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Les infirmières boudent la gérontologie

Pourtant, la demande de soins aux personnes âgées continuera de croître.

Sylvie Lauzon, professeure à la Faculté des sciences infirmières, s'intéresse depuis longtemps à toute la question des soins aux personnes âgées.

En 1992, 11,2% des Québécois avaient plus de 65 ans. En 2030, c'est le quart de la population qui sera âgée de 65 ans ou plus. Une personne âgée sur deux aura alors plus de 75 ans.

L'espérance de vie à 65 ans, qui atteignait 15,5 ans pour les hommes et 20,1 ans pour les femmes en 1992-1993, pourrait encore augmenter puisqu'on envisage de plus en plus une hausse de la longévité maximale jusqu'à 120 ans.

Pourtant, les soins de longue durée attirent peu les infirmières, a déploré la professeure Sylvie Lauzon au troisième colloque Alice-Girard, tenu le 4 juin à la Faculté des sciences infirmières. Mme Lauzon, dont l'allocution d'ouverture au colloque a été chaudement applaudie par la centaine d'infirmières présentes, croit plutôt que "les vieillissements" sont sources de découvertes et d'innovations. Pour la chercheuse associée à la Chaire de recherche en soins infirmiers sur la personne âgée et la famille et au Centre de recherche de l'Institut universitaire de gériatrie de Montréal, le pluriel est ici de mise puisque les recherches sur le vieillissement, dont elle a fait le bilan, démontrent que les parcours d'avancement en âge changent beaucoup d'un groupe et d'un individu à un autre.

Différence dans le vieillissement
La personne âgée d'aujourd'hui est plus jeune physiquement, a une meilleure santé, une espérance de vie plus longue, est plus instruite et plus fortunée que celle d'hier, constate Sylvie Lauzon. Une tendance qui ira vraisemblablement en s'accentuant. Les adultes d'aujourd'hui seront davantage en mesure de préserver leur autonomie, ajoute l'infirmière.

"Le cycle de vie traditionnel à trois temps (jeunesse courte, vie adulte vouée au travail et à la famille, puis vieillissement et mort rapide) a évolué vers un modèle à quatre temps où le troisième âge, situé maintenant entre la vie adulte et la vieillesse, permet au retraité en bonne santé de réaliser des projets qu'il avait écartés faute de temps."

Des recherches ont révélé que les processus de vieillissement sont beaucoup plus complexes qu'une simple usure. Théories basées sur le programme génétique, sur les radicaux libres, sur le déclin de la fonction immunitaire ou encore sur la sélection naturelle, "chacune de ces hypothèses est soutenue par des données empiriques, mais aucune ne réussit à elle seule à expliquer le vieillissement biologique, observe Sylvie Lauzon. Toutes pointent vers la différenciation des personnes, c'est-à-dire que plus les personnes vieillissent, plus elles se différencient les unes des autres."

Sur le plan psychologique, des études (tranversales) indiquent que la performance intellectuelle est à son maximum au début de l'âge adulte, d'autres, longitudinales, que le déclin des capacités intellectuelles, lorsqu'il se produit, est marginal et survient à un âge très avancé. Enfin, des chercheurs prétendent que les traits de personnalité demeurent relativement stables pendant toute la durée de la vie, alors que d'autres allèguent que la nécessité de s'adapter font que des changements se produisent tout au long de la vie adulte, ce qui ne fait que démontrer la plasticité intellectuelle, remarque l'infirmière.

De quelques préjugés
Citant Einstein qui disait qu' "il est plus difficile de désagréger un préjugé qu'un atome" la chercheuse s'est employée à en défaire quelques-uns.

Mais ce qui est encore plus important, note l'infirmière, c'est que 89% des personnes de 65 à 74 ans, 73% de celles qui ont entre 75 et 84 ans, de même que 40% des 85 ans ou plus n'ont pas d'incapacités et que 90% de toutes les personnes âgées vivent à leur domicile.

"Nous connaissons même trois clés pour favoriser un fonctionnement mental plus efficace: l'activité physique, un réseau de soutien social fort et la croyance en ses propres capacités de gérer sa vie, trois clés qu'on peut découvrir et améliorer, même tard dans la vie."

Une vaste recherche américaine menée par une quinzaine de chercheurs sur une période de 10 ans auprès de milliers de personnes âgées démontre que, pour bien vieillir, il faut avoir un faible risque de maladie et d'incapacités reliées à la maladie; une performance physique et mentale élevée; un engagement actif dans la vie.

"C'est une forme d'organisation qui montre que l'absence de maladies et d'incapacités rend le maintien d'une performance physique et mentale élevée plus facile, observe l'infirmière. Ensuite, le maintien d'une performance physique et mentale élevée facilite mais ne garantit pas un engagement actif dans la vie. En fait, c'est une combinaison des trois comportements ou caractéristiques qui représente le mieux le concept de bien vieillir." Pour d'autres, bien vieillir correspond à l'atteinte de buts personnels, qui varient d'une personne à une autre.

Défis pour l'infirmière
Quels défis ce portrait pose-t-il aux infirmières qui sont appelées à côtoyer constamment des personnes âgées dans l'exercice de leur fonction?

La recherche en gérontologie bien sûr. À cet égard, trois thèmes semblent faire l'unanimité: le sens de la vie pour les personnes avancées en âge et la pertinence de l'utilisation de certaines technologies de la santé pour elles; la notion de la qualité de la vie pour les personnes souffrant de démence et d'autres conditions débilitantes; les préoccupations au sujet des décisions liées à la fin de la vie.

"Notre discipline est préoccupée par la globalité des personnes ou le tout qu'elles forment", constate Sylvie Lauzon, qui croit que, par leur travail auprès des personnes âgées, les infirmières sont dans une excellente position pour apporter une contribution à la recherche.

Mais voilà, la gérontologie n'a pas l'attrait des unités de soins intensifs, de chirurgies sophistiquées ni de l'urgence où la technologie est omniprésente et la guérison, possible. Comment alors y intéresser les infirmières?

"Nous pourrions repenser nos organisations de travail en nous recentrant davantage sur la satisfaction des besoins des personnes et sur l'efficacité du travail, observe Sylvie Lauzon. Il faut revoir les ratios malades-personnel, repenser les horaires, maximiser le temps passé auprès des résidents et réduire celui consacré à la rédaction de notes pour transmettre des données qui très souvent n'évoluent que lentement. Les administrations doivent valoriser les soins infirmiers. Il faut réviser les critères d'engagement pour inclure des caractéristiques comme l'enthousiasme, la créativité, la sollicitude et la compassion, faire ressortir l'autonomie des infirmières, la latitude qu'elles ont dans le processus décisionnel et le fait que les soins de longue durée leur offrent des possibilités de croissance personnelle uniques."

Françoise Lachance


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