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La discrimination positive ne fait pas l'unanimité

Faut-il laisser agir la dynamique sociale ou intervenir par des mesures correctives?

Ejan Mackaay

Lucas Sosoe

Daniel Weinstock

José Woehrling

Les effets pervers des programmes de discrimination positive seraient-ils pires que les problèmes qu'ils sont censés corriger? C'est ce que croit Ejan Mackaay, professeur à la Faculté de droit. "L'intention est louable, mais je m'inquiète des critères autres que méritocratiques", déclarait-il à une table ronde organisée dans le cadre du Mois de l'histoire des Noirs, le 25 février dernier.

Selon le professeur, il faut laisser le temps faire son oeuvre. "Les membres des groupes minoritaires ont le fardeau de faire valoir leur capacité, mais à mesure que le groupe visé s'épanouit la dynamique est de nature à faire disparaître la discrimination. Chez les femmes, le travail est déjà fait: à la Faculté de droit par exemple, elles représentent maintenant 75% de la clientèle."

Ejan Mackaay mise donc sur le libéralisme plutôt que sur l'intervention pour corriger les situations discriminatoires; à son avis, les mesures de discrimination positive créent une bureaucratie qui se nourrit de ces systèmes et qui en fait perdurer les effets négatifs.

Comme effets pervers, le professeur a mentionné que la politique sur le salaire minimum créait du chômage: "Une augmentation de 10 % du salaire minimum se traduit par une augmentation de 1 % du chômage. Est-ce vraiment l'effet recherché?" Autre exemple: un Noir embauché là où un programme de discrimination positive est en vigueur pourra toujours se demander s'il a été engagé pour sa compétence ou parce qu'il est noir.

"Et pourquoi devrait-on s'attendre à ce que les femmes se conforment à un comportement souhaité alors que des emplois de 9 à 5 leur permettent de s'occuper de leur famille?" s'est-il demandé.

Des propos qui en d'autres temps auraient suscité de vives réactions n'ont pas fait beaucoup de vagues à ce débat organisé par des étudiants du Département de philosophie et de la Faculté de droit.

Le temps a peut-être manqué, notamment pour préciser qu'aucun programme de discrimination positive - du moins au Québec - n'oblige à engager une femme ou un Noir s'ils n'ont pas les qualifications requises. Ces programmes visent plutôt à s'assurer que le profil social (selon la race et le sexe) des employés d'une entreprise corresponde au bassin de la main-d'oeuvre qualifiée disponible.

 

Solidarité nationale

Lucas Sosoe, professeur au Département de philosophie, s'est lui aussi inscrit en faux contre la discrimination positive, mais pour des motifs plus philosophiques et sémantiques. "Toute discrimination est négative dans une société démocratique, a-t-il déclaré. L'égalitarisme radical ne respecte pas la liberté de choix de chacun. Il n'y a aucune raison de limiter ses aspirations légitimes en faveur d'autres groupes qui feraient partie d'une race, d'une religion ou d'un sexe à privilégier. Sinon, pourquoi pas des quotas aux Jeux olympiques ou un maximum de Noirs dans la boxe?"

M. Sosoe serait plutôt en faveur de consultations populaires afin de mesurer si la population accepterait de corriger certaines discriminations observées dans les lois ou la société. "Cela donnerait un mandat aux autorités civiles et nous ferions alors un acte de solidarité nationale."

Le philosophe n'a toutefois pas réussi à préciser quelle forme pourrait prendre cet acte de solidarité, autrement que par des programmes de discrimination positive, s'il se trouvait des situations à corriger. La consultation directe a aussi ses limites en démocratie: une consultation sur le rétablissement de la peine de mort ou sur l'expulsion des immigrants pourraient obtenir un retentissant oui!

 

L'arbitraire du mérite

Son collègue du même département, Daniel Weinstock, a été le seul à défendre vigoureusement les programmes de discrimination positive. À son avis, il n'est pas odieux de contrecarrer les mécanismes de recrutement si la situation observée n'est pas représentative de ce qu'on trouve dans la population.

"Ces programmes ne visent pas à scléroser les différences mais à les faire disparaître", a-t-il souligné. Quant à l'argument voulant que la situation du marché du travail reflète le libre choix des individus, Daniel Weinstock a fait valoir que les programmes de discrimination positive permettaient de s'assurer que les différences observées ne sont pas le résultat d'un comportement d'adaptation à l'injustice.

Contrairement à ce qu'a défendu Ejan Mackaay, le professeur Weinstock croit qu'il n'y a aucune raison de sélectionner des candidats uniquement en fonction des critères méritocratiques.

"Nous n'avons aucun mérite moral à l'égard des talents mis en oeuvre pour une fonction, soutient-il. Nos performances résultent de facteurs sociaux arbitraires. De plus, il y a toujours d'autres critères que le seul mérite utilisés pour sélectionner des candidats à compétences égales. Pourquoi pas la race ou le sexe si ces critères permettent de rétablir l'égalité?"

Le quatrième spécialiste à se prononcer, José Woehrling, s'est moins trempé que ses collègues. Tout en laissant voir qu'il n'était pas contre la discrimination positive en soi si elle permet de redresser une inégalité, il s'est plutôt attardé à présenter différentes catégories d'aménagements en fonction des conséquences, négatives ou neutres, qu'ils peuvent entraîner pour les non-bénéficiaires.

Il aurait été intéressant d'avoir le point de vue de femmes sur cette question puisqu'il doit bien se trouver quelques femmes chez les Noirs... Selon ce que nous a répondu l'animateur du débat, Henri Mbulu, une représentante de la Commission des droits de la personne a exposé la situation propre aux femmes dans un autre débat tenu la veille de la table ronde et portant sur le bilan des programmes d'accès à l'égalité.

Daniel Baril


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