L'analyse de la perception du risque tient une place marginale au laboratoire en environnement et prévention. Pour le professeur Joseph Zayed et son assistante de recherche Suzanne Philippe, la perception du risque associé aux champs électromagnétiques revêt néanmoins une grande importance compte tenu de son impact social, politique et économique. |
Le risque de souffrir de leucémie est deux fois plus élevé chez les enfants qui habitent à proximité de lignes électriques, révélait une étude américaine à la fin des années 1970. Cette nouvelle a créé une telle commotion que, près de 30 ans plus tard, les champs électromagnétiques (CEM) provoquent encore des tensions dans la population. Même si la majorité des études expérimentales tendent à infirmer le lien de cause à effet entre les CEM et le cancer.
"Le manque de consensus scientifique quant aux impacts des champs électriques et magnétiques sur la santé contribue à l'appréhension des gens", affirme Suzanne Philippe, diplômée à la maîtrise au Département de médecine du travail et d'hygiène du milieu.
Sous la codirection de Joseph Zayed, professeur au même département, et de Lucie Richard, professeure à la Faculté des sciences infirmières, Suzanne Philippe a effectué une recherche portant sur la perception du risque associé au projet de construction d'une ligne électrique à haute tension (aujourd'hui construite) dans le quartier Rivière-des-Prairies. "Je voulais savoir comment les gens de cette région réagissaient au projet et pourquoi, dit-elle. Et pas seulement ceux qui se présentent aux audiences publiques."
Résultat? Les données recueillies auprès des résidants de la région, comparées à celles d'une population habitant une municipalité non touchée par le tracé de la ligne électrique, ne montrent pas de façon significative l'existence d'un plus grand niveau d'appréhension à l'égard des CEM. L'inquiétude, voire la peur, habite néanmoins certaines personnes.
"Les médias ont largement contribué à l'amélioration des connaissances relatives aux CEM. La population est aujourd'hui mieux informée", estime Suzanne Philippe. À son avis, cela semble expliquer le faible écart entre le groupe de résidants à Rivière-des-Prairies et le groupe contrôle. En revanche, l'étude a permis de constater qu'une certaine crainte demeure. Elle est due en partie à l'incertitude scientifique.
Quand le doute s'installe...
Plusieurs chercheurs d'ici et d'ailleurs ont étudié
les impacts des CEM, mais les recherches sont contradictoires,
équivoques ou encore non concluantes. Même une vaste
étude menée en Angleterre sur une période
de 10 ans n'a pas réussi à confirmer l'hypothèse
causale. Certaines recherches sont rassurantes. Une étude
effectuée par Rosemonde Mandeville, médecin chercheuse
à l'institut Armand-Frappier, démontre que les CEM
ne sont pas une source de cancer... du moins chez le rat!
Malgré les considérables efforts de recherche consacrés à ce phénomène, on ne peut pas conclure à une plausibilité biologique certaine entre l'exposition à un champ et le développement d'un cancer. Mais on ne peut pas non plus "écarter totalement la possibilité que les champs puissent stimuler la progression d'un cancer déjà existant", selon un article publié en février 1998 dans la revue Québec Science. Dans le doute, on prône donc l'adoption de mesures de prudence. En effet, depuis que le National Institute of Environmental Health Sciences Working Group a proposé, dans le rapport du comité de consultation et d'information publiques du projet Hertel-Des Cantons, de considérer les CEM comme étant possiblement cancérigènes, plusieurs organismes préconisent des mesures préventives.
Or, pour Joseph Zayed, l'approche axée sur la prévention est intéressante, mais il faut éviter que l'incertitude par rapport au risque se traduise par une certitude chez la population. "On doit s'assurer de ne pas alimenter une crainte disproportionnée, dit-il. Car il y a un effet pervers rattaché aux mesures de prudence qui pourraient être instaurées par le ministère de la Santé et des Services sociaux."
Et puis, le caractère invisible des CEM tend à insécuriser le public. "Dans certains cas, précise Joseph Zayed, c'est cependant l'inverse qui se produit. On se méfie plus d'une eau brouillée que d'une eau claire. Pourtant, les deux peuvent contenir des bactéries", explique-t-il.
Gestion du risque
Outre les impacts sur la santé associés aux CEM,
le bruit causé par le déclenchement des disjoncteurs
et la modification du paysage (présence de pylônes)
déplaisent aux habitants concernés. "Mais la
principale raison de l'opposition de la population, c'est qu'elle
n'est pas prête à accepter un risque involontaire",
déclare Suzanne Philippe. À l'opposé d'un
risque volontaire comme fumer la cigarette, explique-t-elle, le
risque involontaire est imposé.
"Pour arriver à faire converger la perception et l'estimation scientifique du risque, signale Joseph Zayed, le public doit être impliqué dans les premières démarches d'un projet le concernant. Sinon, on va se heurter tôt ou tard à des résistances, prévient-il. Il ne suffit pas de simplement informer la population, encore faut-il la consulter!"
Dominique Nancy