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Les clauses orphelins: de l'Université à l'Assemblée nationale

Rock Beaudet achève
sa maîtrise en relations industrielles.



Alors que se tient actuellement à Québec la commission parlementaire sur le projet de loi 67 destiné à proscrire les "disparités de traitements", Rock Beaudet met quant à lui la touche finale à son mémoire de maîtrise sur ce qu'il appelle toujours les clauses "orphelins". On peut dire que ses travaux ont fait du bruit, car c'est son rapport sur le phénomène qui a mis le feu aux poudres en janvier 1998.

C'est à titre de secrétaire général du Pont entre les générations que l'étudiant en relations industrielles a passé quelques coups de fil pour savoir si les conventions collectives des municipalités québécoises comportaient une de ces clauses. "Quand mon rapport a été terminé, un journaliste de La Presse s'y est intéressé et a publié les résultats: 30 des 40 municipalités étudiées avaient inclus au moins une clause orphelin dans leur convention collective. Mon enquête se terminait sur le fait que ce sont les jeunes qui paient l'essentiel des compressions de 6% imposées aux municipalités. Une injustice flagrante."

Le jour même, Rock Beaudet est invité à défendre son étude à la radio de Radio-Canada. Puis, c'est la flambée médiatique: télévision, journaux, magazines. Le Québec découvre les clauses orphelins, ces modifications qui redéfinissent à la baisse les conditions de travail de certains emplois. Montrées du doigt malgré elles, les municipalités se défendent comme elles peuvent. Les syndicats renvoient la balle à l'État, qui s'en remet aux gestionnaires municipaux.

Coup de théâtre
Au printemps suivant, coup de théâtre. Le chef de l'Action démocratique du Québec, Mario Dumont, réussit à faire passer un avant-projet de loi visant à abolir les clauses orphelins. Il est adopté à l'unanimité par l'Assemblée nationale. Puis, le 1er juin 1998, l'ancien ministre du Travail, Matthias Rioux, annonce la tenue d'une première commission parlementaire sur le sujet.

Au cours des derniers mois, toutes les grandes centrales syndicales, les principaux partis politiques, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, le Conseil du patronat, les chambres de commerce et une quantité d'organismes ont pris position sur cette question que les jeunes du Québec brandissent comme une preuve de discrimination à leur endroit.

Rock Beaudet ne s'attendait pas à ce que sa modeste étude ait un impact aussi considérable. "Les clauses orphelins, ce n'est pas un phénomène nouveau, indique-t-il. Plusieurs ont vu le jour durant les années 1980 et leur pertinence était discutée dans certains milieux. Peu de gens s'en souviennent, mais le Parti libéral du Québec avait même promis en campagne électorale de les interdire par une loi s'il était élu. Malheureusement, il a perdu les élections."

Avec les vagues de compressions des années 1990, de nouvelles clauses orphelins voient le jour. Embauchés après le 1er janvier 1997, par exemple, les nouveaux policiers de la Communauté urbaine de Montréal gagnent 24 000$ par année plutôt que 31 000$. Une baisse de 7000$ pour une simple date d'engagement. Ailleurs, ce sont les chauffeurs de camion qui paient la note: 14$ plutôt que 25$ de l'heure.

"Nous avons été les premiers surpris de la vague de réactions qui a suivi, signale Rock Beaudet. Au local du Pont entre les générations, le téléphone ne dérougissait pas. Tout le monde voulait nous présenter son cas."

Un problème de définition
Les clauses discriminatoires sont-elles aussi répandues qu'on le dit? Guère plus de 4% à 6% des conventions collectives en contiendraient, disent les statistiques officielles. C'est que le ministère du Travail ne considère pas comme une clause orphelin l'ajout d'un échelon ou deux, à la baisse, sur l'échelle salariale. Selon cette définition, même l'exemple des agents de police ne compte pas, car les nouveaux atteignent, après six ans, l'échelle de leurs collègues.

Dans un document récent, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse établissait la distinction. "La clause permanente est celle qui ne permet jamais aux nouveaux salariés d'atteindre le niveau de rémunération consenti aux salariés déjà en place. Alors que la clause temporaire autorise en principe - en principe car la route peut être fort longue - les nouveaux salariés à rejoindre ce niveau plus avantageux. Interdire simplement les clauses à effet permanent ne serait certainement pas un remède adéquat." Le projet de loi 67, actuellement discuté en commission parlementaire, n'interdirait que les clauses temporaires.

Pour Rock Beaudet, le débat actuel ne saurait faire oublier que les clauses orphelins ne sont qu'un visage des iniquités intergénérationnelles du Québec. "Le problème, c'est tout ce que ça cache. Si le gouvernement ne parvient pas à trouver une solution simple à cette situation relativement simple, comment pourra-t-il régler des questions comme la précarisation du travail?"

Quoi qu'il en soit, Rock Beaudet concède qu'un certain chemin a été parcouru depuis la publication de son étude sur le phénomène des clauses orphelins dans les municipalités. Des membres de tous les secteurs de la société québécoise (dont des professeurs de l'Université de Montréal) ont prêté leur voix au débat et le phénomène des clauses discriminatoires et de l'équité intergénérationnelle est désormais abordé au baccalauréat en relations industrielles.

Dans un collectif qui vient de paraître aux Intouchables, Les enjeux des clauses "orphelins", Karine Blondin, Geneviève Shields et Rock Beaudet écrivent que, si le gouvernement n'intervient pas pour enrayer le phénomène, les jeunes feront les frais des nouvelles compressions. "Les derniers arrivés sur le marché du travail, n'étant pas encore embauchés ou représentant une mince minorité, ne peuvent et ne pourront se défendre convenablement."

Ils concluent: "Il ne s'agit pas de poser les jeunes en victimes, mais d'examiner les faits qui semblent contraires aux valeurs de solidarité et d'équité nécessaires à la cohésion sociale."

Mathieu-Robert Sauvé


Théologie pratique

C'est à la Faculté de théologie que loge le groupe de réflexion Le pont entre les générations. Il réunit une vingtaine de membres de tous les âges et a pour fonction de proposer des pistes de réflexion sur trois thèmes: la transmission des connaissances, l'équité entre les générations et l'éducation. C'est dans le cadre d'un travail sur l'équité que François Rebello, étudiant en sciences économiques et militant bien connu, a perçu la gravité du phénomène des clauses orphelins et qu'il a suggéré à Rock Beaudet de se pencher sur la question. "Sans lui, probablement que nous n'en serions pas à discuter d'une loi actuellement", reconnaît ce dernier.

Mais il tient à souligner également la contribution des autres membres du groupe, particulièrement Jacques Grand'Maison et Solange Lefebvre, respectivement professeur émérite et professeure à la Faculté de théologie.

Mais quel rapport avec la théologie? "La Faculté a instauré depuis les années 1970 une section de théologie pratique intimement liée au milieu, répond Solange Lefebvre. On y joint la rigueur de l'analyse à l'action sur le terrain. Les clauses orphelins sont une question de justice qui intéresse autant les gens en relations industrielles que ceux en droit ou en sociologie. Personnellement, je n'ai aucun problème avec l'interdisciplinarité."

M.-R.S.


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