Vivre
avec la moitié de son cerveau
Maurice
Ptito étudie la plasticité neuronale.
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Maurice
Ptito cherche depuis plusieurs années à comprendre
comment le cerveau parvient à s'adapter à
la perte d'un hémisphère complet. Et comment
améliorer le traitement appelé «hémisphérectomie». |
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Quelques dizaines
de Québécois atteints dépilepsie rebelle
vivent avec la moitié de leur cerveau. Ils ont subi une hémisphérectomie,
soit lablation chirurgicale dun hémisphère
cérébral. Mais le cerveau est un organe complexe; il
parvient à sadapter à cette perte en faisant travailler
davantage lhémisphère restant.
«Vous ne sauriez reconnaître dans la rue une personne
qui a subi ce traitement», signale le neuropsychologue Maurice
Ptito, qui côtoie depuis 15 ans une dizaine dhémisphérectomisés
traités à lInstitut neurologique de Montréal
(INM). M. Ptito, professeur à lÉcole doptométrie
de lUniversité de Montréal, travaille en collaboration
avec son frère Alain, professeur à lINM et également
neuropsychologue. Cest ce dernier qui assure le suivi des patients
à la suite de lopération.
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Cette
scanographie montre le cerveau dune femme dune quarantaine
dannées dont on a retiré un hémisphère
complet à lâge de 23 ans. Cette mère
de trois enfants na aucun regret depuis son opération
puisque les crises ont complètement cessé et quelle
mène aujourdhui une vie normale. |
Après quelques
années, les patients dont on a retiré un hémisphère
ont une qualité de vie bien supérieure à la période
préopératoire et leurs crises ont complètement
cessé. «Certains sont de véritables miraculés,
signale Maurice Ptito. Ils vivaient alités, incapables de quitter
lhôpital à cause de la sévérité
de leurs crises. Ils vivent aujourdhui normalement, sinscrivent
à léducation des adultes
Une femme qui a
été opérée à 13 ans sest
mariée et a eu trois enfants.»
Naguère perçue comme une pratique barbare, lhémisphérectomie
a gagné des galons dans la communauté scientifique lorsquun
neurochirurgien montréalais, Jean-Guy Villemure, a recouru
à ce traitement dès les années 1970 à
lINM. Le succès quil a obtenu auprès dune
cinquantaine de patients a forcé ses détracteurs à
reconsidérer leur position. Aujourdhui, le Dr Villemure
travaille en Suisse et jouit dune réputation internationale.
Pas une opération courante
À ne pas confondre avec la lobotomie frontale, qui voulait
corriger des problèmes de santé mentale une aberration,
signale Maurice Ptito , lhémisphérectomie
nest indiquée que dans les cas dépilepsie
rebelle, conséquente à des problèmes neurologiques.
La plupart des épileptiques parviennent à contrôler
les crises grâce à des médicaments préventifs
et anticonvulsivants très efficaces. Pour les autres, la pharmacopée
ne peut rien. Les crises peuvent être de plus en plus fréquentes
et douloureuses.
Certes, la réadaptation demande un certain temps, mais à
terme plusieurs sujets présentent un quotient intellectuel
moyen ou dans la basse moyenne (soit entre 80 et 100). Cette «plasticité»
du cerveau permettant de recycler les fonctions cérébrales
perdues est le sujet de plusieurs travaux du chercheur. «Jessaie
de comprendre deux choses, explique-t-il: pourquoi cela fonctionne-t-il
ainsi et comment peut-on améliorer le traitement?»
Au «pourquoi», plusieurs réponses ont été
proposées par le Laboratoire sur la plasticité neuronale
et le développement du système visuel, situé
à lÉcole doptométrie. On sait par
exemple que, chez lanimal, des régions spécialisées
dans laudition peuvent être recyclées en centres
de la vision après une lésion néonatale. Les
recherches menées à lUniversité de Montréal
ont également démontré que le recyclage du cerveau
est plus complet lorsque le sujet est opéré en bas âge.
Ainsi un homme hémisphérectomisé à 25
ans a gardé des séquelles physiques de lopération
alors que le plus jeune patient du Dr Villemure, opéré
à 2 ans, ne présente plus aucun symptôme apparent.
«Autrefois, on était convaincu que la perte dun
hémisphère entraînait la paralysie du côté
opposé du corps. Non seulement ce nest plus vrai, mais
on voit des patients marcher, sentir, parler, lire et écrire
presque normalement.»
Un laboratoire aux Antilles
Arrivé au Département de psychologie de lUniversité
de Montréal en 1988, Maurice Ptito est détaché
à lÉcole doptométrie depuis 1997.
Il est également professeur associé à lINM.
Financé par le Conseil de recherches médicales, le Conseil
de recherches en sciences naturelles et en génie, le Fonds
pour la formation de chercheurs et laide à la recherche
et le Fonds pour la recherche en santé du Québec, son
laboratoire mène des travaux sur lactivité cérébrale
dans le système visuel. Il a été lun des
premiers à étudier la vision chez lanimal. Quand
le professeur Ptito sest intéressé à la
plasticité neuronale, il a cherché un modèle
proche de lhumain et il sest tout naturellement tourné
vers le Biomedical Primate Research Center, sur lîle de
Saint-Kitts, près de Sainte-Lucie. On y trouve 30,000 habitants
et
70,000 singes.
Pendant huit ans, Maurice Ptito et son équipe (Denis Boire,
Marc Herbin, Patricia Lauzon et Hugo Théorêt) ont observé
une douzaine de singes qui avaient subi une hémisphérectomie.
«Au début, leur côté affecté
le droit chez les hémisphérectomisés à
gauche, et inversement était complètement dysfonctionnel.
Mais avec le temps, leurs habiletés sont revenues au point
où lon ne pouvait plus dans un groupe distinguer ceux
qui avaient été opérés des singes normaux.»
Parallèlement à ces expériences, léquipe
a observé la réadaptation de plusieurs patients ayant
subi cette chirurgie. Mais lobservation humaine demeure limitée,
car les chercheurs ne dissèquent pas les patients à
lissue de lexpérimentation. Lexamen du cerveau
des cobayes a quant à lui permis de mieux comprendre comment
lhémisphère épargné sadapte
au changement. Grâce à des techniques de marquage, les
chercheurs ont pu «suivre les fils» de tout le recyclage.
Pour lhumain, Maurice Ptito a obtenu la collaboration des centres
dimagerie médicale très performants de lUniversité
McGill et de lUniversité dÅrhus, au Danemark.
Ces centres possèdent des scanners permettant la tomographie
par émission de positrons et limagerie par résonance
magnétique fonctionnelle. «Ces appareils permettent de
voir le cerveau en action», résume le chercheur.
Et loptométrie dans tout ça? Loeil étant
en quelque sorte un prolongement du cerveau, plusieurs expériences
ont consisté à retracer la récupération
du champ visuel. Pour une raison quon ignore encore, la perte
de la moitié du champ visuel (appelée «hémianopsie»),
conséquente à lhémisphérectomie,
est permanente chez lhumain, alors que chez les primates il
y a un recouvrement du champ visuel de 30¼.
Mathieu-Robert
Sauvé