La correspondance Borduas-Riopelle révèle
leurs divisions.
Un groupe formé
d'esprits aussi forts que celui des automatistes pouvait difficilement
être à l'abri de tiraillements et de tensions. La
récente mise à jour de la correspondance entre ses
deux membres les plus influents, Paul-Émile Borduas et
Jean-Paul Riopelle, permet de mieux comprendre l'origine des dissensions
au sein du mouvement.
Tout n'a pas encore été dit sur les automatistes
et les participants du colloque «Le mouvement automatiste:
vue de face et de profil», tenu le 8 novembre sous l'égide
du Centre d'études québécoises de l'Université
de Montréal (CETUQ), ont pu le constater.
«La connaissance de ces lettres a été un facteur
déterminant pour la tenue du colloque, indique Pierre Nepveu,
directeur du Centre et professeur au Département d'études
françaises. Ces écrits et d'autres documents ont
permis de mettre au jour certaines divisions profondes, qui n'étaient
pas évidentes, dans le groupe des automatistes.»
Les deux organisateurs, M. Nepveu et Ginette Michaud, ont vu là
l'occasion de faire une relecture critique du mouvement, sans
que ce soit pour canoniser ou déboulonner le groupe et
ses membres. Ils voulaient également devancer les célébrations
commémoratives du 50e anniversaire de la publication du
Refus global, en 1998.
Bien que les échanges épistolaires entre Borduas
et Riopelle se résument à une demi-douzaine de lettres,
leur contenu en dit long sur la lutte fratricide qui s'est engagée
entre eux et qui avait comme enjeu tacite la place de chef parmi
les automatistes. C'est ce qu'a révélé Gilles
Lapointe, professeur à l'UQAM, dans la communication inaugurale
intitulée «Filiations et ruptures de l'automatisme:
la correspondance Borduas-Riopelle».
Les principales lettres échangées l'ont été
à la fin des années 1940, quand Riopelle se faisait
une place dans la vie parisienne et que Borduas vivait encore
au Québec. Ce dernier souhaitait que le jeune loup introduise
les peintres automatistes auprès d'un marchand de tableaux
influent de la Ville lumière. Or, lui apprend Riopelle,
l'accueil est plutôt tiède, sauf pour ses propres
toiles, ce qui n'ira pas sans irriter Borduas.
Plusieurs éléments de la correspondance de Borduas
se trouvent dans le fonds portant son nom au Musée d'art
contemporain, mais ils n'avaient pas encore été
publiés, ce que s'emploie à faire M. Lapointe. D'autres
lettres appartiennent à des membres du groupe qui ont consenti
à les faire connaître et d'autres encore demeurent
secrètes ou n'ont pas été retrouvées.
Pour François-Marc Gagnon, professeur au Département
d'histoire de l'art de l'U de M, la connaissance de ces écrits
permet aussi de mieux comprendre la démarche picturale
des acteurs du mouvement.
«Borduas était anarchiste. Ses prises de position
politiques (dont il fait état dans ses écrits) se
retrouvent dans son art. Comme dans sa pensée politique,
les éléments plastiques s'expriment librement sur
la toile; son organisation se construit d'elle-même.»
Au cours de cette journée, M. Gagnon a donné une
communication où il émettait l'hypothèse
que la réflexion de Borduas sur le surréalisme d'André
Breton ne s'arrête pas qu'à la lecture de «Château
étoilé», cinquième chapitre de L'amour
fou.
On savait déjà que Borduas avait été
influencé par cette lecture et qu'il s'était tourné
vers une peinture de l'inconscient, sans idée préconçue.
Or, dit M. Gagnon, cette réflexion s'appuie sur d'autres
écrits ou peut-être même sur des conversations
avec le critique d'art Maurice Gagnon (son père) sur le
fait que la peinture surréaliste émane d'une exploration
du rêve inconscient (André Masson, Miro) en opposition
avec le rêve onirique (Dali, Magritte).
Deux des signataires du Refus global, Pierre Gauvreau et Françoise
Sullivan, ainsi que deux autres artistes de cette époque,
Guido Molinari et Jeanne Renaud, étaient présents
au colloque.
André Duchesne