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Cancer du sein: veut-on savoir?

Dans une grande enquête franco-québécoise, on étudie l'attitude des femmes à l'égard des tests prédictifs.

Louise Bouchard

En 1994, des chercheurs ont découvert deux gènes qui favorisent nettement le développement des cancers du sein d'origine héréditaire. Les femmes qui possèdent les gènes BRCA 1 ou BRCA 2 ont 80% de risques de souffrir de ce type de cancers. Mais les moyens de soigner ou de prévenir l'apparition des tumeurs demeurent limités. Des femmes apprennent donc aujourd'hui qu'elles risquent fort d'en mourir, mais sans que l'on puisse les rassurer. Que faire quand on reçoit un tel "diagnostic"?

"Nous savons peu de chose sur les effets psychosociaux d'une telle information, signale la sociologue Louise Bouchard, du Groupe de recherche sur les aspects sociaux de la santé et de la prévention (GRASP). Surtout quand on sait que les mesures de prévention ne sont pas optimales."

Se joignant à une équipe de recherche sous la direction de Claire Julian-Reynier, de l'INSERM, en France, Mme Bouchard a voulu mieux connaître cette troublante innovation technologique que constitue le test de prédisposition génétique.

"Nous souhaitons apporter notre aide dans l'élaboration des lignes directrices pour savoir s'il est souhaitable ou pas d'étendre le recours à ces tests. Les femmes qui courent certains risques de souffrir d'un cancer du sein veulent-elles de cette connaissance? Cela réduit-il leur anxiété ou, au contraire, est-ce que ces tests l'accentuent? Les aident-ils à faire des choix éclairés?"

Un cancer meurtrier

Dans l'énoncé de ses objectifs, la chercheuse signale que "ni les femmes ni les prestateurs de soins ne sont très informés au sujet du cancer du sein d'origine héréditaire, de l'évaluation des risques, des tests prédictifs, de la façon d'utiliser cette information le plus adéquatement possible".

Pourtant, le cancer du sein est l'une des affections les plus meurtrières. Au Québec, le cancer du sein occupe la première place dans les causes de mortalité chez les femmes: 1 Québécoise sur 9 est susceptible d'en être atteinte et 1 sur 23 en mourra.

Cette réalité n'échappe pas aux gestionnaires du système de santé. La politique de santé et de bien-être vise à réduire la mortalité due au cancer du sein de 15% en 2002. Évidemment, tous les cancers ne sont pas d'origine héréditaire, mais les tests prédictifs peuvent contribuer à atteindre cet objectif.

Le test de prédisposition au cancer du sein, dont l'usage se répand peu à peu, n'est probablement que le premier d'une série de tests de ce type. On sait que la plupart des maladies graves ont une composante génétique et d'imposants fonds d'origine privée et publique sont actuellement consacrés aux travaux en génétique. La recherche des sociologues arrive donc à point.

De l'expérimental au clinique

Jusqu'à maintenant, le test de prédisposition dont il est question dans l'étude franco-québécoise n'était pas considéré comme suffisamment sûr pour être utilisé au stade clinique. Les protocoles de recherche comptaient donc des participantes anonymes qui n'avaient pas accès aux résultats. Mais à mesure que les recherches ont apporté des résultats concluants, certains scientifiques ont accepté de livrer des résultats aux femmes intéressées. C'est ce passage en douce de l'expérimental au clinique qui intéresse la sociologue.

"Mon objectif premier est d'observer comment cela se passe auprès d'une population cible avant et après la consultation avec le généticien, signale-t-elle. 'Observer' ne signifie pas que je n'aurai pas un regard critique, mais il me semble que le débat est souvent polarisé entre les 'pour' et les 'contre'. La réalité est plus complexe que cela."

En tout cas, ce ne sont pas les questions qui manquent. Quels sont les facteurs qui motivent les femmes à subir le test? Comment transmettre l'information sur le risque génétique? Les enfants et les autres membres de la famille doivent-ils être informés des résultats? Quel est l'impact de ces connaissances dans la réduction de la mortalité? Quelles sont les conséquences financières? Les assureurs doivent-ils être informés des résultats? Comment le système de santé collectif doit-il couvrir ces actes?

Dans le milieu médical, signale Louise Bouchard, on peut dire que les opinions sont divisées. S'il existe un consensus clair, c'est autour du fait que la population globale ne doit pas avoir accès à ce test de prédisposition au cancer du sein. On juge que le dépistage à large échelle apporterait trop peu d'avantages. Par contre, les médecins ne s'entendent pas sur le fait de divulguer ou non les résultats aux femmes à risque. Certains pensent que oui, d'autres estiment que les traitements disponibles ne sont pas suffisamment efficaces à l'heure actuelle.

"Aux États-Unis, explique la chercheuse, les médecins sont reconnus pour avoir une approche 'agressive' devant le risque génétique, suggérant par exemple la mastectomie de manière préventive. Une telle mesure est très critiquée en France. Comment se situe le Québec dans tout cela? C'est notamment ce que nous allons chercher à découvrir."

Mathieu-Robert Sauvé


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