impression d'être dans une version contemporaine de l'agora grecque. Peut-être à cause du nom de la montagne: Greek Peak."

C'est sur un mode anecdotique que le célèbre astrophysicien a choisi de livrer son témoignage sur les études supérieures. On comprend que les grands discours n'ont pas d'intérêt à ses yeux. La formation générale, pour lui, c'est son directeur de thèse qui le force à étudier une branche des mathématiques sans aucun lien avec son sujet de recherche. L'interdisciplinarité, c'est assister un jour à un séminaire sur des fouilles archéologiques et le lendemain à une conférence sur la physique quantique.

"Le principe des études supérieures, c'est qu'on y apprend à apprendre", conclut l'homme de science.

 

Une historienne qui dessine

Hubert Reeves

Susan Mann

Hubert Reeves partageait la tribune de la conférence de clôture, présidée par le recteur René Simard, avec une historienne de l'Université York: Susan Mann. C'est à l'aide du bon vieux tableau noir que cette petite femme pleine d'énergie a exposé sa pensée. Ironique et parfois mordante, elle a parlé de l'importance de maintenir l'équilibre entre savoir pur (scholarship), université et société.

Selon elle, les études supérieures ne sont plus ce qu'elles étaient. Elles font face à un défi de taille: "Survivre et mûrir en évitant le pourrissement."

Par pourrissement, Mme Mann entend la surspécialisation, le langage hermétique, la mercantilisation du savoir, l'abus de pouvoir des professeurs envers leurs étudiants et particulièrement leurs étudiantes, etc. Par mûrissement, elle entend le développement des études interdisciplinaires, les programmes d'études sur les femmes, etc.

Fêter la Faculté des études supérieures, c'est bien, a-t-elle résumé, mais il faut surtout éviter de voir celle-ci se perdre dans le pourrissement.

 

Surspécialisation: non merci!

Des maîtrises et des doctorats: pour quoi faire? C'est la question que se sont posée en début d'après-midi les participants à une table ronde animée par François-Marc Gagnon. "Cette question, je me la pose souvent quand je rencontre des anciens étudiants en histoire de l'art devenus chauffeurs de taxi ou directeur de garderie", a dit le professeur.

Pascale Dufour, étudiante au doctorat en science politique, y croit, elle, à la valeur des diplômes. "La situation est difficile, oui, si on la compare au passé. Mais par rapport à celle des autres jeunes Québécois, elle n'est pas si mal que ça pour les diplômés universitaires."

Nicole Bégin-Heick, du Conseil des universités de l'Ontario, a rappelé qu'une étude publiée aux États-Unis en 1995 avait provoqué une petite commotion dans le monde des études supérieures. On y disait que le temps d'obtention d'un diplôme était de plus en plus long et les spécialités, de plus en plus pointues. Par exemple, 50% des étudiants mettent plus de 2,8 années pour terminer leur maîtrise et 50%, plus de 5,8 ans pour leur doctorat.

Il y a aussi un malaise dans les relations entre les professeurs et leurs étudiants les plus brillants. Engagés comme assistants de recherche de façon temporaire, ils allongent parfois indéfiniment leur temps d'étude. Mais sans espoir de trouver un vrai boulot en recherche...

Le témoignage le plus inspiré de l'après-midi revient à Micheline Cambron, professeure au Département d'études françaises. Dans le texte qu'elle a écrit pour l'occasion, Mme Cambron a tracé un parallèle entre la mission universitaire et la commercialisation du savoir. "C'est bien connu: nous, en études françaises, ne produisons aucun objet. Que du discours. Pourtant, nos anciens étudiants se retrouvent dans tous les secteurs de la société: télévision, publicité, affaires, Internet. Ils écrivent même à l'occasion les discours de nos politiciens..."

Selon elle, nul ne veut répéter pendant 20 ans les conclusions d'une thèse sur Mallarmé. C'est le processus qui compte. "Il s'agit de jeter les bases d'une érudition qu'on mettra toute sa vie à acquérir."

Sans aucun doute, c'est une tête bien faite et non une tête bien pleine qu'on souhaite attirer du côté de l'entreprise privée. Yves Ducharme, du Centre de recherche thérapeutique Merck-Frosst, a affirmé que les universités qui ont créé des départements "sur mesure" pour répondre à des centres comme le sien ont manqué le bateau. "On n'engage pas les diplômés de ces départements de chimie thérapeutique, car ils sont à la fois de piètres chimistes et de piètres biochimistes."

Le plus sceptique sur la valeur des diplômes fut un autre représentant de l'entreprise privée: Paul Jay, directeur de la recherche externe chez Nortel. Bien que lui-même diplômé des cycles supérieurs, M. Jay pense que les avantages de la maîtrise et du doctorat se situent sur le plan personnel et non professionnel. L'entreprise qu'il représente n'emploie pas plus de titulaires de ces diplômes qu'au début de sa carrière, même si une centaine de nouveaux entrent chaque année.

De plus, a-t-il ajouté, cela prend beaucoup trop de temps pour parvenir au doctorat au Canada: jusqu'à 10 ans. Dans certains pays, cela ne dépasse pas 6 ou 7 ans.

Le sociologue Arnaud Sales a complété cette donnée: Au Québec, l'âge moyen d'obtention de la maîtrise est de 28 ans et de 33 ans pour le doctorat.

Mathieu-Robert Sauvé



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