Marlene Gottheil a enquêté auprès de
600 professionnels.
Depuis une vingtaine
d'années, la médecine fait grand cas du syndrome
prémenstruel, plus communément appelé SPM.
La chose a pris une ampleur telle qu'il s'inscrit maintenant dans
la réalité socioculturelle nord-américaine,
et ce, au détriment d'un diagnostic clair et objectif.
C'est ce qui ressort d'une recherche effectuée par Marlene
Gottheil, psychologue, conseillère d'orientation et étudiante
au doctorat en psychologie.
Selon la psychologue, le SPM a été inventé
pour expliquer le comportement des femmes. Elle estime qu'en dépit
de 50 ans de recherche sur le sujet les médecins se perdent
toujours en conjectures; l'affection a en quelque sorte le dos
large. «Actuellement, il n'existe pas de syndrome précis,
constate Mme Gottheil. La liste de plus de 150 symptômes
répertoriés, allant du mal de gorge à l'irritabilité,
est tellement fluide que tout le monde peut s'y retrouver. Les
recherches continuent d'essayer de prouver qu'il s'agit d'un syndrome
alors que ce n'est pas clair. Certaines personnes croient que
toutes les femmes sont nées comme ça, alors que
c'est faux.»
Elle insiste toutefois sur la réalité du problème.
«Il y a des femmes qui souffrent vraiment; ce n'est pas
le fruit de leur imagination!» Pour certaines, le SPM se
manifeste à quelques jours des menstruations alors que,
pour d'autres, il survient à n'importe quel moment de leur
cycle.
Méprise
Mais on peut aussi carrément se tromper. La psychologue
cite le cas d'une amie directrice d'école qui se plaignait
de violents maux de ventre. En apprenant qu'elle aurait ses règles
très bientôt, son médecin l'a vite rassurée.
Le lendemain, on l'opérait d'urgence pour une appendicite
aiguë! Afin de mieux circonscrire l'impact du SPM, Marlene
Gotthiel a cherché à savoir sur quels critères
les spécialistes de la santé se basaient pour établir
leur diagnostic.
L'étudiante a soumis un questionnaire à 1284 médecins,
psychiatres, psychologues et conseillers d'orientation, répartis
également entre les deux sexes et comptant aussi des anglophones.
Ils devaient réagir à l'un des deux scénarios
décrivant le cas d'un homme ou d'une femme présentant
des symptômes attribuables au SPM. On décrivait le
cas de Robert et de Suzanne, dans la trentaine, mariés
et ayant une famille. Pendant cinq à six jours, ils sont
victimes d'accès de colère, de crises de larmes,
souffrent d'agitation et d'irritabilité excessive. Ce comportement
survient toutes les quatre ou cinq semaines et, dans le cas de
Suzanne, les symptômes apparaissent avant ses menstruations.
Dans un deuxième temps, les répondants élaboraient
leur hypothèse de travail et évaluaient la capacité
de la personne de bien s'acquitter de ses tâches professionnelles.
Un troisième volet demandait au praticien s'il souhaitait
compter dans son entourage un voisin, un collègue ou même
un conjoint offrant ce profil.
Considérations médicales et socioculturelles
Quelque 614 professionnels ont répondu au questionnaire,
soit la moitié du bassin de répondant. Pour la femme,
les cliniciens ont établi un diagnostic de SPM dans 73
% des cas. Mais pas plus de 11 d'entre eux ont affirmé
vouloir poursuivre davantage leur évaluation tandis que
seulement 2 recommandaient de dresser un bilan quotidien des symptômes.
Naturellement, il en fut autrement pour l'homme. «La médecine
n'a pas de syndrome pour expliquer un tel cas. Mais il existe
aussi des stéréotypes pour les hommes, tels que
la consommation d'alcool et de drogue. La violence semble aussi
plus associée à l'homme.» À preuve,
la plupart des spécialistes ont soutenu craindre davantage
de côtoyer un homme présentant des symptômes
récurrents qu'une femme souffrant de ces mêmes maux.
Il ressort de l'étude que les cliniciens non médecins
ont tendance à poser leur diagnostic à partir de
données psychologiques et socio-culturelles. Mais chez
tous les professionnels, la considération médicale
domine nettement. Au sein d'un comité multidisciplinaire
chargé de considérer un problème sous tous
ses aspects, cette tendance risquerait d'uniformiser le diagnostic.
«Ce qui pourrait être tragique pour notre société»,
observe Mme Gotthiel.
Néanmoins, l'étude révèle que la plupart
des spécialistes ont accordé aux hommes beaucoup
plus de considérations socioculturelles et médicales.
Par exemple, on se penche sur leur milieu de vie et sur leur situation
matrimoniale, contrairement à l'attention accordée
à la femme, qui s'arrête dès que le SPM est
diagnostiqué.
Stress et transition
À l'instar de l'anthropologue médical américain
Thomas Johnson, Mme Gotthiel attribue plutôt les symptômes
que vivent les femmes au fait que la société est
en pleine période de transition. Les femmes assument des
rôles multiples (dans leur carrière, leur famille,
etc.). Il y a une volonté d'égalité des sexes,
ce qui provoque beaucoup de stress de part et d'autre. «On
ne fournit pas d'aide aux femmes dans leur situation. Il s'agit
d'une négociation entre la société et les
femmes. On souhaite diminuer leur stress, mais on ne modifie pas
la structure de la société. Celle-ci ne doit pas
changer, car on croit que c'est la femme qui est malade»,
allègue la psychologue.
Elle craint en outre l'étiquette psychiatrique qu'on a
peu à peu accolée au SPM. En 1987, le manuel de
l'Association américaine de psychiatrie le définissait
comme une phase récurrente du cycle menstruel. La plus
récente version, publiée il y a deux ans, l'associe
maintenant à un désordre psychiatrique!
Marlene Gotthiel se défend bien de verser dans le radicalisme
et ne prétend pas non plus avoir trouvé la clé
du SPM. Mais sa recherche apporte un éclairage différent
à la problématique et propose de nouvelles pistes
de solutions. «Il faut axer la recherche sur les contributions
socioculturelles. On constate une tendance à traiter un
problème par ses composantes biologiques alors qu'il faut
aussi se concentrer sur l'étude du contexte de vie de chaque
patient», conclut Mme Gotthiel.
Marie-Josée Boucher