Dans l'ordre habituel, France Picard, étudiante au doctorat en sciences humaines appliquées; Lianne Moyes, professeure au Département d'études anglaises; Marisa Zavalloni, coordonnatrice du séminaire et professeure titulaire au Département de psychologie; et Marie-Andrée Bertrand, professeure émérite à l'École de criminologie, qui a proposé la création de ce séminaire à la FES en 1989. |
Peut-on encore parler de féminisme à quelques semaines du troisième millénaire et que peut-on en dire de plus? Un groupe de professeures de l'Université de Montréal offrira, en janvier prochain et pour la 10e année de suite, un cours sur la question intitulé "Le féminisme au carrefour des disciplines" (dans le cadre d'un séminaire d'intégration interdisciplinaire). Comme le précise Marisa Zavalloni, professeure titulaire au Département de psychologie, le féminisme englobe le mouvement politique, mais aussi la théorie qui, à son avis, a révolutionné tout le domaine des sciences sociales.
Mme Zavalloni et ses collègues - Denise Baillargeon et Susan Mann (Histoire), Marie-Andrée Bertrand (Criminologie), Olivette Genest (Théologie), Danielle Juteau et Nicole Laurin (Sociologie) ainsi que Lianne Moyes (Études anglaises) - abordent l'évolution de la théorie féministe et son application dans un monde moderne où, dans certaines disciplines, on émet toujours des réserves sur leur importance.
Histoire et remise en question
L'idée d'offrir le cours remonte à 1987, quand sept
professeures de l'Université de Montréal qui avaient
travaillé sur le féminisme ont décidé
de mettre leurs énergies en commun. "Nous y avons
cru dès le départ", souligne Marie-Andrée
Bertrand, professeure émérite de criminologie. Deux
ans plus tard, le groupe de discussion présentait son premier
cours.
Mme Bertrand rappelle que le féminisme a pris racine dans la tradition occidentale et que le vocable même de "théorie" signifie "observation" en grec. De là l'importance de l'interrogation dans la compréhension de la discipline. Cette combinaison historique et critique reflète le développement du séminaire depuis ses débuts. Chaque année, les professeures choisissent un angle d'étude: la violence, la masculinité-féminité, le rapport entre l'identité sexuelle et les pratiques de vie, le féminisme dans l'art baroque ou encore les femmes et l'Église. "D'année en année, le cours progresse. Chaque enseignante constate les limites de son champ de spécialisation. Cela pose un défi. Nous en sommes venues à faire la critique de la critique, un processus qui n'est jamais fini", relève Mme Bertrand. "Maintenant, on parle des limites du féminisme", constate Lianne Moyes, professeure au Département d'études anglaises.
Mme Moyes va plus loin en affirmant que cette évolution de la pensée apporte du sang neuf à la question. "Pour moi, la théorie féministe est une sorte d'ouverture sur plusieurs disciplines. C'est ce que le séminaire apporte. L'étude du féminisme, c'est aussi le fait de s'interroger et de défaire pour mieux refaire. Et ces difficultés n'affaiblissent pas la théorie, mais la renouvellent. Les horizons changent, modifiant ainsi l'objet et la perspective. Ce sont des modes de questionnement; je n'ai pas l'impression de présenter des principes. Mais il est vrai que ça déstabilise les institutions." Marisa Zavalloni définit pour sa part le séminaire non pas comme une doctrine, mais plutôt comme un espace de réflexion.
France Picard est étudiante au doctorat en sciences humaines appliquées et a suivi le séminaire interdisciplinaire. Elle indique d'entrée de jeu qu'il vise d'abord et avant tout un apprentissage historique et critique. Elle souligne le grand intérêt suscité par l'apport de plusieurs disciplines dans le même cours. "La perspective est très large. Les professeures présentent des théories, construites par des hommes et par des femmes, à partir desquelles on structure la connaissance. On se penche sur ce que les femmes ont fait et comment elles s'organisaient. Cela n'a rien à voir avec des manifestations ou des revendications."
Les professeures ne nient pas la différence entre la vision féministe de leurs contemporaines et celle des étudiantes actuelles. Marisa Zavalloni considère que le féminisme a été ponctué d'explosions successives au cours de son histoire, comme en 1920 et en 1970, avant de connaître le ressac actuel. "Le point de départ n'est pas le même. Les jeunes d'aujourd'hui sont des filles de féministes", dit-elle.
"Le féminisme a été un mouvement avant d'être un champ d'études. Les victoires des femmes, du mouvement et de la conscience sociale sont indéniables. Il est sûr que les conditions des femmes ne sont pas, en 1999, ce qu'elles étaient en 1960. Les féministes ont fait des gains", croit Marie-Andrée Bertrand. Mais elle ne peut faire abstraction de l'autre côté de la médaille. "Les mêmes principes s'appliquent-ils à toutes les femmes? Quelle est la place de la femme dans la pyramide socio- organisationnelle? Où sont les femmes? Les universités ont été plus ou moins atteintes par ces remises en question." Pour la criminologue, il faut s'assurer que les deux générations de femmes maintiennent le lien. "C'est un défi réel. La révolution intergénérationnelle est une dynamique fragile, car les points de vue des femmes ne sont pas les mêmes", reconnaît-elle.
L'apprentissage de la différence
À noter que le séminaire est ouvert aux hommes et
aux femmes. Il attire aussi, depuis quelques années, un
nombre grandissant de représentants des communautés
culturelles. "Il peut intéresser les étudiants
qui se penchent sur les rapports de pouvoir dans les institutions.
Il est utile à celui ou celle qui s'intéresse non
seulement au féminisme, mais aussi à l'identité
et à la diversité", indique Lianne Moyes.
Justement, cette société québécoise de plus en plus multiculturelle a-t-elle contribué à changer le visage du féminisme ou à l'uniformiser? "Ni l'un ni l'autre", répond Marie-Andrée Bertrand. "À supposer que l'idéal qui permette aux femmes de réaliser leurs aspirations soit vrai, je crois que le Québec offre un modèle intéressant", indique la criminologue. Lianne Moyes ajoute que le féminisme devrait permettre de penser la différence. "Les points de vue sont variés, mais il y a de la place pour cette différence. C'est très intéressant de voir qu'ils cohabitent très bien", témoigne de son côté France Picard.
Les professeures interrogées conviennent que le féminisme ne peut être basé que sur des théories. Selon France Picard, les étudiants ne partent pas de zéro. Leur cheminement respectif et ce qu'ils apportent au reste du groupe, qui sert en quelque sorte de terrain d'expérimentation, enrichissent également tout le déroulement du cours.
Le séminaire d'intégration interdisciplinaire "Le féminisme au carrefour des disciplines" (PLU 6030) est ouvert aux étudiants à la maîtrise et au doctorat, mais aussi à ceux et celles qui en sont à leur dernière année de baccalauréat. Ceux-ci doivent cependant obtenir une permission spéciale du doyen de la Faculté des études supérieures. Limité à 15 étudiants, le séminaire se déroulera le vendredi de 17 h à 20 h à compter du 7 janvier prochain.
Marie-Josée Boucher