Le Centre canadien d'études allemandes et européennes accueille son premier directeur, Jeffrey M. Peck. |
"Comment un centre d'études allemandes et européennes, mis sur pied et financé en grande partie par l'Allemagne, situé au Canada bilingue et multiculturel, géographiquement et culturellement si proche des États-Unis, peut-il développer une identité dans une société globale où les distinctions nationales sont en cours de dissolution et parfois rétablies de manière souvent inexplicable?"
Voilà le genre de question que se pose le nouveau directeur, qui a choisi de présenter ce centre, à la situation "excitante et unique", ainsi que lui-même au public canadien le 15 septembre dernier par une conférence inaugurale intitulée "Focus sur l'excellence au Canada: internationalisation et identité culturelle."
M. Peck, qui se définit comme un critique littéraire et culturel devenu anthropologue, décrit ainsi le Centre canadien d'études allemandes et européennes (CCEAE): un institut interdisciplinaire mis sur pied (et partiellement financé) par la République fédérale d'Allemagne et constitué de deux universités, l'Université de Montréal au Québec francophone et la York University en Ontario anglophone; situé dans les deux principaux centres cosmopolites du Canada, il est affilié à l'Université McGill et à l'Université de Toronto; il compte également des affiliations avec d'autres universités canadiennes, des ententes de partenariat avec des universités allemandes et entretient des liens avec d'autres centres aux États-Unis. Ce centre est, ajoute le directeur, "biprovincial, polyglotte et avant tout, international. Il est au service des deux universités - à l'interne comme à l'externe -, des deux villes, de la nation et, j'espère aussi, du monde."
Mondialisation
Rappelons que le CCEAE avait été inauguré
officiellement le 4 novembre 1997 en présence de plusieurs
ministres allemands, canadiens et québécois. Il
vient également d'emménager dans ses nouveaux locaux
du cinquième étage du Pavillon 3744 Jean-Brillant.
Jeffrey M. Peck, qui se qualifie de "mandarin global", entend bien que son centre le soit également, ses recherches sur les ramifications culturelles, intellectuelles et universitaires de la mondialisation formant, espère-t-il, une base pour ses tâches d'administrateur.
"Des événements locaux nous ancrent dans notre quotidien, où nous ignorons complètement les intérêts globaux et cybernétiques jusqu'à ce que nous nous heurtions aux effets du capitalisme multinational et de l'impérialisme culturel particulièrement renforcé par la technologie et les médias de masse, poursuit M. Peck. Ces chocs nous rappellent que ces 'petits' moments du quotidien se métamorphosent en intérêts globaux en l'espace de quelques nanosecondes, que cela nous plaise ou pas. Et n'oublions pas que l'inverse de ce processus existe également."
Ainsi la chute du mur de Berlin, survenue il y a 10 ans, a précipité la fin du millénaire et enclenché une mutation géopolitique en Europe et en Union soviétique qui a transformé l'équilibre international des forces.
Il y a une distinction entre l'international et le mondial, le dernier impliquant le premier mais pas nécessairement l'inverse, observe M. Peck. Plus englobante, la mondialisation est identifiée à l'hégémonie du libre marché et à la création de multinationales, à la circulation transnationale du capital et à l'influence des médias, particulièrement la technologie informatique. Par contre, l'international a pour préalable la stabilité et les délimitations des États nations.
Contexte européen
Parce que le CCEAE arrive presque 10 ans après les centres
d'études allemandes et européennes des États-Unis,
M. Peck croit qu'il est possible d'imaginer qu'il sera à
la fois international et mondial.
"La société allemande a eu l'avantage ou le désavantage, selon la perspective qu'on adopte, de surmonter le fardeau de son passé pour devenir un exemple remarquable de démocratie libérale, observe le directeur du Centre. Cependant, en dépit du nombre de critiques et d'universitaires en études allemandes qui célèbrent son évolution exemplaire, il est clair que son histoire ne doit pas être oubliée. Son histoire doit être utilisée comme un outil critique de constante vigilance dirigée vers de potentiels dangers politiques."
Pourquoi ce centre est-il aussi européen? Le directeur s'en explique: "Les difficultés à mettre sur pied des programmes d'études allemands après l'euphorie de la chute du Mur et l'unification ont eu pour effet de réduire la vision intellectuelle aux impératifs de la simple survie. Ironiquement, c'est en situant l'Allemagne dans son contexte européen, l'Europe dans le globe et leur étude justement au Canada un peu comme s'emboîtent des poupées russes qu'on renforcera et peut-être même qu'on sauvera l'étude de l'Allemagne dans l'avenir."
Perspective canadienne
Selon lui, c'est de cette "perspective canadienne" plutôt
que de celle du voisin globalisateur au sud du 49e parallèle
que peuvent se
développer des études mondiales et internationales allemandes et européennes. "Mon expérience de professeur membre du Centre d'études allemandes et européennes à Washington DC pendant sept années et mes études comparées de questions d'identité, de multiculturalisme et de minorités en Allemagne et aux États-Unis m'ont fait voir les désavantages qu'il y a à être au centre et les avantages de la périphérie."
M. Peck entend bien faire en sorte qu'au CCEAE on ait toujours à l'esprit les questions liées à la mondialisation lors de la création de programmes de recherche en sciences humaines et sociales, dans l'enseignement et dans le rayonnement, les trois mandats du Centre. En outre, il ne sera pas une version canadienne d'autres centres, mais plutôt un lieu global intellectuel distinct, de conclure le nouveau directeur.
Plus concrètement, le CCEAE établira des liens avec des fondations, des entreprises et des ONG allemandes ainsi que des partenariats avec des centres, universités et organismes culturels; il créera des groupes de recherche et organisera des séminaires, des colloques et des conférences internationales; il encouragera l'interdisciplinarité; il accueillera des professeurs invités, organisera des séminaires à l'intention des journalistes, des médias, des entreprises et des écoles; il établira des contacts avec des organisations internationales, particulièrement avec l'Union européenne, et ici même, à l'Université de Montréal, avec la chaire Jean-Monnet.
Françoise Lachance