Tous les jeunes ne sont
pas des suppôts du néolibéralisme triomphant.
Il existe encore des gauchistes et il y en a même à
l'Université de Montréal. On a pu en observer plusieurs
dizaines aux deux journées contre-culturelles organisées
par le Comité de mobilisation interdépartemental
de l'U de M (CMIDUM) les 8 et 9 avril derniers.
À l'heure où le conflit de générations
tient lieu d'analyse politique dans le discours dominant parmi
la jeunesse, il est rafraîchissant d'entendre un autre son
de cloche qui nous rappelle les plus chauds rassemblements militants
des années 1970.
Le CMIDUM a été créé pendant la lutte
de l'automne dernier contre la hausse des droits de scolarité
et les compressions budgétaires en éducation. Il
se voulait une réponse à ce que certains étudiants
considéraient comme un manque de militantisme de la part
de la FAECUM. «Son but était d'inciter les associations
de l'Université à joindre le mouvement de grève»,
explique l'un de ses membres, Massimo Panzino, étudiant
en traduction.
Les membres du Comité de mobilisation n'ont pas déposé
les armes depuis lors. Ils ont profité d'une tournée
nord-américaine de deux étudiants mexicains défenseurs
de la cause zapatiste, Inti Muñoz et Oscar Moreno de l'Université
autonome de Mexico, pour organiser leurs journées contre-culturelles
et lancer la «Déclaration de La Realidad pour l'humanité
et contre le néolibéralisme».
Cette déclaration proviendrait d'un «réseau
intercontinental de résistance au néolibéralisme»
ayant vu le jour à une conférence internationale
organisée par l'Armée zapatiste. L'événement
aurait réuni près de 3000 personnes en juillet 1996
au Chiapas.
Lutte de classes et chaos
Parmi les activités de ces deux journées, une conférence
de Jawad Sqalli, membre du groupe Alternatives - un réseau
d'organismes de solidarité internationale dont on peut
lire le journal encarté dans l'hebdomadaire Voir -, nous
a rappelé que le capitalisme, avec ses contradictions inhérentes,
est son propre fossoyeur.
Par contre, le grand soir ne sera pas nécessairement suivi
par la marche triomphante de la classe ouvrière guidée
par son parti. À la différence de l'extrême
gauche des années 1970, qui ne doutait aucunement que la
victoire prolétarienne était à portée
de main, Jawad Sqalli craint plutôt que la chute du capitalisme
ne soit tout simplement suivie du chaos.
«Il n'y a pas de force alternative pour proposer une solution
de rechange, dit-il. Le renouvellement révolutionnaire
ne s'est pas produit et la décadence est commencée.»
Ce qui nous attend serait semblable à la décadence
ayant marqué la fin de l'Empire romain.
Les participants ont également eu droit à un débat
sur l'importance des médias alternatifs pour contrer la
pensée unique de la propagande médiatique. Ce débat
mettait en scène des militants de la gauche catholique
(Vie ouvrière), des anarchistes (Rebelles et Démanarchie)
et des inclassables (Temps fou).
La foire s'est poursuivie avec un film de deux heures, Kanashetake:
270 ans de résistance, suivi d'une conférence presque
aussi longue de Kahn-Tineta Horn, une Mohawk de Kanashetake, présidente
de l'Alliance canadienne en solidarité avec les peuples
autochtones, dont les analyses empreintes d'ethnicité se
situent tantôt à l'extrême gauche, tantôt
à l'extrême droite.
Anarchosyndicalisme
Malgré la présence de groupes anarchistes, les membres
de CMIDUM, du moins Massimo Panzino, refusent toute étiquette
politique. «Le CMIDUM est pluraliste, dit-il. Nous nous
identifions au courant révolutionnaire sans être
trotskistes ni marxistes» avant de reconnaître que
l'appellation «anarchosyndicaliste» pouvait leur convenir.
Fidèle à ce courant, le Comité de mobilisation
n'a pas de coordonnateur et n'est pas structuré. «Nous
sommes non hiérarchiques», précise Massimo
Panzino. Le CMIDUM ne se limite pas non plus à la seule
lutte étudiante mais recherche «la transformation
sociale non pas par un parti politique mais par la démocratie
directe».
Le CMIDUM, qui regrouperait une vingtaine de militants, est allié
au Mouvement pour le droit à l'éducation (MDE),
qui regroupe sept associations étudiantes de cégeps
et d'universités. À l'U de M, seule l'Association
d'anthropologie est membre du MDE, qui se distingue de la Fédération
étudiante universitaire du Québec (FEUQ) par son
caractère plus radical; il revendique entre autres la gratuité
scolaire au nom du droit à l'éducation et prônait
le retrait des étudiants du Sommet économique.
«Nous ne reconnaissons ni la FAECUM ni la FEUQ», déclare
Massimo Panzino. Il considère la FAECUM comme antidémocratique
parce que les décisions sont prises par la direction plutôt
que par la base. De plus, son orientation souverainiste en ferait
«un porte-voix du gouvernement péquiste responsable
des compressions en éducation».
Les membres du CMIDUM considèrent même que les autres
associations étudiantes ont donné leur aval au néolibéralisme
et réclament que la FAECUM leur rende leurs cotisations
étudiantes. Les deux journées contre-culturelles,
qui selon Massimo Panzino ont attiré quelque 150 étudiants,
se voulaient un geste de reconquête de l'espace qui, à
leur avis, leur a été volé.
À la FAECUM, on dit préférer accorder du
temps aux dossiers étudiants plutôt qu'à la
lutte contre le néolibéralisme.
Daniel Baril