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Que se passera-t-il le 1er janvier 2000?

Des criminologues étudient le possible "passage à l'acte" des groupes sectaires.

Élisabeth Campos a effectué des études sur les tueurs en série et les groupes sectaires criminogènes.

À 0 heure, 0 minute, 0 seconde de l'an 2000, des centaines d'adeptes de philosophies apocalyptiques pourraient mettre fin à leurs jours en croyant propulser leur âme dans un monde meilleur. "La crainte de voir des gens mettre à exécution des projets suicidaires est réelle même si l'on sait que le nouveau millénaire arrivera un an plus tard", signale Dianne Casoni, professeure à l'École de criminologie.

La psychologue, qui reçoit depuis 25 ans des ex-adeptes de sectes dans son cabinet, étudie à titre de criminologue les dérapages appréhendés chez les groupes qui prévoient la fin du monde pour l'an 2000. C'est pourquoi elle s'est intéressée à la date du 1er janvier prochain. À son avis, la plus grande menace ne vient pas des organisations bien établies, connues de la police et comptant des centaines de membres. Les groupuscules nés au cours des dernières années, sinon pendant les semaines qui précèdent le nouvel an, et qui ne possèdent pas de structure complexe constituent un plus grand danger. Des groupes essentiellement composés d'un leader charismatique qui a réuni de un à quatre membres autour de son projet millénariste...

Le pouvoir corrompt
Si les leaders sont reconnus pour leurs responsabilités dans les folies meurtrières, certains d'entre eux sont au-dessus de tout soupçon avant de glisser vers un discours paranoïaque et des actions violentes. Par exemple, le révérend Jones était apprécié pour ses oeuvres de bienfaisance durant les années antérieures au suicide collectif de ses ouailles en Guyana, en 1978...

"Le pouvoir corrompt. Le pouvoir absolu corrompt absolument", répond Élisabeth Campos quand on lui demande comment les leaders des groupes apocalyptiques peuvent avoir une si grande capacité de persuasion lorsqu'ils tiennent des discours si irrationnels.

En fait, selon la juriste et criminologue, s'il était possible de tracer un portrait psychologique du leader, on serait presque capable de prédire la teneur criminogène du groupe. "Le culte de la personnalité du leader peut l'entraîner vers la mégalomanie et la paranoïa et amener la communauté vers une dérive du type de l'Ordre du temple solaire ou de la secte des Davidiens", explique l'étudiante venue de France pour étudier avec Mme Casoni et un autre professeur de l'École, Maurice Cusson.

Dans les deux cas qu'elle mentionne, des centaines d'hommes et de femmes sont morts convaincus que leur décès n'était que le prélude à une renaissance. Mais les enquêtes policières sur les lieux ont prouvé hors de tout doute que des adeptes, parmi lesquels figurent quelques enfants, ont été exécutés durant l'opération. Il s'agit alors de meurtres.

La répartition du pouvoir
Les leaders ou gourous jouent toujours un rôle majeur dans le groupe sectaire. Mais certaines organisations répartissent le pouvoir entre plusieurs membres. Les Témoins de Jéhovah, par exemple, présentent plusieurs caractéristiques du groupe apocalyptique potentiellement fatal pour ses membres. Mais ici le pouvoir n'est pas concentré dans les mains d'une seule personne. On risque donc moins d'y relever des cas d'homicide ou de suicide collectif.

À plusieurs reprises, les Témoins ont pardonné à leurs dirigeants d'avoir annoncé péremptoirement la fin du monde pour telle ou telle date. Les fidèles ont tout bonnement biffé la date erronée et l'ont remplacée par une autre sans remettre en question leur adhésion.

"Le passage à l'acte chez les groupes sectaires est un phénomène encore peu étudié en criminologie. Et sur le plan légal, il est très difficile à circonscrire", explique Mme Campos. Selon la spécialiste inscrite au Centre international de criminologie comparée (CICC) de l'Université de Montréal et auteure d'une thèse sur le phénomène sectaire et le droit pénal, l'attachement fusionnel et traumatique entre l'adepte et le gourou se heurte à la notion de consentement. Peut-on accuser quelqu'un d'avoir commis des viols quand la victime se considère comme chanceuse d'avoir été choisie par son agresseur? La thèse de la manipulation mentale est-elle défendable en cour?

Curieux phénomène, le nombre de plaintes déposées par les citoyens français contre les groupes sectaires demeure très faible. Pourtant, des commissions d'enquête l'ont démontré, plusieurs organisations portent atteinte aux libertés et à la dignité de leurs membres, si ce n'est à leur intimité sexuelle, sans être tenus pour responsables de leurs gestes.

La situation n'est pas différente au Québec. Mme Campos rappelle que des femmes qui adhèrent à la secte de Moïse Thériault, un gourou qui a amputé à froid le bras d'une de ses membres, attendent la fin de la période d'emprisonnement de ce dernier pour permettre au groupe de connaître une nouvelle naissance. Ce genre de phénomène fait en sorte qu'il est difficile d'établir des preuves concluantes contre les criminels déguisés en chefs religieux. "En France, quelques associations réclament des lois pour interdire certaines pratiques. Mais il n'est pas aisé d'encadrer la liberté de conscience."

Connaître le passage à l'acte
C'est au cours de ses travaux de doctorat, à l'Université d'Aix-Marseille, que Mme Campos a entrepris d'étudier ce champ inusité de la recherche en criminologie. Sa thèse était essentiellement juridique, la criminologie étant en France une sous-discipline du droit. Au cours de son postdoctorat au CICC, Mme Campos veut préciser la notion de passage à l'acte afin de prévenir les gestes d'éclat.

À partir des actes d'homicides et de suicides sacrificiels survenus dans cinq groupes depuis 1978 (le Temple du peuple en Guyana, l'Ordre du temple solaire au Québec et en Suisse, la secte Aum au Japon qui a commis l'attentat au gaz sarin, ainsi que les groupes américains Heaven's Gate et les Davidiens), la chercheuse essaie d'établir des similitudes.

Outre la personnalité du leader, évoquée précédemment, la philosophie du groupe - apocalyptique ou non, passive ou active, tournée vers l'extérieur ou vers l'intérieur, avec ou sans délire d'élection - est un facteur déterminant de dangerosité. Mais le nombre d'années d'existence du groupe semble jouer un rôle très significatif. Le Temple du peuple, l'Ordre du temple solaire et la Heaven's Gate avaient moins de 30 ans d'histoire lorsqu'ils ont encouragé leurs membres à se suicider et commis leurs homicides.

Les défenseurs des nouvelles religions reprochent souvent aux médias et aux chercheurs de ne s'intéresser qu'aux sectes les plus extrémistes. Mme Casoni répond que tout groupe sectaire qui favorise le secret et l'isolement de ses membres peut donner lieu à des dérapages dangereux.

Le salut se trouve-t-il dans les bonnes vieilles religions? La criminologue n'y croit guère. "Les religions, après tout, ce sont des sectes qui ont bien tourné..."

Mathieu-Robert Sauvé



Sur la piste des monstres

Avec son accent chantant de la Provence fleurie et son expertise en droit de l'enfant et en justice des mineurs délinquants, rien ne laisse croire qu'Élisabeth Campos se passionne pour certains des pires fous dangereux que la Terre ait portés, de Gilles de Rais, compagnon de Jeanne d'Arc qui a torturé et assassiné 300 enfants, à Ted Bundy, exécuté en 1989 après une cavale sanguinaire de plusieurs années, en passant par le "boucher de Hanovre", qui distribuait de la chair humaine en saucisses en Allemagne entre les deux guerres. Si la terre de prédilection des tueurs en série est aujourd'hui l'Amérique, il fut un temps où ils proliféraient plutôt en Europe.

Dans un ouvrage grand public qu'elle a fait paraître en 1995 en collaboration avec Richard Nolane, la criminologue révèle les résultats d'un long travail de documentation sur ces monstres que les Américains (et les Français) appellent les serial killers. Le lecteur a peine à soutenir certains passages tant les descriptions sont saisissantes. Les actes meurtriers y sont décrits avec minutie, froidement mais efficacement, grâce aux rapports d'enquête rendus publics le plus souvent à la suite des procès. C'est un voyage au pays de l'horreur.

Reprenant les travaux du FBI, les auteurs établissent un certain nombre de caractéristiques de ces meurtriers. Ils sont blancs à 83%, s'attaquent de préférence aux femmes et aux garçons, ont connu une enfance difficile pendant laquelle ils ont pris goût eux-mêmes à la violence; ils sont en général jeunes (moyenne d'âge: 27 ans) et plus intelligents que la moyenne. Enfin, ils tuent le plus souvent près de chez eux et s'attaquent aux membres de leur propre groupe racial.

Rien de rassurant, donc, même si le Québec a été jusqu'ici épargné par ce phénomène (le meurtrier de l'École Polytechnique, Marc Lépine, correspond plutôt à la description du mass killer, qui agit dans un laps de temps très court et en un seul lieu). Le tueur en série peut surgir n'importe où, n'importe quand et il n'a en général pas l'air méchant, comme en témoignent les photos reproduites dans le livre.

"D'où vient mon intérêt pour le sujet? Je dirais qu'il est purement intellectuel, dit Élisabeth Campos. Qu'on le veuille ou non, ces personnes exercent sur nous une fascination étrange."

M.-R.S.


Élisabeth Campos et Richard Nolane, Tueurs en série, Enquête sur les Serial Killers, Toulon, Éditions Plein Sud, 1995, 250 pages.


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