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"Le hockey est malade au Canada"

Georges Larivière brosse un sombre tableau de notre sport national.

Professeur à la retraite, Georges Larivière est toujours actif. Chaque année, il se rend notamment en Italie pour donner des stages de formation aux 60 entraîneurs de hockey sur glace. Un nombre inégalé dans tout le Québec, qui compte 20 fois plus de joueurs.


Dès l'automne et jusqu'au printemps prochain, 80 000 joueurs de hockey se succéderont sur les patinoires du Québec, de l'aube au milieu de la nuit, pour défendre les honneurs de l'une ou l'autre des 5840 équipes répertoriées par Hockey Québec. Mais pour Georges Larivière, cette effervescence cache une plaie ouverte. "Le hockey est malade", dit-il.

Non seulement le nombre de joueurs reconnus a-t-il déjà atteint les 120 000 (50% de plus), mais, selon cet expert qui s'intéresse au hockey depuis plus de 30 ans, l'encadrement des équipes est abandonné à des bénévoles débordés et... incompétents.

"L'Italie compte 60 entraîneurs à plein temps pour 4000 joueurs de hockey sur glace. On n'a pas ça au Québec, où l'on trouve 20 fois plus de joueurs. Un collègue me disait qu'à Genève, où il n'y a guère que 400 joueurs, on a engagé 4 entraîneurs professionnels. Impensable ici."

Un entraîneur compétent n'est pas seulement un meneur de claques qui sait accumuler les victoires et qui paie la gomme, souligne le professeur retraité du Département de kinésiologie. C'est une personne qui a une formation appropriée, une expérience et une disponibilité que les bénévoles ne possèdent pas toujours.

"L'entraîneur de carrière est le premier arrivé à la patinoire et souvent le dernier parti. Il connaît ses joueurs. Il s'informe de leurs performances scolaires autant que de leur condition physique. Le programme d'entraînement qu'il établit avec eux a une cohérence, des objectifs précis... Avec lui, les joueurs savent d'où ils viennent et où ils vont. Son but n'est pas de gagner chaque match mais d'insuffler un bon esprit d'équipe."

Travail gigantesque mais insuffisant
M. Larivière ne veut pas blâmer la légion de bénévoles qui consacrent leur énergie au fonctionnement des ligues de niveau Atome, Pee-wee, Bantam, Midget, etc. Leur travail est remarquable, gigantesque. Mais il est malheureusement insuffisant.

"Le bon père de famille qui accepte de diriger une équipe se brûle à la tâche, note M. Larivière. La vie de parent est déjà assez exigeante comme ça! D'ailleurs, les entraîneurs ne font pas plus que trois ans en moyenne. Il y a donc un roulement constant du personnel."

Nouvel entraîneur, nouvelle philosophie du jeu, nouvel apprivoisement pour les joueurs. La Fédération québécoise de hockey sur glace distribue bien un manuel pour inciter les volontaires à suivre un programme, mais ce n'est pas suffisant, aux yeux du spécialiste. "Si on me demandait "Georges, pourrais-tu être médecin cette fin de semaine?" je répondrais que je n'ai pas les compétences pour faire ce métier. Or, on attend des parents déjà débordés une expertise qu'ils ne possèdent pas."

Certes, l'engagement d'entraîneurs qualifiés - un programme d'études au cégep pourrait être tout indiqué - exige un budget. Mais compte tenu du nombre d'adeptes, ce problème pourrait être facile à régler. "Dans certains sports, ce sont des questions de sécurité qui dictent la procédure d'encadrement. En natation, par exemple, la formation est capitale parce que l'eau, c'est dangereux."

Le fait que des bénévoles assurent l'essentiel de l'encadrement pose d'autres problèmes. Au cours des dernières années, des cas de pédophilie et d'abus sexuels ont jeté un discrédit sur les ligues de hockey. Le phénomène du dopage pourrait mener à d'autres scandales. Stéroïdes, éphédrine, créatine, caféine et autres produits miracles circulent sous le regard approbateur des entraîneurs de certaines équipes. Une section spéciale de la Gendarmerie royale du Canada mène actuellement une campagne de prévention contre les drogues de performance dans le sport amateur.

Un autre symptôme de la maladie qui frappe le hockey amateur est l'abandon progressif de la clientèle. "J'ai fait un tableau avec les statistiques de Hockey Québec, dit M. Larivière. On se rend compte que la pratique du hockey diminue avec l'âge. Les équipes de la catégorie Atome, soit les plus jeunes (11-12 ans), comptent pour 31% des joueurs répertoriés du Québec. Les Midget ne comptent que pour 13% et la catégorie plus âgée (de 17 à 20 ans) n'a plus que 3% du bassin total. Si une entreprise perdait ses clients de cette façon, elle ferait rapidement faillite."

L'attrait de la LNH
Au dernier repêchage de la Ligue nationale de hockey, les joueurs canadiens n'étaient qu'une poignée à faire le grand saut. Cette ligue comptait pourtant autrefois plus de 80% de Canadiens. À l'origine, "nationale" voulait même dire "canadienne". Qu'est-ce qui s'est passé?

"Autrefois, nous jouions en vase clos, répond Georges Larivière. Quand les portes ont été ouvertes aux joueurs des autres pays, nous avons eu nos premières surprises."

Il faut remonter à la Série du siècle, en 1972, pour trouver la première gifle donnée au hockey tel qu'il se joue au Canada. Quelques spécialistes jusque-là qualifiés avec mépris de "docteurs en hockey" avaient pourtant vu venir le soufflet. "Nous savions que l'entraînement au Canada comportait des lacunes, que les joueurs attendaient le camp d'entraînement pour se mettre en forme. Nous étions allés en Europe et nous avions des contacts avec les entraîneurs soviétiques. Nous savions bien que le hockey, là-bas, était enseigné avec méthode et efficacité."

Le Canada a gagné in extremis la Série du siècle. Mais les observateurs ont été unanimes à dire que plus rien n'a été pareil à partir de cette date. Malheureusement, selon Georges Larivière, les Canadiens n'ont pas répondu de manière satisfaisante aux défis posés par cette confrontation marquante. Près de 30 ans plus tard, ils agissent toujours comme des milliardaires. Peu importe la formation, les meilleurs joueurs du pays sortiront toujours de la masse...

M. Larivière fait l'analogie avec un autre débat. "Quand des jeunes ne maîtrisent pas le français à leur entrée à l'université, on se dit que quelque chose a dû clocher dans leur formation. On se tourne vers l'enseignement du français, les programmes d'études. Puis, on règle le problème."

Mathieu-Robert Sauvé


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