Isabelle Peretz et Simone Dalla Bella |
La musique adoucit les moeurs, c'est bien connu. Mais plusieurs croyaient également qu'une composition musicale particulièrement régulière et symétrique pouvait avoir un effet stimulant sur des fonctions cognitives telles que la mémoire, les habiletés spatiotemporelles et même l'intelligence.
De telles propriétés ont du moins été prêtées à la musique de Mozart. En 1993, des chercheurs de l'Université de Californie soutenaient que l'écoute, pendant 10 minutes, de la Sonate pour deux pianos en do majeur du compositeur autrichien améliorait de façon temporaire les capacités de raisonnement spatiotemporel qui permettent, par exemple, de reconnaître la projection d'une figure déployée sous différents angles.
Dans un bref article publié dans la dernière livraison de la revue Nature (28 août), Isabelle Peretz, du Département de psychologie, son étudiant au doctorat Simone Dalla Bella et des collègues des universités Western Ontario et Appalachian mettent sérieusement en doute les résultats précédents. Les trois équipes de recherche ont en fait été incapables, dans des travaux menés séparément, de reproduire les résultats des chercheurs californiens (Rauscher, Shaw et Ky).
"On aurait bien aimé y croire, mais plusieurs seront déçus", déclare Isabelle Peretz. Même si, comme elle le souligne, "il n'est pas glorieux de faire oeuvre de fossoyeur", elle reconnaît que ces travaux ont le mérite de déblayer le terrain et de départager ce qui peut relever de l'observation scientifique et les croyances populaires.
Au départ, elle s'attendait d'ailleurs à des résultats négatifs; en montrant une interconnexion entre la perception de la musique et certaines fonctions cérébrales, l'expérience des chercheurs californiens allait en fait à l'encontre des travaux qu'elle poursuit depuis plusieurs années et qui ont mis en évidence l'existence de circuits neuronaux spécifiques à la perception musicale (voir Forum du 12 avril 1999).
Simone Dalla Bella s'attendait pour sa part à obtenir des résultats positifs. "Le fait que certaines structures à la base de la reconnaissance de la musique sont au carrefour d'autres fonctions cérébrales, comme la reconnaissance de la parole, pouvait donner du crédit aux résultats originaux, explique-t-il. Mais lorsque trois études très rigoureuses, recourant à la même méthode, ne donnent pas de résultat, ça vous déboulonne un mythe!"
L'étudiant reconnaît par ailleurs que les données sur l'effet Mozart étaient plutôt anecdotiques et n'avaient jamais été comparées avec celles d'autres types de musique. Ce qui n'a pas empêché la production de divers livres et disques consacrés à cet effet et qui connaissent une certaine vogue en psychologie populaire.
Cette fois, l'effet de la musique de Mozart a été comparé avec ceux d'une musique minimaliste, d'une musique de relaxation et d'une relaxation sans musique; aucune différence significative dans les habiletés spatiotemporelles des sujets n'a pu être mesurée par des outils faisant appel à la fois au raisonnement et à l'imagination.
La revue Nature, qui précise ne publier que très rarement des articles mettant en doute d'autres résultats de recherche, mentionne qu'elle l'a fait cette fois parce que la question des relations entre la musique et les fonctions cérébrales intéresse un large public.
Daniel Baril