Quand
le cortex auditif devient visuel
Une
étude chez lanimal démontre que le cortex auditif
peut suppléer au cortex visuel.
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Douglas
Frost et Maurice Ptito |
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Le cortex auditif
peut remplacer le centre de la vision si celui-ci est hors dusage.
«Les axones provenant de la rétine, plutôt que
de mourir, se branchent là où est traitée linformation
issue de louïe. Cette région permet alors dentendre
et de voir», explique Maurice Ptito, neuropsychologue et professeur
à lÉcole doptométrie de lUniversité
de Montréal.
Avec son collègue Douglas Frost, de lUniversité
du Maryland, à Baltimore, et ses collaborateurs montréalais
Denis Boire et Guy Gingras, il a mené une expérience
de longue haleine dont les résultats sont publiés cette
semaine dans la revue Proceedings of the National Academy of Science.
Au cours de cette expérience, neuf hamsters quon avait
rendus aveugles à la suite dune intervention chirurgicale
au cerveau ont retrouvé la vision grâce à un nouveau
«câblage» vers le cortex auditif. Une analyse électrophysiologique
des animaux, réalisée en collaboration avec Christian
Casanova et Jean-François Giguère, de lUniversité
de Montréal, a démontré de façon évidente
que le cortex auditif avait pris le relais.
«Ces animaux ne voyaient pas aussi bien que les hamsters normaux,
précise le chercheur, mais ils étaient capables deffectuer
des tâches simples et de distinguer des objets dans lespace.»
Les conclusions des professeurs Ptito et Frost ajoutent de la force
à plusieurs études récentes qui indiquent que
le cerveau a une extraordinaire capacité dadaptation.
On sait par exemple que les sourds qui communiquent par signes activent
les régions cérébrales dévolues au langage,
ce qui nest pas le cas chez les gens qui entendent. On sait
aussi que le cortex visuel est mis à contribution chez les
aveugles lorsquils déchiffrent avec leurs doigts lalphabet
braille. «Si vous et moi apprenions le braille, ce serait au
système somatosensoriel que linformation serait traitée,
non par notre cortex visuel», explique M. Ptito. Le chercheur
a également beaucoup étudié, antérieurement,
ladaptabilité des patients dont on a fait lablation
dun hémisphère cérébral (voir Forum
du 11 septembre 2000).
Bien quil sagisse de recherche fondamentale, une telle
découverte pourrait permettre un jour le traitement dune
forme de cécité. «Ce que cette recherche démontre,
cest que les systèmes sensoriels sont beaucoup plus adaptables
quon le croyait jusquà maintenant. Il est donc
permis de penser quon pourra un jour substituer les systèmes
sensoriels. Comment? Ça, cest une autre question.»
Le problème principal, mentionne le chercheur, viendrait du
fait quil faudrait agir très précocement, au moment
où le cerveau se développe. Et il se trouve que le cortex
visuel, situé à larrière de lhémisphère,
est lun des plus rapides du système nerveux à
atteindre sa maturité: à trois mois, le bébé
perçoit les visages, les sourires. Certains disent même
quà une semaine la vision est essentiellement formée.
Ce nest pas pour rien que les chercheurs ont choisi le hamster
comme modèle animal. À sa naissance, ce rongeur est
encore presque à létat embryonnaire. Son développement
se termine à lextérieur du ventre de la mère
de sorte que les interventions au jour 0 de son existence équivalent
à des chirurgies intra-utérines chez dautres espèces.
«Les mystères de la différenciation cellulaire
font que les neurones en développement se dirigent vers une
cible prédéterminée: les neurones de la vision,
vers le corps genouillé latéral par exemple. Or, si
cette cible disparaît, ils se trouvent un autre objectif. Mais
pas nimporte lequel. En ce qui concerne la vision, ils choisiront
le thalamus auditif, comme le prouve notre recherche.»
La localisation des fonctions dans le cerveau humain est une réalité
scientifique indiscutable, mentionne M. Ptito. Mais plusieurs recherches
récentes démontrent que ce «dogme» nest
pas aussi figé quon limagine. «Le cerveau
a une plasticité plus grande que ce quon aurait cru»,
dit le chercheur.
Mathieu-Robert
Sauvé
Voir aussi l'article «Vivre
avec la moitié de son cerveau...»