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Ces pommes de terre sont-elles transgéniques?

Thérèse Leroux dénonce l'absence d'un étiquetage approprié pour les légumes génétiquement modifiés.

Depuis quelques années, les agriculteurs canadiens ont l'autorisation de cultiver du colza, de la canola, du maïs, de la pomme de terre et du soja dont le bagage génétique a été modifié. Ces plantes transgéniques peuvent ainsi résister aux herbicides, aux conditions climatiques difficiles ou aux insectes selon les caractéristiques que les chercheurs ont voulu isoler puis transmettre aux cultures. Certains produits de ces récoltes se retrouvent dans notre assiette.

Pour Thérèse Leroux, du Centre de recherche en droit public, cette innovation technologique et commerciale se fait à l'insu des consommateurs canadiens, car ils n'ont aucun moyen de savoir si les légumes qu'ils mangent sont issus des biotechnologies. "Le public est tenu à l'écart, dénonce-t-elle, car le ministère fédéral de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire n'oblige pas les producteurs à désigner les légumes modifiés génétiquement."

La spécialiste, qui a une double formation d'avocate et de biochimiste, ne souhaite pas arrêter le processus - cela serait néfaste pour les chercheurs qui veulent approfondir leur connaissance du phénomène -, mais désire une plus grande rigueur et surtout une plus grande transparence. "Je ne veux pas être alarmiste, mais certaines études démontrent que des modifications génétiques peuvent se transmettre dans la nature. Les modifications peuvent donc avoir des conséquences sur la chaîne alimentaire et dans l'écosystème."

Mme Leroux fait notamment référence à une étude menée au Danemark et publiée en février dernier dans La Recherche. L'étude prouve que le colza modifié génétiquement peut s'hybrider avec une plante sauvage, la navette. L'hybride fertilisé donnera des descendants qui portent le gène manipulé. "On ignore comment divers caractères des plantes transgéniques vont influencer leurs cousines sauvages si les transgènes sont transmis, concluent les auteurs. Les mauvaises herbes porteuses d'un caractère transgénique seront-elles favorisées au sein de la population sauvage? Pourront-elles perturber les écosystèmes? [...] Personne ne le sait."

La Fédération des consommateurs aux barricades

Selon Mme Leroux, les divers intermédiaires qui cherchent à promouvoir la commercialisation des produits de plantes transgéniques ont intérêt à tenir sous silence leur vraie... nature. Sinon, ils s'en vanteraient. "Quand les produits dits 'biologiques' sont apparus sur le marché, relate-t-elle, les carottes ou les tomates étaient bien désignées. On en faisait même la publicité. Cette fois, c'est tout le contraire: on craint que les mots 'légume transgénique' fassent fuir le consommateur."

Mme Leroux rappelle qu'un précédent dans l'industrie, l'irradiation des aliments, a probablement échaudé les commerçants. L'étiquetage évoquait peut-être trop l'industrie nucléaire, ce qui a effrayé les consommateurs. Ils étaient prêts à acheter des produits qui se conservent mieux mais pas au point de manger du "poulet atomique".

Le ministère a organisé des consultations pour se donner des lignes directrices concernant l'étiquetage. Ces lignes directrices guideront la politique fédérale. Dans un document intitulé "Étiquetage des aliments nouveaux issus du génie génétique", le ministère indique qu'un consensus général a été obtenu. "Il n'est pas obligatoire d'inscrire sur l'étiquette de l'aliment le recours à un procédé du génie génétique", à moins d'un danger pour la santé ou la sécurité des consommateurs.

La Fédération nationale des associations de consommateurs du Québec (FNACQ) a fait clairement savoir son mécontentement. "Nous considérons comme inadéquates les consulttions menées sur l'étiquetage des aliments nouveaux issus du génie génétique et pensons qu'il faut refaire l'exercice de consultation pour une meilleure concertation sur le sujet."

Le "consensus général" est en réalité une entente entre producteurs et gouvernement, car ils représentaient plus des trois quarts (75,7%) des participants aux audiences. "Avec un aussi fort pourcentage de représentants du gouvernement et d'entreprises, on ne peut pas vraiment parler de consultation publique, d'autant plus que les ONG ne représentaient que 14,3% des participants (7,1% pour les groupes de consommateurs)", signale un mémoire de la FNACQ. Il rapporte qu'un sondage Optima révélait en 1994 que 83% des consommateurs canadiens souhaitaient l'étiquetage des produits biotechnologiques.

Des arguments juridiques et philosophiques

Selon Me Leroux, l'État choisit une approche non interventionniste qui s'explique mal. "Le législateur considère que les lois actuelles peuvent encadrer les nouvelles réalités. Il dit: si risque il y a, nous imposerons l'étiquetage obligatoire. Or, cette analyse de risque est difficile à faire sans recul."

Des arguments philosophiques entrent également en ligne de compte. "La manipulation des gènes remet en question ce qui fait l'intégrité d'un organisme vivant et son identité en ce qui concerne l'être humain. Nous devons nous demander ce qui fait la spécificité d'une chose et jusqu'à quel point on peut chercher à intervenir."

Plusieurs autres questions demeurent en suspens: si l'on transfère des gènes de l'arachide dans un plant de tomate, les gens qui sont allergiques aux cacahuètes le seront-ils devant le légume ainsi modifié? Et si des gènes de porc viennent modifier une lignée de poulets, que feront les musulmans et les juifs, dont la religion défend la consommation de cochon?

On comprend que l'évaluation des risques ne sera pas simple.

Mathieu-Robert Sauvé


Le point de vue d'un botaniste

Hargurdeep Saini, directeur général de l'Institut de recherche en biologie végétale (IRBV), répond aux questions de Forum.

Forum: Doit-on s'inquiéter des légumes transgéniques?

Hargurdeep Saini: Il n'est pas raisonnable d'en avoir peur, car ce n'est pas monstrueux. Les manipulations génétiques chez les plantes sont pratiquées depuis le début du siècle et l'étaient même avant. Toutes les plantes agricoles que nous consommons ont été modifiées génétiquement. Seulement, elles l'ont été par sélection ou hybridation plutôt que par transfert de gènes sur le plan moléculaire. C'est vrai que nous pourrions aller beaucoup plus loin avec la technologie, mais les chercheurs tentent toujours de prévoir les effets de la manipulation génétique d'une plante avant de passer aux actes. De plus, la réglementation exige de plus en plus de rigueur dans l'évaluation des risques.

Forum: La réglementation canadienne est-elle convenable ou imite-t-elle simplement celle des États-Unis?

H.S.: Les chercheurs sont généralement à l'aise avec le type de réglementation en cours au Canada. Elle encadre bien les connaissances actuelles. La réglementation canadienne est assez semblable, en effet, à celle des États-Unis étant donné la similarité de nos deux systèmes et la facilité des échanges d'information de part et d'autre des frontières.

Forum: Croyez-vous que les gènes modifiés puissent nuire à la chaîne alimentaire?

H.S.: Je reconnais qu'un gène nouvellement introduit peut s'échapper dans le milieu naturel. Il faut donc être très prudent. Mais nous sommes en train d'apprendre et notre capacité de prédire ce genre d'accident et d'apprendre à les éviter s'améliore.

Forum: Quels types de modifications génétiques pratiquez-vous à l'IRBV?

H.S.: Nous sommes très actifs en recherche fondamentale en génie génétique en vue de commercialiser ces résultats à moyen et à long terme. Par exemple, nos chercheurs tentent d'améliorer la production de nouveaux produits naturels, la tolérance de certaines plantes à la salinité, à la sécheresse et aux insectes grâce aux modifications génétiques.

Propos recueillis par M.-R.S.


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