FORUM - 3 AVRIL 2000Sports de gars, sports de fillesLa révolution rose n'est pas pour demain, croit Suzanne Laberge.
"Pour moi, un gars qui pratique des sports de filles, c'est une tapette qui ne sait pas s'exprimer dans des sports de gars, tel le hockey." "Franchement, un gars n'a pas sa place dans les sports de filles! Soit qu'il n'aime pas être un homme, soit qu'il est homosexuel." "Un gars qui fait des sports de filles est moins 'viril'." "J'ai tendance à considérer les hommes qui font des sports de filles comme inférieurs aux autres." Voilà quelques réponses obtenues par la sociologue Suzanne Laberge lorsqu'elle a demandé à des élèves d'écoles secondaires de la région montréalaise ce qu'ils pensaient des garçons qui s'adonnent à des sports comme la ringuette, la danse aérobique ou la nage synchronisée. "Nous avons été estomaqués par les résultats, révèle cette professeure du Département de kinésiologie. J'avais l'intuition que les mentalités avaient changé. Que l'un des derniers ghettos masculins, le sport, s'ouvrait de plus en plus à l'autre sexe. Erreur. La révolution rose n'est pas pour demain!" Pour la sociologue, les danseurs de ballet, adeptes du patinage artistique et autres "transgresseurs de stéréotypes" doivent posséder une force de caractère peu commune pour persévérer dans leur activité. Et dans la foulée de l'affaire Pinard, cela en dit long sur ce que les spécialistes appellent la "construction du genre". En effet, de nombreux adolescents définissent la masculinité par opposition à la féminité. "Ce que j'entends par 'viril', dit un jeune homme issu d'un milieu aisé, c'est [ce qu'expriment] tous les gars ordinaires qui se distinguent des femmes par leurs gestes et leurs réactions." Pourtant, des sports naguère dominés par les hommes voient les effectifs féminins croître sans cesse et, inversement, des jeunes athlètes du "sexe fort" s'intéressent de plus en plus à des sports traditionnellement féminins. La Fédération de ringuette, par exemple, dont le nombre d'adhérents diminue depuis plusieurs années, connaît une hausse de participants depuis que les hommes ont décidé de la pratiquer. Perdre en masculinité Dans les milieux plus aisés, les chercheurs ont noté que les garçons transgresseurs semblaient mieux acceptés. Mais cela pourrait être simplement l'illustration du discours néolibéral bien intégré dans ce milieu, où la liberté individuelle est une règle d'or. "Lorsqu'on analyse le discours de ces jeunes de manière approfondie, on s'aperçoit malheureusement que cette vision des choses n'est pas très appliquée. Les standards de la virilité chez les jeunes de milieux aisés, par exemple, demeurent très stéréotypés." L'étude des sociologues a connu tant de succès depuis sa parution, en janvier 1999, qu'elle sera bientôt de nouveau publiée à l'intérieur d'un livre édité par des sommités en gender studies, les Américains Messner et Sabo et l'Australien McKay. Des sports "de gars" trop violents Mais... doit-on souhaiter que la Ligue nationale de hockey devienne mixte un jour? "En tout cas, ce serait certainement moins violent qu'aujourd'hui, répond Mme Laberge. Tout le monde dénonce les coups de bâton portés à la tête des joueurs, les commotions cérébrales et autres blessures. Personne n'a envie de ce massacre!" Sur un autre plan, le rapprochement des sexes dans le merveilleux monde du sport pourrait permettre une meilleure fraternisation. "Il y a un cheminement à faire, dit Suzanne Laberge. Je crois que, dans la majorité des disciplines, nous devons aménager des conditions pour permettre ce rapprochement." D'ailleurs, l'étude des sociologues donne certains espoirs aux progressistes. Une proportion significative de garçons et de filles accueille très positivement la mixité dans les sports. "Un gars qui fait des sports de filles est tout aussi masculin qu'il le serait s'il pratiquait des sports de gars, dit un répondant qui incarne bien cette tendance. En fait, il pourrait même être plus masculin que le gars qui s'adonne à des sports de gars, car il devrait avoir une grande force de caractère." Mathieu-Robert Sauvé
Dans un texte anonyme où ils avaient l'occasion de s'étendre sur le sujet, les quelque 400 répondants de l'étude des sociologues Suzanne Laberge et Mathieu Albert ont dû expliquer leur conception de la sexualité: qu'est-ce qu'un homme viril et qu'est-ce qu'une femme féminine? Ils devaient aussi exprimer ce qu'ils pensaient des garçons qui pratiquent des sports traditionnellement féminins et, à l'inverse, des filles qui transgressent les stéréotypes. "Je m'attendais à du 'politically correct', dit Mme Laberge. Ce n'est pas ce que nous avons obtenu..." Au lecteur d'en juger. "La virilité, c'est la force, le courage, ne jamais montrer qu'on a peur, toujours cacher ses sentiments, ne jamais se mettre dans des situations embarrassantes et surtout se cacher pour pleurer." "Un gars viril correspond à un gars psychologiquement mâle. Ce qui veut dire que l'homme a des réactions de mâle, fait des gestes masculins. Une personne qui se différencie des femmes." "Un gars viril, c'est un vrai gars. Un gars viril aime se montrer fort, il aime montrer qu'il peut en prendre, il n'aime pas montrer qu'il a des sentiments." "Un gars viril, pour moi, est celui qui est grand, large d'épaules et surtout fort. Un gars viril pratique beaucoup de sports: hockey, football. Il se doit d'être macho, car un gars viril qui n'est pas macho ne pogne pas." "Un gars qui pratique des sports de filles a l'air moins viril. Un vrai gars doit être solide et fort. Il ne peut développer ces caractères dans la majorité des sports de filles. Sa force est LE caractère de l'homme, et la beauté est LE caractère de la fille féminine." M.-R.S. |