FORUM - 21 FÉVRIER 2000Alice Ronfard et Benoît Brière à l'Atelier d'opéraLes étudiants présentent Béatrice et Bénédict, une première au Québec.
"Faites-vous confiance! Faut qu'il y ait de la vie; la vie, ça ne passe pas seulement par la musique, ça passe aussi par le corps." Alice Ronfard joint le geste à la parole. Elle s'élance au-devant de Frédéric Antoun, étudiant en chant qui incarne Bénédict dans la prochaine production de l'Atelier d'opéra, et esquisse ce qui pourrait être son entrée en scène. Le jeune homme l'écoute et reprend son interprétation en y mettant plus de conviction. "La voix est remarquable, mais le jeu n'est pas très assuré, explique Mme Ronfard à Forum, en marge de la répétition. Les interprètes ont une idée très austère de l'opéra. Mais c'est incroyable le progrès qu'ils font en quelques heures. Le jour et la nuit. Et ils sont prêts à tout essayer." La grande dame de théâtre n'est pas la seule professionnelle à être venue donner du souffle à cet opéra comique en deux actes peu connu, adapté d'une pièce de Shakespeare, Much Ado About Nothing (Beaucoup de bruit pour rien). Benoît Brière, l'un des comédiens les plus adulés du Québec, a accepté de faire de la direction d'acteurs et de seconder Mme Ronfard dans sa mise en scène. "C'est ma première expérience avec des chanteurs, explique M. Brière. Le chant et le jeu sont pourtant très proches l'un de l'autre. Les chanteurs devraient tous être un peu plus conscients de leur jeu, et les acteurs devraient posséder plus de notions de chant." Amateur de musique et marié à une violoncelliste, Benoît Brière incarne bien cette dualité. Il a étudié le chant pendant quatre ans alors qu'il terminait sa formation d'acteur. Après avoir assisté à la dernière grande production de l'Atelier d'opéra, La flûte enchantée, il a déploré que les protagonistes aient été un peu figés dans leurs costumes. Ce commentaire est parvenu aux oreilles du chef de l'Orchestre de l'Université de Montréal, Jean-François Rivest, qui l'a pris au mot. "Quand on m'a invité à donner un coup de main à la mise en scène de cette oeuvre, j'étais mal placé pour dire non", relate Benoît Brière en riant.
Une première Berlioz lui-même disait de cet opéra, écrit peu après son chef-d'oeuvre Les Troyens, qu'il n'avait jamais composé "quelque chose de si original". Pour Maxim Lepage, "la partition est effectivement tissée finement et les jeux harmoniques, rythmiques et mélodiques abondent, le tout s'accordant merveilleusement bien avec l'esprit ludique et la verve piquante de Shakespeare". L'argument ne se résume pas aisément. Disons qu'il s'agit d'une comédie sur l'amour où deux couples se partagent la scène: l'un (Hero et don Pedro) est assez traditionnel alors que l'autre (Béatrice et Bénédict) se croit à l'abri de tout transport amoureux. Mais ce qui doit arriver arrive: "Béatrice à son tour tombe victime de l'amour" (acte 2). Avant la fin de l'acte, les deux amants se susurrent des mots doux. Bénédict, qui au premier acte jurait qu'il ne se marierait jamais, doit maintenant battre en retraite et reconnaître la puissance de l'amour et la légèreté de l'homme. Tous les rôles sont tenus par des étudiants du programme d'opéra de la Faculté de musique, dirigé par Rosemarie Landry. La direction musicale est de Robin Wheeler. Marie-Pierre Fleury (scénographie et costumes) et Anne-Catherine Simard (éclairage) participent également à la production. Berlioz raccourci Cette metteure en scène a déjà monté un opéra en 1992 avec l'Opéra de Montréal (Cosi fan tutte, de Mozart), mais il s'agit de sa première expérience avec des étudiants en musique. "Cela me sert beaucoup. Ce soir, par exemple, j'ai une répétition du Roi Lear, de Shakespeare, et ce que j'ai vu ici va continuer de m'habiter. Il y a plus de musique qu'on croit dans un texte de théâtre." Elle affirme que les jeunes de cette distribution sont à l'écoute, généreux et prêts à tout. "Ils veulent. Je vous dirais que j'ai plus de plaisir avec eux qu'avec nombre de professionnels." "Leur passion m'émeut", rajoute Benoît Brière. Le comédien, qui en est à sa première direction d'acteurs, confie qu'il aimerait bien, un jour, faire de la mise en scène. "Mais pas avant 10 ans", précise-t-il. Pour lui, il est impératif de respecter le texte. Une image vaut mille mots: en répétition, il se déplace toujours avec son dictionnaire Robert. "Pourquoi? Pour chercher la signification des mots qu'on doit interpréter, explique-t-il. Si Berlioz qualifie un personnage de 'matamore' ou utilise le verbe 'oppresser', il sait ce qu'il veut dire. L'interprète doit donc avoir une idée précise de la définition de ces mots que, comme bien d'autres, on croit connaître. Parfois, on a des surprises." Le travail sous la direction de ces deux grandes personnalités du théâtre plaît beaucoup aux étudiants. Mathieu-Robert Sauvé
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