Riccardo Petrella, président
et fondateur du Groupe de Lisbonne, était de passage à
l'Université de Montréal le 8 avril dernier à
l'invitation du groupe Éducation dans une perspective planétaire,
de la Faculté des sciences de l'éducation. Il en
a profité pour donner une conférence sur les méfaits
de la mondialisation des marchés sur le système
d'éducation.
Le Groupe de Lisbonne, composé de 19 intellectuels dont
les Québécois Daniel Latouche et Pierre Marc Johnson,
s'est donné comme mandat de réfléchir aux
conséquences sociales de cette mondialisation et de la
concurrence qu'elle entraîne.
Selon M. Petrella, qui est également professeur d'économie
à l'Université catholique de Louvain, il faut d'abord
voir la mondialisation comme «une fiction narrative sur
le sens de l'histoire des sociétés contemporaines».
Cette narration veut nous faire croire que toute la société
occidentale est en marche vers la mondialisation des marchés,
que ce phénomène est inévitable et que nous
en tirerons les plus grands bénéfices. L'innovation
technologique, en transformant les conditions spatio-temporelles
du travail, rend cette marche «aussi immuable que les desseins
de Dieu». Notre seul choix est de nous y adapter.
«Si le phénomène nous paraît inévitable,
c'est à cause du discours de l'économie dominante
qui crée sa propre légitimité en contrôlant
la narration», affirme l'économiste. À son
avis, il y a moyen d'échapper à l'inéluctable,
notamment en se créant une autre légitimité.
Le système d'éducation a ici un rôle prépondérant
à jouer, mais il doit d'abord prendre conscience qu'il
est en passe d'être totalement assujetti aux lois du néolibéralisme.
«Si l'innovation technologique est essentielle au développement
des sociétés, la connaissance est déterminante»,
souligne le professeur. Dans la fiction narrative, on voudrait
que le système d'éducation délaisse le développement
du sens critique et que les connaissances servent les besoins
de l'économie locale définie par le contexte du
marché mondial.
«C'est un piège, prévient Riccardo Petrella.
L'école républicaine, rappelle-t-il, avait pour
but de former le citoyen et de libérer la femme. L'école
adaptée au marché ne forme pas des citoyens, ni
des médecins, des cadres ou des travailleurs, mais des
"ressources humaines" qui doivent se livrer une bataille
de compétences.»
Dans ce contexte, «la formation continue est un instrument
d'asservissement à la logique de la rentabilité
économique. Les universités, qui produisent la connaissance,
entrent dans le jeu en disant "Formez-vous" alors qu'il
n'y a pas de marché. La connaissance sert ainsi à
produire de la technologie qui fait passer la connaissance dans
des machines qui remplacent les personnes alors qu'on prétend
que la technologie crée de l'emploi!»
Solution
Riccardo Petrella avait amorcé sa conférence en
demandant à ses hôtes si le système d'éducation
avait une «stratégie d'empêchement» pour
éviter cet asservissement et sauvegarder sa véritable
mission. Si le président du Groupe de Lisbonne en possède
une, on aurait aimé qu'il nous la livre. Il manquait en
fait un chapitre à son exposé, celui des solutions.
Son passage, le lendemain, à l'émission Christiane
Charrette en direct, nous a permis d'entrevoir que le professeur
croit au pouvoir de l'action individuelle de chaque citoyen pour
enrayer la machine. «Chacun sait ce qu'il faut faire»,
a-t-il déclaré, en s'en remettant au gros bon sens
du citoyen moyen. «Les millions d'opposants peuvent arrêter
le train et transformer le monde.»
Le volume sur lequel travaille actuellement le Groupe de Lisbonne,
Le désarmement financier, nous en dira peut-être
plus. Selon ce qu'en a dit le président, cet ouvrage visera
à conscientiser le public à la nécessité
de retirer au secteur financier le pouvoir qu'il détient
sur le politique. (Le Groupe a aussi publié, chez Boréal
en 1995, Limite à la compétitivité.)
M. Petrella était de passage à Montréal dans
le cadre d'une tournée organisée par le Mondial
de la communication.
Daniel Baril