"Diagnostiquer l'anxiété, ça s'apprend", croit Alain Sylvestre. |
Le tiers de la population, soit quelque 2,5 millions de Québécois, souffre d'anxiété. Pourtant, peu de ressources sont offertes aux personnes anxieuses, soutient Alain Sylvestre. Certaines peuvent se payer les services d'un psychologue. Les autres doivent se tourner vers les médecines douces ou prendre leur mal en patience et attendre leur tour pour recevoir les traitements du système de santé public. Mais il y a pire encore. L'alcool ou la drogue font souvent office de médicaments.
Devant l'urgence de la situation, le psychologue a décidé d'étudier le sujet sous un angle particulier: l'observation des comportements. Dans sa thèse de doctorat, rédigée sous la direction de Jean-Pierre Blondin, professeur au Département de psychologie, Alain Sylvestre a mis en évidence le lien entre l'anxiété et l'expression non verbale.
Le fait de bégayer, d'omettre des mots ou des phrases, de hausser les sourcils, de bouger sans cesse la tête, de se passer la main dans les cheveux ou de se gratter le bras est révélateur de l'anxiété chez les gens, selon le chercheur. "Ces gestes se manifestent davantage lorsqu'il y a une élévation de l'activation physiologique", déclare-t-il.
Cette étude a été menée auprès d'une vingtaine de femmes âgées de 20 à 40 ans. "L'échantillon était composé uniquement de femmes, mentionne M. Sylvestre, car des recherches ont démontré qu'elles ont une capacité expressive plus grande que les hommes."
Sous l'oeil d'un psy
La méthodologie consistait à demander aux sujets
de raconter deux événements récents afin
d'observer la fréquence de certains comportements. "Je
leur demandais d'abord de me raconter un épisode neutre,
comme la dernière fois qu'ils ont fait leur épicerie,
précise le psychologue. Ensuite, la narration devait se
rapporter à un incident qui avait suscité chez eux
de l'anxiété. Dans les deux cas, les sujets étaient
filmés."
Le chercheur a constaté que la narration de l'événement anxiogène suscitait une grande nervosité. "Les femmes ont affirmé qu'elles étaient aussi anxieuses que sur le coup de l'événement, souligne Alain Sylvestre. C'est un signe que la méthode est bonne."
Mais une personne qui parle beaucoup avec ses mains, par exemple, est-elle nécessairement anxieuse? "Nous devons analyser cette variable, comme d'autres aussi d'ailleurs, en la comparant avec un état neutre, car le langage gestuel est une des multiples expressions de notre personnalité. Par ailleurs, la gesticulation est aussi culturelle", explique M. Sylvestre.
Les Italiens ne sont donc pas plus anxieux que les Québécois ou les Français. Et ce n'est pas parce que l'animateur Robert-Guy Scully bouge sans cesse ses mains qu'il est plus nerveux que Stéphane Bureau. Mais si une personne gesticule plus que d'habitude, elle éprouve sans doute de l'anxiété. C'est la même chose pour certains gestes nerveux tels se ronger les ongles et bouger sans cesse la tête.
"Ça peut paraître insignifiant, car nous accomplissons ces gestes sans y penser, mais la reconnaissance de l'anxiété est une clé pour comprendre l'état d'un patient", signale le psychologue.
Enseigner à diagnostiquer l'anxiété
La recherche de M. Sylvestre comportait aussi une évaluation
des habiletés des professionnels de la santé à
reconnaître les personnes souffrant d'anxiété
à partir de l'observation des comportements. Conclusion?
Soixante-dix pour cent des psychologues parviennent à déceler
ces signes, alors que 78% des intervenants sociaux y arrivent.
Il y a donc place à l'amélioration.
D'après Alain Sylvestre, il n'y a pas de différences significatives entre les deux groupes observés, mais l'écart entre certains professionnels est tout de même préoccupant. "La majorité des psychologues et des intervenants s'avèrent assez habiles à reconnaître les émotions, mais chez certains (5%), cette habileté est déficiente", commente le chercheur. La difficulté de diagnostiquer l'anxiété risque d'aggraver le problème puisque, en passant inaperçue, l'anxiété n'est pas traitée. Par ailleurs, dans le cas d'un patient schizophrène, cela peut même être dangereux pour la personne qui offre les soins.
"Nous avons tendance à croire que tous les professionnels de la santé possèdent cette habileté, mais la reconnaissance des émotions n'est pas innée. Pourtant, les programmes universitaires en psychologie consacrent moins de 10 heures de cours à l'expression non verbale", déplore M. Sylvestre.
Dominique Nancy
"Je me sens tendue, dit Anne-Marie [nom fictif] à son médecin. Je me fais presque toujours du souci pour quelque chose. Résultat? J'ai de la difficulté à dormir et je souffre de brûlures d'estomac." Cette personne est-elle anxieuse ou stressée?
"Ces deux termes sont souvent confondus, avoue Alain Sylvestre, car il y a du stress dans l'anxiété et de l'anxiété dans le stress." Selon lui, le stress est engendré par un ensemble de contraintes comme le bruit, le froid, l'isolement social, la précarité économique ou encore le rapport avec le temps et le souci de la performance. D'ailleurs, beaucoup de stress peut être vécu au travail lorsque les employés s'investissent trop dans leurs tâches. L'anxiété, quant à elle, se caractérise par une attente, une appréhension ou une inquiétude, souvent hors de proportion avec sa cause. Les personnes anxieuses ont tendance à toujours craindre le pire. Des excès d'anxiété risquent d'entraîner de fortes tensions.
Des techniques de relaxation permettent d'atténuer les manifestations du stress et de l'anxiété: fatigue, irritabilité, maux de tête, problèmes digestifs, etc. Par ailleurs, il ne faut pas négliger l'importance des mots. Dire "Je suis dans le jus" ne fait qu'accroître le sentiment d'impuissance devant le travail à accomplir. Selon les experts, il vaut mieux dire "J'ai beaucoup de travail présentement", car la situation se trouve alors limitée dans le temps.
D.N.