N.D.L.R. L'entrevue avec le professeur Serge
Larivée, parue dans Forum le 9 septembre, a suscité
un abondant courrier qui fait la démonstration que la psychanalyse,
considérée comme une science, soulève des
points de vue difficilement conciliables. Nous mettons un terme
à cette polémique en permettant à Dominique
Scarfone de répondre à Gervais Leclerc dont la lettre
est parue le 15 octobre.
La lettre de Gervais Leclerc appelle quantité de commentaires.
Passons sur le fait que M. Leclerc traite de «mensonge éhonté»
certains de mes propos. L'éthique de la discussion l'autoriserait
tout au plus à invoquer mon ignorance éventuelle
(et à la démontrer) alors que parler de mensonge,
c'est attaquer l'intégrité même de l'interlocuteur.
Cela pourrait mener loin, mais certainement pas vers un débat
intelligent. Quant au «mensonge» en question, c'est
d'un écrit d'Ernst Federn, qui a fréquenté
Popper, que nous tenons que celui-ci connaissait peu et mal la
psychanalyse. À l'évidence, Popper connaissait par
ailleurs en profondeur la physique. Il n'y a qu'à comparer
le genre et l'étendue des discussions qu'il fait de ces
deux disciplines pour en juger.
M. Leclerc nous accorde, à mes collègues et à
moi-même, la note F en épistémologie. Sauf
que si son épistémologie est aussi étriquée
que ses procédures discursives sont tautologiques, à
une telle école, il n'y a pas grand dommage à être
un cancre. Qu'on en juge en examinant de près sa lettre,
qui se ramène au raisonnement circulaire suivant: «1.
Popper a vigoureusement nié le caractère réfutable
(et donc scientifique) de la psychanalyse; 2. il est faux que
K. Popper ne connaissait la psychanalyse que par ouï-dire;
3. de toute façon, on n'a pas besoin de connaître
la psychanalyse pour savoir qu'elle n'est pas une science; 4.
un psychanalyste n'a pas le droit de citer Popper, car ce que
dit Popper ne saurait s'appliquer à la psychanalyse, vu
que Popper a dit que la psychanalyse n'est pas une science; 5.
de toute façon, si et quand le texte de Popper va contre
ce que je dis, c'est que Popper est largement dépassé.»
Que répondre à de tels oukases? Nous disons que
si Karl Popper ne prise pas la psychanalyse, cela ne nous prive
en rien du droit de nous référer aux critères
de Popper, fût-ce contre l'opinion de Sir Karl. Mais citer
Popper dans le texte ne peut, semble-t-il, que déplaire
à M. Leclerc qui préfère, lui, l'argument
d'autorité. On se frotte les yeux, par ailleurs, de voir
un universitaire déclarer qu'il n'a pas besoin de savoir
de quoi il parle pour en établir ou en nier la scientificité...
Ceci étant dit, si ce débat ne s'était pas
ouvert sur les anathèmes proférés contre
la psychanalyse, il n'aurait pas été difficile de
convenir avec M. Larivée qu'il y a en effet, dans le merveilleux
monde des «psy», beaucoup de confusion, de manque
de rigueur théorique et pratique, voire de charlatanerie,
etc. Le nom de «psychanalyse» n'est pas une appellation
contrôlée, et il y a aujourd'hui quantité
de pratiques diverses qui s'en réclament, souvent à
tort. Parmi les authentiques psychanalystes, contrairement à
ce que prétendent les détracteurs de la psychanalyse,
l'oeuvre de Freud a été soumise depuis longtemps
à des relectures critiques, à des confrontations
à la clinique, à des remises en question et à
des reformulations. Cela ne signifie pas pour autant faire une
croix sur l'oeuvre de Freud, mais travailler à partir des
contradictions, voire des apories freudiennes pour parvenir à
des théorisations plus justes, elles-mêmes appelées
à être dépassées un jour.
Il reste que la psychanalyse n'est pas, ne sera jamais une science
naturelle, puisque son objet spécifique, c'est l'humain
en tant que sujet de ses propres théorisations, de ses
propres symbolisations. Ce qui veut dire que la psychanalyse engage
des processus et une éthique de la connaissance particuliers,
dans la mesure où toute tentative d'objectivation du sujet
humain le détruit du même coup en tant qu'objet d'étude.
L'épistémologie psychanalytique se spécifie
par le fait qu'elle tient compte du transfert, phénomène
qui ruine toute prétention à l'objectivation exhaustive
et qui exclut tout recours au modèle animal, tel celui
développé par le béhaviorisme ou par les
sciences biomédicales. Loin de devoir rougir de cette spécificité,
on s'attendrait au contraire à ce que toute approche des
sujets humains qui respecte leur statut de sujets sache en tenir
compte également. Ce qui n'empêche d'ailleurs pas
la psychanalyse, dans sa formulation métapsychologique,
de contenir des énoncés falsifiables et de générer,
dans des champs connexes, des hypothèses testables empiriquement.
Il y a de multiples épistémologies, et il s'agit
de savoir à quelle épistémologie on se réfère
au juste, de part et d'autre dans ce débat. On aimerait
ainsi savoir si pour MM. Leclerc ou Larivée seul est scientifique
ce qui relève des sciences naturelles ou s'il y a une place
pour les sciences dites «humaines» dans leur univers
de connaissances, avec toutes les conséquences que cela
entraîne. Cela demanderait en tout cas un vrai débat
de fond et non le recours aux clichés commodes. Mais il
est douteux qu'un tel débat puisse se faire par lettres
du lecteur interposées, alors que la majorité des
lecteurs de Forum auront depuis longtemps oublié les questions
de départ.
Dominique Scarfone, m.d.
Professeur au Département de psychologie
Qu'ont en commun le gigot à votre table et la réfection
des bateaux? Pour comprendre le lien, il faut se rendre en Gaspésie,
où deux entreprises dans des secteurs économiques
très différents partagent des propriétaires
communs: Verreault Navigation inc. située dans Les Méchins
et Agneaux Verreault inc. située à Saint-Angèle...
Les régions et la campagne profonde sont continuellement
à la recherche de projets de développement économique
pouvant contrer l'exode des populations. Toute réussite,
qu'elle soit collective ou privée, exige certaines conditions
qui doivent être incluses dans une stratégie du développement
rural: des liaisons fortes avec le milieu local et les ressources,
l'engagement véritable d'une ou de plusieurs personnes,
l'aptitude à répondre à un segment de marché
et un esprit innovateur et «catalyseur». Les Agneaux
Verreault inc. semblent réunir toutes ces conditions. En
effet, M. Daniel Ouellet, gérant de l'entreprise, a décrit
la naissance de la société et expliqué également
les modalités de fonctionnement de son établissement
devant un groupe d'étudiants en géographie de l'Université
de Montréal en mars dernier. Cette visite avait été
organisée dans le cadre d'un cours gradué sur le
développement local qui a eu lieu au Département
de géographie durant le trimestre d'hiver.
À la fin des années 1980, M. Ouellet et son épouse
se sont lancés dans la production ovine dans une région
où déjà se trouvait une concentration de
ce type d'élevage. Dans les années suivantes, une
tante de M. Ouellet et deux propriétaires de Verreault
Navigation inc. décidèrent eux aussi de se lancer
dans la production d'agneaux. Puis, en 1994,
les quatre propriétaires décidèrent de créer
une compagnie en fusionnant leurs fermes. Aujourd'hui, les Agneaux
Verreault inc. comptent six fermes regroupant environ 1400 brebis
et situées dans un rayon de cinq à six kilomètres.
Épris de cette belle région, les propriétaires
et les gérants de l'entreprise se sont donné pour
objectifs de développer la production de viande ovine de
qualité, d'ouvrir des marchés et de contrôler
les coûts de production. Dans cette foulée, ils se
sont dotés d'une structure d'organisation d'entreprises
tout à fait originale.
Bien qu'éloignés des marchés principaux,
les producteurs ovins de la région ont coopéré
afin de mieux vendre leurs produits. Après des périodes
difficiles, les marchés pour la viande d'agneau connaissent
depuis quelques années un développement important.
L'entreprise produit de l'agneau de lait (poids: 40 livres, âge:
2 mois) surtout destiné au marché «ethnique»
de Montréal et de l'agneau lourd (poids: 100 livres, âge:
6 mois). L'agneau de lait se vend particulièrement dans
le temps de Pâques, ce qui est insuffisant pour rentabiliser
l'entreprise. Il faut donc étaler la commercialisation
sur une période plus longue tout en tenant compte de la
période d'agnelage, de janvier à avril. Mais l'originalité
de l'entreprise tient à l'organisation du travail, car
il n'y a pas de salariés. Les personnes qui y travaillent
sont des associés et chacun doit former son propre troupeau
de brebis afin d'en tirer un revenu. Pour ce faire, la compagnie
aide l'associé à constituer son troupeau et à
acquérir une partie de l'équipement; les coûts
de production sont partagés entre l'entreprise et les associés.
De cette manière, on prétend viser une production
efficace et de qualité.
C'est un exemple intéressant d'une appropriation dynamique
et productive de l'espace local par un groupe dont plusieurs familles
membres sont originaires de l'Outaouais. À long terme,
cet exemple de développement rural pourrait être
un modèle dynamique et innovateur pour les régions
périphériques tout en respectant les règles
d'une économie plus ou moins libre.
Christopher R. Bryant et Claude Marois
Professeurs au Département de géographie
Jena Riendeau et Pierre Desrochers
Candidats au doctorat
Pierre Labrèche
Étudiant de 2e cycle (UQAM)