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Un antidote au cancer? Déménagez!

Les maladies varient d'une région à l'autre, démontrent des géographes.

Jean-Pierre Thouez

On souffre davantage du cancer de l'estomac sur la Côte-Nord et en Gaspésie que partout ailleurs au Québec. La maladie d'Alzheimer fait plus de victimes au Saguenay et dans Charlevoix. La leucémie tue plus dans la région de Yamaska. Les maladies cardiovasculaires frappent davantage les quartiers pauvres de Montréal que les quartiers riches.

Voilà certaines des découvertes faites au cours des dernières années par des géographes de la santé. Cette branche de la géographie humaine vise l'explication de phénomènes liés à la santé à partir de leur distribution dans une région donnée. "Comme en géographie physique, où des gens interprètent des points répartis sur une carte topographique, nous cherchons les causes de la prévalence de telle ou telle maladie. Cela implique la collecte sur le terrain d'une foule de renseignements environnementaux, sociaux et physiques", explique Jean-Pierre Thouez, professeur au Département de géographie et chercheur au campus de l'Hôtel-Dieu, l'un des pionniers mondiaux dans le domaine.

La maladie n'aurait donc pas que des causes biologiques et psychologiques. Elle dépendrait également de la culture, de la position géographique et même de la scolarisation et du niveau de vie... "Une des conclusions les plus connues de la géographie humaine concerne les différences socioéconomiques. Toutes les études menées au Québec démontrent l'influence de la position sociale sur l'incidence des maladies. Le niveau d'éducation, la pauvreté et le mode de vie jouent un rôle déterminant dans l'espérance de vie."

À quoi sert de tracer la carte des maladies? À la mise sur pied des campagnes de prévention, mais surtout à la planification des services de santé. Même les circuits d'ambulances en bénéficient. "Le système de coordination des services d'ambulances est très bien organisé. Seulement, le réseau a été mis sur pied il y a 20 ans et la population qu'il dessert a beaucoup changé depuis. Il serait important de le repenser. Cela pourrait avoir un impact sur l'engorgement des urgences."

 

Des analyses de laboratoire

Des éléments comme le sol, l'air et l'eau peuvent avoir leur part de responsabilité. Le Département de géographie abrite des laboratoires d'analyse qui peuvent détecter les molécules suspectes. "Nous avons cherché à détecter la présence d'aluminium dans l'eau au Saguenay-Lac-Saint-Jean notamment", explique un responsable de laboratoire.

M. Thouez reprend: "Nous avions des raisons de croire que des résidus de ce métal pouvaient favoriser l'apparition de la maladie d'Alzheimer. Cette hypothèse n'a pas été confirmée. Mais en science, une expérience aux résultats négatifs, c'est une expérience utile, car elle apporte des réponses précieuses."

Si les recherches actuelles n'ont pas conclu que la maladie d'Alzheimer était causée par les résidus d'alumine, il ne fait pas de doute que les facteurs sociaux et culturels jouent un rôle dans la répartition des pathologies. Il est possible, grâce aux recherches menées à l'Université de Montréal, de comparer la situation présente avec celle qui prévalait autrefois. Ainsi, on a pu constater que les taux de cancer de l'estomac étaient en régression sur la Côte-Nord et en Gaspésie depuis 20 ans, bien que cette population demeure la plus touchée par la maladie.

"Les géographes peuvent suggérer des pistes pour orienter les recherches, notamment l'alimentation riche en salaisons que les gens appellent 'saumure', mais c'est aux épidémiologistes d'analyser la chose."

 

Pionnier de la géographie médicale

"Je n'avais jamais entendu parler de géographie médicale quand je suis arrivé au Canada en 1970", souligne M. Thouez. Avec son collègue Louis Hunan, de l'Université de Sherbrooke, il participe à l'une des premières grandes enquêtes en santé publique au Québec. C'est à lui qu'on demandera de donner le premier cours sur le sujet, à l'Université de Sherbrooke.

En 1978, Jean-Pierre Thouez accepte un poste au Département de géographie de l'Université de Montréal et mène des recherches à l'Institut du cancer de Montréal, alors dirigé par le Dr René Simard. Il est ensuite associé au projet IMAGE, consistant à cartographier la maladie d'Alzheimer. Cette seule recherche a donné lieu à une vingtaine de publications. Il s'intéresse aussi, avec son collègue Peter Foggins, à la santé des Cris et des Inuits par le biais d'une enquête de santé publique.

"La géographie humaine est une science globale, explique le chercheur. Elle fait appel à différentes sciences: anthropologie, sociologie, mathématiques, démographie, statistique, toxicologie, environnement et même théologie, par le biais de l'éthique."

Dans la société actuelle, fait remarquer le géographe, toutes les disciplines universitaires s'intéressent de près ou de loin à la santé: l'économie, la médecine, la pharmacologie, le droit et l'ensemble des sciences sociales. La géographie ne fait pas exception.

Les géographes médicaux sont-ils écoutés? Sans aucun doute, répond M. Thouez, car on cherche par tous les moyens à réduire les coûts du système de santé; ceux qui permettent de mieux saisir les besoins sont donc les bienvenus. "Si l'on connaît bien la clientèle des hôpitaux, on évite les fermetures de services à l'aveugle", dit-il.

Preuve de cet intérêt: on vient de créer la Commission nationale sur la géographie de la santé, alors que la tendance est à la fermeture d'unités administratives. Et M. Thouez prépare un grand congrès international de géographes médicaux pour l'an 2000.

Mathieu-Robert Sauvé

 Y a-t-il un lien entre vasectomie et cancer?

Des études américaines ont établi un lien entre la vasectomie et le risque de développer un cancer de la prostate. Mais d'autres analyses contredisent ces résultats. "En examinant attentivement la littérature scientifique, je me suis rendu compte qu'il y avait un problème de méthodologie, explique Jean-François Émard, chercheur au campus Hôtel-Dieu du CHUM. Les études ne s'attardent pas sur le profil sociodémographique des vasectomisés. Qui sont-ils? D'où viennent-ils? Où habitent-ils? Pour contourner les biais, c'est important de répondre à ces questions."

Diplômé en géographie (1er cycle), en démographie (2e cycle) et en géographie de la santé (3e cycle), Jean-François Émard est un bon exemple de chercheur interdisciplinaire. C'est un aspect important quand on travaille avec des épidémiologistes, des médecins et des géographes. "Mon objectif est double, dit-il. Je veux étudier la vasectomie au Québec depuis 25 ans, selon les régions. Quand j'aurai terminé, nous pourrons établir une association entre ce phénomène et le risque de souffrir du cancer de la prostate."

Déjà, grâce à la collaboration de la Régie de l'assurance-maladie du Québec, les actes de vasectomie de plus de 300 000 hommes depuis 21 ans ont été mis à la disposition du chercheur. Il pourra croiser ces données avec les quelque 3000 nouveaux cas de cancer de la prostate diagnostiqués chaque année. Un nombre en progression constante.

La Société de recherche sur le cancer finance l'étude de Jean-François Émard, qui travaille en collaboration avec l'épidémiologiste Parviz Ghadirian, le géographe Jean-Pierre Thouez (qui fut son directeur de thèse) et Régis Blais, du Département d'administration de la santé. Les résultats ne seront pas connus avant 1999.

M.-R.S.



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