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Abeilles, cellules et modélisation

L'UdeM leader en modélisation membranaire.

Cette structure en forme de boomerang que pointe Benoît Roux est une protéine de mélittine enfoncée dans la membrane d'une cellule. Qu'un proton s'y ajoute et la membrane perd son étanchéité.

Le retour du printemps nous donne des ailes. Mais la belle saison ramène également une autre gent ailée dont la compagnie n'est pas toujours appréciée: les guêpes, bourdons et abeilles qui n'hésiteront pas à nous inoculer leur venin s'ils se sentent menacés.

Mais en plus d'être une arme de défense efficace, le venin d'abeille s'est avéré fort utile pour les chimistes qui étudient les mécanismes d'échanges cellulaires. C'est que le venin d'abeille est riche en mélittine, une protéine qui se fixe à la membrane de la cellule et entraîne la destruction de la cellule. Les protéines membranaires jouent en quelque sorte le rôle de douaniers des cellules, contrôlant les entrées et les sorties de diverses substances.

"La mélittine produit toutes sortes d'effets étranges sur la membrane cellulaire et elle est devenue un modèle classique pour étudier les interactions des protéines et des membranes", explique Benoît Roux, professeur au Département de physique et au Département de chimie.

Cette protéine est d'ailleurs l'un des rares modèles dont disposent les biophysiciens pour effectuer de telles études; bien que 50% ou 60% de toutes nos protéines soient des protéines membranaires, on ne connaît la structure atomique détaillée que de cinq ou six d'entre elles.

"C'est parce que ces protéines sont en général très difficiles à cristalliser, d'où la difficulté d'en déterminer la structure avec précision. La connaissance de ces structures et la compréhension des fonctions de ces protéines constituent d'ailleurs le défi des 20 prochaines années en biophysique", estime le professeur.

 

Modélisation

Benoît Roux a déjà contribué à l'avancement de ces connaissances grâce au génie informatique. Au sein du Groupe de recherche en transport membranaire et avec un de ses étudiants au doctorat, Simon Bernèche, il a notamment conçu un modèle théorique détaillé de la mélittine en interaction avec la couche de lipides qui forme la membrane cellulaire. Le modèle offre une succession de détails sans précédent et permet d'observer les mouvements d'atomes de la membrane.

Il montre entre autres que la mélittine, dont la forme rappelle un boomerang, se fixe d'abord parallèlement à la membrane, puis enfonce une extrémité dans la couche de lipides. Une hypothèse émise par Simon Bernèche est que l'azote du premier acide aminé (le N-terminal de la chaîne de peptides), sensible au pH, accroît la perméabilité de la membrane lorsqu'un proton amené par une molécule d'eau s'y ajoute. Cette cascade d'événements pourrait provoquer la rupture de la membrane cellulaire.

"Notre modèle théorique permet de faire des prédictions et fournit de nouvelles pistes de recherche pour la méthode expérimentale, affirme le professeur. Mon espoir est de réussir à mettre ensemble les données de ces deux approches complémentaires."

L'avancée des connaissances sur le fonctionnement des protéines membranaires revêt une grande importance pour la compréhension de certaines maladies et la mise au point de traitements. Par exemple, mieux connaître la mécanique des "canaux ioniques" par où circulent certains éléments comme les ions de potassium et de sodium pourrait permettre de produire de nouveaux antibiotiques capables de dérégler l'activité électrique des bactéries ou de mieux traiter certaines maladies métaboliques.

 

À l'avant-garde

Avec ces réalisations, l'équipe de Benoît Roux fait figure de pionnier dans la recherche en simulation membranaire. Les modèles informatiques de protéines membranaires ont même placé l'Université de Montréal à l'avant-garde mondiale dans le domaine.

Au moment de notre passage, le professeur arrivait tout juste de Madrid, où il venait de livrer une conférence sur son modèle; et il s'apprête à participer à une euroconférence sur le même sujet aux Pays-Bas.

Une ombre plane toutefois: pour réaliser de tels travaux, les chercheurs ont besoin d'ordinateurs très puissants alors qu'il n'y a pas de centre de superordinateurs au Canada, déplore Benoît Roux. "Nous avons les compétences et l'expertise, mais le manque d'équipement et le sous-financement de la recherche au pays risquent de nous faire perdre notre place enviable."

Daniel Baril


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