FORUM - 6 MARS 2000Découverte prometteuse pour les daltoniensJocelyn Faubert et Vasile Diaconu étudient le gène du daltonisme chez les mères porteuses.
À l'école Beauséjour, le petit Jean-Sébastien fait un dessin: le ciel est brun et le feuillage des arbres, rose. L'éducatrice lui explique la notion des couleurs, mais l'enfant n'arrive pas à faire la distinction entre le brun et le rose. Elle s'inquiète et avec raison. Jean-Sébastien n'est pas un Picasso en herbe, il est daltonien. "Il y a 50 ans, cette anomalie de la vision des couleurs n'était pas très importante, affirme Jocelyn Faubert, professeur à l'École d'optométrie. Mais de nos jours, le problème prend de l'ampleur. Avec l'infographie, le décodage de l'information se fait de plus en plus par la couleur. Cela a un effet sur l'apprentissage fait par des enfants daltoniens." Pour l'instant, on ne connaît pas encore de façon de corriger le daltonisme. Les recherches sur la perception des couleurs est un domaine encore peu étudié et beaucoup de questions demeurent sans réponse. Une récente découverte du professeur Faubert et de l'étudiant en génie biomédical Vasile Diaconu pourrait permettre d'en apporter. "Traditionnellement, on pensait que les mères porteuses du gène du daltonisme percevaient les couleurs comme une personne qui a une vision normale, appelée 'trichromate'. Mais ce n'est pas le cas. Nous avons mis en évidence que le quatrième pigment (celui associé au daltonisme) s'exprime aussi dans la courbe de sensibilité spectrale de ces femmes. Des nuances ont été observées sur le plan des subtilités des couleurs et des intensités perçues", révèle Jocelyn Faubert. Les chercheurs du Laboratoire de psychophysique et perception de l'Université de Montréal publieront prochainement, dans la revue scientifique Vision Research, les résultats de cette étude menée auprès d'une dizaine de mères porteuses et de leur fils. Rappelons que le daltonien est un homme dont l'unique chromosome X (le chromosome sexuel), transmis par la mère, porte l'anomalie. Les femmes ne sont touchées que si les deux chromosomes X (celui hérité de la mère et celui hérité du père) sont tous les deux anormaux. Cela explique pourquoi huit pour cent des hommes sont daltoniens alors que moins de un pour cent des femmes sont touchées par cette anomalie de la vision. Théorie de Lyon Leur objectif n'est pas irréaliste: le On-Line Spectroreflectometry Oxygenation Measurement in the Eye (OSOME), mis au point par Jocelyn Faubert et Vasile Diaconu, a été classé en 1998 par la revue Québec Science parmi les 10 découvertes de l'année (voir l'article paru dans Forum le 18 janvier 1999). "Nous voulons démontrer qu'il existe chez les mères porteuses des régions spécifiquement trichromates et d'autres dites daltoniennes, souligne Jocelyn Faubert. Cela permettrait de confirmer la théorie génétique de Lyon, du moins pour ce qui est de la vision des couleurs chez les mères porteuses!" Qu'est-ce que la théorie de Lyon? Elle dit que différents chromosomes X peuvent s'exprimer dans l'organisme, répond Jocelyn Faubert. Selon la chercheuse française qui l'a élaborée, il y a une alternance dans l'expression de ce gène. Le chromosome X du père est présent dans certaines régions alors qu'ailleurs, c'est le chromosome X de la mère qui est exprimé. "Nous croyons que ce phénomène est aussi valable pour la vision des mères porteuses." Anomalie héréditaire Il explique: "Les trichromates ont trois sortes de cônes: les rouges, les bleus et les verts. Ces trois couleurs primaires leur permettent de reconstituer l'éventail des couleurs. Les daltoniens souffrent d'une absence ou d'un mauvais fonctionnement d'un de ces cônes." Des chercheurs américains ont déjà réussi par manipulations génétiques à donner un nouveau récepteur de couleurs à des souris dichromates. "Mais la modification d'un gène est complexe, reprend le chercheur. Qui peut en prévoir les conséquences?" Il existe un autre moyen de pallier le handicap du daltonisme, fait valoir Vasile Diaconu. Il suffit de poser un filtre de couleur rouge sur une lentille cornéenne. Le procédé est simple: le filtre est placé sur une seule lentille. Le daltonien peut alors comparer les couleurs avec l'autre oeil. S'il y a des différences, c'est signe qu'il y a quelque chose qui cloche. Un croupier du Casino de Montréal a opté pour cette solution. "Ce n'est pas très esthétique et tout un spectre de couleurs est coupé, mais pour lui, c'était important de distinguer les jetons rouges des verts", note l'étudiant. Parmi les projets futurs des chercheurs: l'étude de filtres transparents qui permettraient de voir spontanément les couleurs. "C'est grâce aux recherches qu'on mène présentement qu'on pourrait arriver à concevoir ce type de produit", conclut Jocelyn Faubert. Dominique Nancy Un oeil vaut parfois mieux que les deux!Avec sa collègue Olga Overbury, de l'Université McGill, Jocelyn Faubert a démontré que certaines personnes voient mieux avec un seul oeil qu'avec les deux! Ils ont mené une étude auprès d'une soixantaine de sujets, âgés de 50 à 96 ans, qui souffrent de dégénérescence maculaire. Les résultats de la recherche sont étonnants. Quarante-cinq pour cent des personnes ont une vision plus faible lorsqu'elles utilisent les deux yeux plutôt qu'un seul. Et le phénomène n'est, semble-t-il, pas relié à l'âge. "C'est une intuition que nous avons eue en clinique, signale Jocelyn Faubert, professeur à l'École d'optométrie. Nous voulions voir comment les personnes qui souffrent de déficience visuelle utilisaient la vision binoculaire." M. Faubert est l'un des rares chercheurs à concentrer ses travaux sur la dégénérescence maculaire et son rapport avec l'environnement. Il étudie le phénomène depuis une dizaine d'années. Le directeur du Laboratoire de psychophysique et perception publiera en avril prochain, dans la prestigieuse revue Journal of the American Geriatrics Society, un article qui démontre que la perception visuelle, avec l'utilisation des deux yeux, n'est pas toujours supérieure. Certaines personnes ont une meilleure vision avec deux yeux, alors que d'autres fonctionnent mieux avec seulement un oeil. Cela dépend des gens et des situations. Cet article, écrit avec Olga Overbury, pourrait avoir d'importantes répercussions sur le plan de la réadaptation. "La dégénérescence oculaire est une des causes majeures de cécité chez les gens qui vieillissent, rappelle le professeur Faubert. Cette pathologie croîtra de façon marquée au cours des prochaines années compte tenu du vieillissement de la population. Grâce à cette découverte, nous pourrons, possiblement, améliorer la manière dont ces personnes se comportent dans leur environnement." D.N.
En collaboration avec Jocelyn Faubert, professeur à l'École d'optométrie, l'ingénieur Mohamad Sawan, de l'École Polytechnique, a mis au point un oeil électronique destiné aux aveugles dont la cécité a été causée par un accident ou une maladie oculaire survenue tardivement. Cette innovation n'est pas une première, puisque des Américains ont déjà élaboré un implant visuel de ce type. Mais celui des Québécois est plus sophistiqué sur le plan de la microélectronique. "Au lieu d'électrodes et de câbles, l'oeil artificiel de Mohamad Sawan est miniaturisé et transcutané, souligne Jocelyn Faubert. Il produit un point lumineux qui stimule les neurones de la partie centrale de l'oeil, appelée 'zone fovéale'. Cette région, située au centre de la rétine, est la principale partie de l'oeil affectée par la dégénérescence maculaire." La technologie pourrait-elle donc aussi servir aux demi-voyants? Pour le moment, l'implant ne peut leur offrir plus de vision que ce qu'ils ont déjà, indique le chercheur. Dans une dizaine d'années, il n'est cependant pas impossible qu'on puisse concevoir un système qui permettrait de jumeler leur vision périphérique et une vision artificielle centrale. "Dans sa forme actuelle, l'implant n'est pas destiné aux demi-voyants ni aux aveugles de naissance." Reste qu'il s'agit d'une technologie spectaculaire. Grâce à des lunettes munies d'une petite caméra qui envoie à l'implant des signaux par fréquence radio, l'aveugle arrive à situer des objets et des personnes. Dès que le sujet enlève les lunettes, il ne voit plus. Jocelyn Faubert explique. "C'est la caméra qui transmet l'information à la puce implantée dans le cortex visuel. Celle-ci communique ensuite les messages au cerveau." Bien entendu, il ne s'agit pas d'un traitement de la cécité. L'aveugle ne peut espérer récupérer une vision normale, prévient le chercheur. "Il est possible qu'on arrive à simuler artificiellement le prétraitement de l'information, qui normalement est effectué par la rétine. Mais cela est très complexe: il y a des milliers de neurones qui interagissent dans cette région." En attendant ce progrès technologique, il est clair qu'une phase d'apprentissage et d'ajustement sera nécessaire. C'est à ce moment que Jocelyn Faubert aura le plus de pain sur la planche. Le spécialiste du traitement de l'information par le système visuel travaillera alors en collaboration avec M. Sawan et d'autres chercheurs afin de moduler et d'ajuster les signaux. Dès le printemps prochain, des tests sont prévus avec des primates. L'oeil artificiel devrait être implanté chez un aveugle d'ici un an ou deux. D.N. |