Pour Yves Quéré, de l'Académie des sciences de la République française, l'apprentissage des sciences doit passer par l'expérience directe. |
L'enseignement des sciences expérimentales à l'école primaire doit se passer de l'informatique. "Au placard, les ordinateurs!" lance Yves Quéré, membre de l'Académie des sciences de la République française, qui était de passage à l'École Polytechnique pour prononcer la 34e conférence Augustin-Frigon le 20 octobre dernier.
Le professeur Quéré n'a pas la nostalgie de l'époque des tableaux noirs pas plus qu'il ne récuse les bienfaits de l'autoroute de l'information, mais il en appelle à un apprentissage précoce très "charnel" de la science. "Pour les sciences expérimentales, la tentation de glisser une cassette vidéo dans le magnétoscope est grande quand on doit expliquer un phénomène scientifique. Il existe également d'excellents programmes informatiques à caractère pédagogique. Mais pour captiver les enfants, il faut mettre leurs sens à contribution."
Conscient d'être provocateur en lançant au milieu d'une assemblée d'ingénieurs que les bienfaits des ordinateurs sont "nuls" pour les enfants de sept ou huit ans qui suivent un cours de sciences, M. Quéré a tempéré ses propos en signalant que les 20 000 instituteurs français engagés dans un programme d'éducation scientifique qu'il a contribué à créer, "Les mains à la pâte", utilisent quotidiennement Internet pour communiquer entre eux. Un enseignant de Provence peut ainsi répondre à un collègue de Lille qui se demande comment expliquer en classe pourquoi le ciel est bleu et d'où viennent les couleurs de l'arc-en-ciel.
Mettre "les mains à la pâte"
Au début de la décennie, avec ses amis le Prix Nobel
de physique George Charpak et un autre homme de science, Pierre
Lena, cet ingénieur physicien a constaté avec stupéfaction
que, depuis la disparition des "leçons de choses"
dans les écoles françaises, l'enseignement des sciences
était tombé à zéro dans tout le cycle
primaire. "Cela nous a semblé insupportable",
relate-t-il.
Le trio s'inspire d'un programme éducatif américain, "Hands on", qui vise à éveiller les jeunes à la science, et l'adapte à la réalité française. À travers différents thèmes - la mécanique, l'eau, la chaleur, les animaux, l'état de la matière, etc. -, les enfants d'une classe participante sont invités à poser des questions à l'instituteur. Celui-ci doit accueillir chaque question sans juger les élèves et, après discussion, en retenir une ou deux qui feront l'objet d'une expérience digne de la plus pure méthode scientifique.
"J'ai visité une classe, récemment, où le sujet retenu était le rythme. L'institutrice était d'abord un peu embêtée. Puis, elle a fait entendre aux élèves quelques morceaux de musique - rock, classique, populaire - pour leur faire comprendre que le rythme était à la base de la musique. Les enfants connaissent la musique, mais ils ignoraient qu'elle est aussi structure, organisation. Ensuite, pour aborder l'aspect expérimental, l'institutrice a fait construire des pendules."
Objet de conception simple, le pendule est fait d'une potence à laquelle on fixe une corde et un poids. Avec un chronomètre, il est facile de calculer la fréquence des va-et-vient du pendule. Mais cette fréquence varie selon la longueur de la corde ou la grosseur du poids. L'institutrice a donc animé une séance de remue-méninges avec les enfants pour qu'ils émettent leurs hypothèses. Certaines étaient loufoques - la "couleur de la corde" ou la "grosseur des noeuds" influeraient sur le rythme - et d'autres, plus vraisemblables. Mais toutes les hypothèses étaient soigneusement notées au tableau.
"Il n'y a pas de questions stupides, signale Yves Quéré. Si un enfant de 8 ans se fait dire qu'il pose des questions stupides, il n'en pose plus à 12 ans. Le fait d'affirmer ' Je ne sais pas' , c'est faire preuve de modestie devant les mystères de la nature. Et la modestie, c'est une des vertus de la science."
Les vertus de l'enseignement scientifique
Les vertus de l'enseignement scientifique, tel était d'ailleurs
le thème de la conférence de M. Quéré.
Après avoir résumé les étapes du développement
de la pensée scientifique (de Iahvé qui demande
à Adam de nommer les oiseaux de la terre, à Galilée
qui déclare que la nature obéit aux lois des mathématiques),
l'ingénieur physicien a énuméré ces
vertus.
Pour M. Quéré, il n'y a ultimement qu'une seule vertu: la culture. "Quatre-vingt-dix-neuf pour cent des enfants du programme que nous avons mis sur pied ne deviendront pas des hommes et des femmes de science, concède-t-il. Mais l'apprentissage de notions scientifiques élémentaires leur sera toujours utile."
Mathieu-Robert Sauvé