Accoucher n'est pas toujours une fête! |
15 % des mères souffrent de dépression postnatale. |
Le Dr Saucier et son collègue Jacques Marleau, du Département de psychiatrie, donneront une conférence sur la dépression postnatale et autres sujets connexes le 20 février, de 12h à 13h15, à la salle 075 du 2815, boul. Édouard-Montpetit. Elle est organisée par le Groupe de recherche sur les aspects sociaux de la santé et de la prévention (GRASP). L'entrée est libre. |
Quand on a annoncé à Marie qu'elle était enceinte, elle ne le croyait pas. "Ils ont dû se tromper", s'est-elle dit. Quand son corps le lui a confirmé, les nausées se sont faites violentes et ont duré bien au-delà du premier trimestre. Par la suite, alors que le ftus grandissait rapidement, son pèse-personne indiquait une prise de poids inférieure à la moyenne.
En plus de ces caractéristiques en apparence bénignes, Marie a peu de confidents et vit en milieu défavorisé; la voilà une excellente candidate à un mal méconnu: la dépression postnatale. Le psychiatre Jean-François Saucier, de l'hôpital Sainte-Justine, étudie cette maladie depuis une dizaine d'années et sa dernière étude, menée auprès de quelque 400 femmes sur une période d'un an avant et après l'accouchement, révèle que 15,3% des mères en souffrent.
"Le gros problème, c'est que l'on confond la dépression postnatale avec les "blues", qui durent quelques jours et qui laissent très rarement des séquelles. La dépression postnatale survient plusieurs semaines après l'accouchement et peut être grave. Les médecins ne doivent pas la négliger."
Parmi les symptômes observés, la mère dépressive souffre très souvent d'insomnie. S'ajoute à cela la difficulté de s'alimenter, de digérer ou d'allaiter le bébé. Bien vite, la culpabilité s'en mêle, puis survient la remise en question générale: "Pourquoi ai-je voulu être mère? Qu'est-ce qui m'a donné un conjoint pareil?" Les moyens thérapeutiques existent - en général une médication accompagnée d'une psychothérapie suffisent -, mais encore faut-il reconnaître la maladie.
Récemment, le Dr Saucier a rencontré une femme qui avait connu ces symptômes quelques années plus tôt. Après quelques semaines, elle s'est rendue chez son médecin de famille, qui lui a prescrit des somnifères. Cela n'a pas marché. Épuisée, elle a consulté un autre médecin. Autre prescription de somnifères. Cette fois, c'en était trop. Elle a avalé le contenu d'une boîte de pilules.
"Il s'agissait davantage d'attirer l'attention que d'une tentative de suicide, relate le psychiatre. Mais il était temps que quelqu'un prenne sa maladie au sérieux."
Rares sont les cas qui vont aussi loin. Parmi les 57 mères de l'étude qui ont subi la dépression, les deux tiers n'en souffraient plus huit semaines après l'accouchement. Mais certaines ont eu besoin de plus de six mois pour se remettre de leur bouleversement physique et émotif.
"Quoi qu'on dise, il n'est pas permis aux femmes de se plaindre de leur condition, estime le Dr Saucier. Même dans notre culture occidentale moderne, un bébé qui vient de naître est nécessairement un événement heureux et tout le monde doit se réjouir. Surtout la mère..."
L'étude a permis de détruire quelques mythes dont celui voulant que seules les primipares (femmes donnant naissance à un premier enfant) souffrent de cette dépression. Les secondipares peuvent en souffrir tout autant, car le milieu immédiat a tendance à les abandonner à leur situation. En effet, les parents et amis qui ont cuisiné des petits pâtés congelés et offert des tas de cadeaux à la naissance du premier bébé sont un peu moins zélés au second.
"Nous avons aussi noté que les femmes déprimées ont en général beaucoup moins de confidents que les autres. Elles sont donc un peu isolées dans leur malheur."
Le Dr Saucier déplore que ses collègues médecins soient si mal renseignés sur la dépression postnatale. "Ils en entendent parler quand ils touchent à l'obstétrique, mais ils oublient..."
Il faut dire qu'on est documenté sur cette maladie depuis à peine 30 ans alors que les "blues" ont été décrits par Hippocrate lui-même il y a 24 siècles. Même la psychose post-partum, à ne pas confondre avec la dépression (voir l'encadré), date du 19e siècle. Pourquoi? Parce que les uns comme l'autre surviennent en milieu hospitalier tandis que la dépression postnatale apparaît à domicile, de quatre à six semaines après l'accouchement. Longtemps, les troubles psychologiques et psychiatriques qui accompagnaient les relevailles ont donc été perçus comme un prolongement de la célèbre phrase de Yahvé dans la Genèse: "Tu enfanteras dans la douleur!"
La dépression postnatale est véritablement connue depuis que Lady Diana, dans la retentissante entrevue accordée à la BBC au début des années 1990, a longuement parlé de sa dépression à la suite de la naissance du prince William. Aussitôt les demandes d'information ont afflué dans les cabinets d'obstétrique un peu partout en Occident.
Fait réjouissant, la prévention peut donner de bons résultats, comme le montre l'enquête du Dr Saucier, où l'accent est mis sur le dépistage précoce des facteurs prédisposants. Dès le début de la grossesse, des indices peuvent mettre la puce à l'oreille, comme dans l'exemple (fictif) de Marie, présenté au début de cet article. Les chercheurs les ont rassemblés en quatre groupes: l'ambivalence quant au désir d'avoir un enfant (ne pas croire au test de grossesse); l'hyperréactivité somatique à la présence du ftus (nausées prolongées); lenteur du processus physiologique de l'enfantement (léger gain pondéral) et contexte sociopsychologique moins favorable (peu de confidents).
Mathieu-Robert Sauvé
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