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Pour mieux cerner le «travail informel»

Les femmes ayant un enfant et un emploi à temps plein travaillent 11 heures par jour.

La sociologie du travail s'intéresse de plus en plus à cette sphère d'activité désignée sous le terme abscons de «travail informel».

L'expression désigne toute activité non rémunérée mais ayant un caractère économique, réalisée tant à l'intérieur d'un ménage qu'à l'extérieur du foyer. Ce qui inclut la garde d'enfants, le soutien aux personnes âgées ou aux malades, le bénévolat au sein d'organismes d'entraide, etc.

Le principal facteur qui a amené les chercheurs à s'intéresser à cet aspect de l'occupation du temps a été la prise de conscience de l'inégalité économique des femmes sur le marché du travail, note Marie-Thérèse Chicha, professeure à l'École de relations industrielles. «De nombreuses études ont indiqué que les charges familiales constituent un facteur explicatif majeur de cette inégalité», affirme-t-elle.

De plus, par choix personnel lié à la qualité de vie ou par nécessité devant le désengagement de l'État, les activités informelles sont en progression et sont considérées comme interdépendantes avec les activités formelles rémunérées. L'influence peut se faire sentir de façon positive en créant des services socialement utiles ou de façon négative en exerçant une pression à la baisse sur les salaires d'employés dans des domaines connexes.

Le travail total

Pour toutes ces raisons, il est donc important pour les intervenants sociaux comme pour le législateur d'avoir le tableau le plus juste et le plus complet possible des activités auxquelles les mortels occupent leur temps.

À cette fin, Statistique Canada a élaboré une méthode de collecte de données et de calcul, appelée Système de comptes du travail total, et à laquelle Mme Chicha a contribué. «Ce système, explique-t-elle, tient compte du travail formel rémunéré sur le marché ou dans le secteur public et du travail informel, c'est-à-dire du travail domestique et du bénévolat au sens large, y compris les formes peu institutionnalisées.»

L'application de cette méthode a donné lieu à la première publication de Statistique Canada qui tient compte à la fois du travail rémunéré, du travail bénévole et du travail informel. Signée par Marie-Thérèse Chicha et Leroy Stone, le document présente le concept et les composantes du système ainsi que des exemples d'applications possibles, soit le temps consacré aux enfants, le soutien aux adultes et le temps accordé par des sans-emploi à des activités de formation.

Onze heures par jour

À partir des données recueillies par l'enquête de 1992 sur l'emploi du temps, il ressort du document que le groupe consacrant le plus de temps à diverses charges de travail ayant une valeur économique (rémunérées ou non) est celui des femmes âgées de 20 à 44 ans, travaillant à temps plein, ayant un conjoint et au moins un enfant d'âge préscolaire.

Dans ce groupe, la charge de travail total représente 11 heures par jour (46,7 % de 24 heures). C'est une heure de plus par jour que les hommes ayant les mêmes caractéristiques ou que les femmes sans enfants d'âge préscolaire, un écart considéré comme important.

Le groupe qui consacre le plus de temps aux enfants est encore le groupe des femmes de 20 à 44 ans, avec un enfant d'âge préscolaire, mais monoparentales et sans emploi à plein temps. Elles consacrent près de neuf heures et demie par jour (39 %) à leur progéniture. La présence du mâle dans le foyer n'allège que très peu leur tâche puisque chez les femmes du même groupe d'âge, sans emploi mais ayant un conjoint, le temps consacré aux enfants est d'environ neuf heures par jour (36 %).

Par comparaison, les hommes de 20 à 44 ans ayant un enfant d'âge préscolaire et une conjointe mais sans emploi à plein temps consacrent à leur rejeton environ cinq heures et demie par jour (22 %).

Chez les sans-emploi, les données de l'étude tendent par ailleurs à démontrer que l'augmentation du temps consacré aux études ou à la formation professionnelle n'entraîne pas de diminution du temps consacré aux activités productives, formelles ou informelles. Le temps nécessaire aux tâches éducatives est gagné sur le temps habituellement consacré aux loisirs plutôt que sur le temps exigé par les obligations familiales.

«C'est le genre de facteurs dont il faut tenir compte si l'on veut que nos réformes sociales, comme le partage du temps de travail, aient du succès», conclut Mme Chicha.

Daniel Baril

Leroy O. Stone et Marie-Thérèse Chicha, Le système de comptes du travail total de Statistique Canada, Ottawa, Statistique Canada, 1996, 100 pages.


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