[page U de M][Accueil Forum][En bref][Calendrier][Vient de paraitre][Etudiants][Opinions]



Vivre et laisser mourir

Le deuil non résolu constitue un terrain propice au surmenage professionnel.


Margaret Kiely

La perte d'un emploi, un divorce ou le départ du petit dernier de la maison familiale peuvent accentuer l'intensité du deuil à la suite de la mort d'un proche. "La façon dont vous avez vécu les séparations les plus significatives de votre vie peut présager la manière dont vous vivrez vos deuils", dit Margaret Kiely, professeure au Département de psychologie et spécialiste des questions reliées à la mort.

Ces bouleversements peuvent même faire basculer l'état psychologique. Le deuil devient alors un lourd boulet qu'on traîne inconsciemment jusqu'à ce qu'il réapparaisse sous une forme inattendue. Une étudiante de Mme Kiely, Francine Fontaine, a déjà rédigé une thèse de doctorat sur la relation entre le nombre de deuils subis et la propension à souffrir de surmenage professionnel. Le résultat était très significatif: l'épuisement professionnel était relié au nombre de deuils mal cicatrisés. "Notre capacité intrinsèque de s'adapter est étonnante, estime Mme Kiely. Mais les petits deuils non résolus peuvent avoir des conséquences très sérieuses."

Parmi les symptômes, on trouve bien sûr l'anxiété, mais aussi l'hostilité, voire la haine envers la personne décédée ou ses proches. La culpabilité, la dépression, les malaises physiques divers, la perte de l'appétit, de la concentration, du sommeil sont aussi observés. Certains endeuillés reproduiront même les malaises qui ont coûté la vie à la personne décédée. "Malgré tout, 90% des deuils se passent relativement bien, rapporte Mme Kiely. Mais dans certains cas, une intervention psychologique est nécessaire. Il ne faut pas hésiter."

Il n'existe pas de deuils faciles. Mais certains appartiennent au domaine du pathologique. "J'ai déjà fait la connaissance d'une femme qui allait chaque jour au cimetière pleurer son fils mort 12 ans plus tôt. Il s'agit dans ce cas-là d'une véritable maladie. Cette femme a complètement cessé de vivre. Même les gens qui l'entourent n'ont pu profiter de sa présence."

Comme l'a expliqué Mme Kiely le 18 février dernier à un groupe d'employés réunis par le Comité syndical d'aide aux employés (section locale 1244), un deuil peut durer quelques semaines, quelques mois ou quelques années, mais comporte les mêmes étapes. À la suite du choc, une prise de conscience de la perte précède la phase d'apaisement, qui mène à la guérison, à la cicatrisation. "À la fin du processus, le deuil est résolu bien qu'il ne disparaisse jamais tout à fait. Les anniversaires, notamment, demeurent des moments 'sensibles'. On s'adapte peu à peu, tout en permettant le renouveau dans notre vie."

 

L'importance du rituel

À titre de consultante, Mme Kiely a rencontré à quelques reprises des gens qui voulaient éviter tout contact avec la mort. À la suite du décès d'un membre de la famille, ils exigeaient par exemple que l'entreprise funéraire dispose du corps entre la morgue et le cimetière sans qu'ils aient à intervenir.

"Cela me semble une erreur, explique la psychologue. Le rituel, qu'il soit religieux ou pas, est essentiel, car cette étape fait partie de la vie. Ceux qui portent le deuil doivent voir le corps. Sinon, le processus risque d'être perturbé. Les femmes d'Amérique du Sud qui se promènent avec la photo de leur fils disparu 25 ans plus tôt et dont on n'a jamais retrouvé la trace vivent un véritable drame. Elles ne tournent jamais la page. Par ailleurs, combien de fois a-t-on vu des familles soulagées d'apprendre que le corps d'un noyé avait enfin été retrouvé?"

Bien que banalisée par la télévision, la mort reste un drame dans la vraie vie. Mais contrairement à ce qu'on pourrait penser, les enfants sont capables d'en comprendre le sens. "L'idée voulant qu'il faut protéger les enfants est complètement fausse. On ne doit pas trop en dire, mais on ne doit pas leur cacher la réalité", dit la psychologue d'origine américaine. S'ils veulent assister aux funérailles, il vaut mieux le leur permettre, estime-t-elle.

Pire encore, annoncer à son enfant que "grand-maman est partie pour un grand voyage" pour éviter de recourir au concept de mort pourrait provoquer la détresse dans son imaginaire. S'il voit son père faire ses valises, il se demandera s'il ne va pas rejoindre sa grand-mère dans ce pays dont on ne revient pas.

 

Deuils difficiles

S'il n'y a pas de deuils faciles, certains sont indiscutablement plus difficiles à vivre. La mort d'un enfant suscite chez un parent une immense douleur. Les décès à répétition sont également de terribles épreuves, de même que les morts subites. Il y a aussi des morts "stigmatisantes". Les proches de victimes du sida, de suicide ou d'homicide, notamment, sont souvent gênés de confier leur peine, ce qui n'aide en rien le processus de libération.

"Je suis contente de voir naître des associations d'endeuillés, signale Mme Kiely. Cela ne peut qu'aider à exprimer les émotions vécues."

En tout cas, pour la cinquantaine de personnes qui assistaient à la conférence-midi, ce sujet était préoccupant. Comme l'a expliqué à Forum la déléguée du Comité syndical d'aide aux employés, Ginette Lambert, le choix de ce sujet faisait suite à une consultation auprès des membres. "À une époque où les employés quittent leur milieu de travail à un âge précoce et où ils doivent souvent prendre soin de leurs parents âgés, la mort est vécue comme une nouvelle rupture. Ils veulent connaître les moyens de mieux l'apprivoiser."

Mathieu-Robert Sauvé


[page U de M][Accueil Forum][En bref][Calendrier][Vient de paraitre][Etudiants][Opinions]