Hitler, Charlie Chaplin, Isadora Duncan et Sarah Bernhardt
se rencontrent sur le pont.
Le XXe siècle
passera-t-il à l'histoire? La question mérite réflexion
lorsqu'on met les grandes réalisations, les découvertes,
les percées scientifiques en opposition avec les guerres,
les troubles sociaux ou individuels et l'éclatement des
courants de pensée - parfois intéressants, souvent
tordus - qui ont marqué cette période.
Comment, au théâtre, parvenir à une représentation
métaphorique de cette macédoine et du questionnement
qui en découle? Jean-Pierre Ronfard propose une traversée
sur
Le Titanic, pièce que présentera la troupe Le Petit
Théâtre illustré de l'U de M du 28 novembre
au 1er décembre au Centre d'essai du Pavillon J.A.-DeSèves.
Après avoir heurté un iceberg au large des côtes
de Terre-Neuve dans la nuit du 14 avril 1912, le Titanic coula
au fond de l'océan, devenant l'immense tombeau de plus
de 2000 personnes. C'est pour symboliser tous les espoirs et toutes
les horreurs de notre siècle que Jean-Pierre Ronfard a
fait se retrouver sur le pont du prestigieux paquebot des personnages
non moins célèbres tels Hitler, Charlie Chaplin,
Isadora Duncan et Sarah Bernhardt. Ils sont ici mêlés
aux centaines de visages anonymes.
«Tous les personnages de la pièce ont une valeur
symbolique», explique la metteure en scène, Nicola
Hagemeister, étudiante au doctorat en génie biomédical
à l'École Polytechnique. «Si Hitler symbolise
la catastrophe ou le désastre, un couple d'amoureux représente
le temps restreint dans lequel l'amour se limite.»
Sous cet angle, le navire est défini comme un cadre. Cadre
physique d'abord. Captifs, les gens n'ont d'autres choix que ceux
d'être oisifs... et de se délier la langue. «Il
se passe toujours quelque chose de particulier sur un bateau.
Les gens ont tendance à se confier, comme c'est le cas
dans Le joueur d'échecs, de Stefan Zweig», dit Nicola
Hagemeister.
Cadre temporel aussi. On ne peut rien changer au destin inéluctable
du Titanic et les personnages évoluent en fonction des
limites imposées par le temps. «La pièce n'a
pas pour but de montrer aux spectateurs ce qui va se passer mais
comment les personnages se comportent au regard de ce qui les
attend», précise la metteure en scène.
Bien que la pièce soit une suite de monologues, Nicola
Hagemeister a insisté sur la création de liens dans
ce défilé des 23 personnages. C'est entre autres
par le biais d'activités mondaines, jouées en toile
de fond, qu'ils ressortent et se retrouvent à l'avant-scène.
Même traitement dans la participation des quatre musiciens.
La légende veut qu'à bord du Titanic les membres
de l'orchestre aient joué jusqu'à ce que le bateau
coule. Ils tiennent donc dans la pièce une place tout aussi
importante que les comédiens.
«La musique est très présente. Aux répétitions,
j'ai demandé aux musiciens d'improviser sur les scènes
et aux comédiens de faire la même chose sur la musique
entendue. Les musiciens font partie de cette histoire à
part entière», continue l'étudiante.
Cette dernière signe seulement sa deuxième mise
en scène, ce qui ne manque pas de surprendre compte tenu
de son assurance convaincante, de ses trouvailles et du traitement
qu'elle fait de la pièce.
Il faut reconnaître que la troupe se prépare depuis
plus d'un an à la création de cette pièce.
Le mandat du Petit Théâtre illustré est plus
de séduire que de faire de l'épate, plus d'étonner
que de produire.
Fondé en 1993, Le Petit Théâtre illustré
est né de la défunte Troupe permanente du Théâtre
d'essai. Le groupe compte essentiellement des étudiants
des cycles supérieurs. En octobre 1994, ils avaient présenté
une première pièce, Le chasseur français
de Boris Vian.
Pour ce spectacle, on verra sur scène 12 comédiens
et 4 musiciens. Ils seront appuyés par une solide équipe
technique.
Pour que ce naufrage soit tout à fait réussi, il
ne manque donc que les spectateurs, passagers muets, et espérons
ébahis, invités à bord de ce Titanic de Jean-Pierre
Ronfard.
Le Titanic est présenté les 28, 29 et 30 novembre,
ainsi que le 1er décembre, à 20 heures au Centre
d'essai de l'Université de Montréal. Billets en
prévente: 8 $; à l'entrée: 8 $ pour les étudiants
et 10 $ pour le public. Réservations et renseignements
au 729-7207.
André Duchesne